Chapitre 12.5

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12.5

Le Journal : "Le début de la fin..."

Jeudi 25 mars 2010, hôpital de Lake Town.


J'ai passé les premières années de ma vie à l'orphelinat catholique de Lake Town. J'ai pas de souvenirs précis de cette période à part une grosse réprimande de la Mère supérieure. Je sais plus trop comment mais, en me disputant avec un autre garçon de mon âge, j'avais cassé un vieil objet appartenant à la fondatrice de l'orphelinat. La Mère supérieure était furieuse quand elle avait découvert ma bêtise. C'est pas moins d'une heure que j'ai passé dans son bureau à me faire engueuler. Ce dont je me rappelle précisément, ce sont mes larmes et la peur qui me broyait les intestins. Je devais avoir cinq ans à ce moment et on m'avait jamais grondé aussi durement.

Le reste de ma vie à l'orphelinat est un brouillard obscur d'événements sans importance et ennuyants. Ce début de vie évoque pour moi surtout de la solitude, de la dureté, de l'obéissance, de l'innocence. Les responsables de l'orphelinat étaient attentionnées sans être vraiment affectueuses. Les autres enfants et moi nous faisions souvent réprimander. Les couloirs étaient longs et il y avait très peu de décorations. Morbide et glauque. Ce sont les deux adjectifs qui me viennent quand je pense à l'environnement qui m'entourait.

« Le début de la fin ». C'est ainsi que je pense à ma vie passée à l'orphelinat. Si seulement j'avais su que mon départ dans ma première famille d'accueil n'était que le début d'un long chemin sinueux et triste.


Vendredi 26 mars, même lieu.


Mr Grace a dit qu'il était content que je me prête au jeu du journal. En relisant ce que j'ai écrit les jours précédents, je me rends compte qu'au début ça m’énervait plus qu'autre chose. Mais maintenant, j'en ai besoin. Je veux dire tout ce que j'ai enfuis en fond de moi depuis le début. Tous les secrets qui m'ont étouffé depuis mon enfance. Tout ce qu'on m'a dit de ne pas dire.

Chaque mot est plus facile à écrire que celui d'avant. Chaque phrase me redonne un peu de souffle. Chaque secret révélé allège ma conscience.

Je ne veux plus être personne.


Samedi 27 mars 2010, dans l'espace vert de l'hôpital de Lake Town.


C'est une infirmière qui m'a amené aux jardins qui se trouvent derrière l'hôpital. Le printemps est revenu, les fleurs poussent et les oiseaux arrêtent pas de piailler. On m'a laissé dans mon fauteuil roulant à côté d'une fontaine à eau, à l'ombre d'un gros chêne.

J'avais presque six ans quand on m'a présenté à ma première famille d'accueil. Des habitués de l'orphelinat apparemment parce qu'ils avaient trois autres mômes que moi avant mon arrivée. Deux garçons plus grands et une petite fille de trois ans qui était leur enfant biologique. Ils m'ont accueilli en m’annonçant qu'ils me garderaient jusqu'à ce que je sois habitué à la vie de famille. Ils affirmaient jouer un rôle de transition entre l'orphelinat et une véritable famille d’adoption.

Sachant que je venais pour repartir, je n'ai jamais réussi à m'attacher aux parents et aux trois autres enfants. La petite me cassait les pieds et les deux grands me laissaient de côté, prétextant que j'étais trop jeune pour jouer avec eux. C'était frustrant au possible. En plus le père avait un emploi à temps plein et la mère était toujours en train de faire à manger, de s'occuper de sa fille ou de réaliser les tâches ménagères. Bien évidemment, elle passait du temps avec sa fille et très peu avec moi. Au bout de quelques mois, j'étais perdu, malheureux et ennuyé par ma nouvelle vie.

Comme les deux autres garçons ne voulaient pas jouer avec moi, j'ai commencé à m'aventurer tout seul dans la forêt qui se trouvait à côté de la maison. Quand la mère l'a appris, elle m'a passé un gros savon et m'a puni en me cloîtrant dans ma chambre. Je ne m’étais jamais senti aussi triste.

Il m'est arrivé des choses bizarres à cette époque. Il m'arrivait de me mettre à pleurer sans raison apparente et, la plupart du temps, il y avait personne pour me réconforter. Mais le pire, et le plus humiliant, reste le matin où je me suis réveillé dans un lit humide, mon bas de pantalon collé aux cuisses, une odeur d'urine dans le nez. J'avais vite appris à être propre et je me suis senti honteux et faible d'avoir faire pipi au lit. J'avais tellement peur de le dire aux parents que je leur ai caché la vérité. Profitant du départ du père et du bain que la mère donnait à la petite, j'ai descendu mon pyjama et ma literie à la salle d'eau du rez-de-chaussée et j'ai lavé les vêtements et les draps. Je les ai étendus sur le rebord de ma fenêtre et j'ai attendu qu'ils sèchent. La mère m'a demandé pourquoi je n'étais pas descendu prendre le petit-déjeuner et j'ai menti en disant que j'avais déjà pris de quoi manger. Elle ne s'est pas posée pas plus de questions et m'a laissé tranquille. C'est en entendant ses pas s'éloigner de ma porte que je me suis senti encore plus honteux. J'avais menti comme un arracheur de dents ! Ce fut mon premier gros mensonge et il serait suivi par de nombreux autres.

Je fis pipi au lit encore une dizaine de fois dans les deux mois qui suivirent avant que la mère s'en rende compte. Elle est venue me réveiller un matin et a découvert la tache qui s'était formée sur le matelas. Lorsque j'ai vu ses yeux écarquillés, je me suis pétrifié de peur. Qu'allait-elle me faire ? De mes yeux de jeune enfant, je ne suis pas parvenu à déceler ce qu'elle a ressenti à ce moment-là, mais elle s'est agenouillée à mon chevet et m'a pris la main avec délicatesse. Elle n'a prononcé qu'un mot dans un souffle : « Zachary ». Gentiment, elle a serré mes doigts entre les siens, m'a embrassé les cheveux et m'a ordonné de l'aider à enlever les draps d'un mouvement de tête.

Suite à cet accident, elle a essayé de parler avec moi, mais j'étais plus têtu qu'une mule et me murais dans mon silence bourru. Si elle a cru que c'est ma honte qui m'empêchait de parler, elle s'est trompée. Quand elle me demandait pourquoi j'avais fait pipi au lit, je ne trouvais rien à répondre. J'avais pas la réponse, voilà tout. Aujourd'hui je sais que c'était mon malheur, mon sentiment d'abandon et le manque d'affection.

Je venais de fêter mes huit ans quand on m'a annoncé que j'allais être changé de famille d'accueil. Il était temps, selon eux. Selon moi, non. Ça ne l'a jamais été.

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