Chapitre 12

6 minutes de lecture

12

Coup monté

Mon souffle est court après ma lamentable fuite lorsque j'entre dans le lycée. J'accueille avec soulagement le semblant de chaleur que diffusent les vieux radiateurs dispersés dans l'établissement. J'accueille cependant avec beaucoup moins de plaisir les regards divers et variés des autres élèves. Des murmures s'élèvent à mon passage, me faisant serrer les dents. Ça fait un moment que je fréquente l'établissement et j'ai pourtant l'impression qu'ils me redécouvrent chaque jour.

Ce sont les habituels surnoms dont je me passerais bien qui parviennent à mes oreilles alors que je me dirige vers mon casier pour poser les affaires dont je n'ai pas besoin ce matin. Monstre, assassin, meurtrier…

À peine l'ai-je ouvert que des photos tombent à mes pieds. Quelle surprise ! Sûrement un coup d'Anthony et de sa bande d'écervelés immatures. Je pose un genou à terre pour les ramasser. Mon cœur remonte alors dans ma gorge pour redescendre dans mon estomac. Ce sont des clichés d'Alison Grace et de ses deux filles jumelles, Holly et Jade. Je dois faire appel à tout mon self-control et à mon sang froid pour ne pas ciller. Calmement, je les prends entre mes mains et les coince sous un livre de biologie pour qu’elles ne tombent pas de nouveau. Je reçois alors une tape à l'arrière de la tête. Épuisé par tout ça, je ne prends même pas la peine de me tourner pour voir de qui il s'agit. J'entends des pas puis des rires qui s'éloignent. Ha-ha-ha-ha… parfois, j’aimerais avoir leur légèreté.

J'ai tout juste le temps de récupérer les affaires dont j'ai besoin et de poser celles qui ne me sont pas utiles que la sonnerie stridente résonne. Une foule compacte d'élèves se forme pour se diviser aux intersections des couloir.

Il ne me faut pas moins de trois minutes pour arriver à ma salle d'espagnol.

L'heure, et la suivante, ainsi que la suivante, se déroulent dans une léthargie presque maladive. Les voix des professeurs me sont lointaines et désagréables. Les crayons des élèves prenant des notes sont des crissements presque insupportables. Leurs questions me semblent d'une niaiserie affreuse.

Plongé dans mes pensées, il me faut de nombreuses secondes pour me rendre compte que ma professeure de littérature anglaise m'appelle.

– Mr Gibson, pouvez-vous répondre à ma question, s'il vous plaît ? lance-t-elle d'un ton agacé en me lançant un regard ennuyé.

– Euh... commencé-je, pris au dépourvu. Désolée, madame, je n'ai pas entendu votre question.

– Pas très surprenant vu l'intérêt que vous semblez porter pour mon cours. La prochaine fois, au lieu de rêvasser en fixant le mur de ce stupide air bovin, écoutez-moi !

– Oui... marmonné-je en fixant ses mains plutôt que son visage crispé de colère.

– Bon, lisez la page trente-deux, vous nous épargnerez votre réponse à une question que vous n'auriez sûrement pas comprise.

Dites tout de suite que je suis débile. Fichue prof ! Alors que j'ouvre mon livre à la page en question, une partie des autres élèves échangent des sourires amusés, des messes basses et des regards en biais. C'est ma petite altercation avec la prof qui les fait rire ou y'a-t-il autre chose ?

Je ne tarde pas à le découvrir.

Je feuillette le manuel de littérature à la recherche de la page trente-deux quand des photos tombent de mon livre. Stupéfait, j'observe avec consternation les clichés qui se sont répandus sur ma table. J'aurais préféré qu'il s'agisse des mêmes que tout à l'heure, avec Alison et ses filles. Mais non. Ce sont clairement des images tirées d'un film pornographique. Lorsque ma professeure de littérature s'avance pour voir de quoi il s'agit, je sens mon visage devenir cramoisi. D'un geste ample du bras, je les ramène contre ma poitrine et les fais tomber sur mes genoux.

Je suis trop bête ! Le manuel de littérature fait partie des livres que j'ai laissés au casier vendredi dernier, n'en ayant pas eu besoin ce week-end. Et, évidemment, Anthony en a profité pour me jouer un nouveau sale tour.

Brusquement, je tourne la tête vers l'arrière de la salle et le trouve à moitié affalé sur sa table en train de rire. Ses compagnons me dévisagent en s’esclaffant tout aussi fort. Mais la professeure ne fait attention qu'à ce que j'essaie vainement de cacher et est trop occupée à savoir ce que sont ces photos plutôt qu'à ordonner le silence.

– Mr Gibson ! s'exclame-t-elle en haussant la voix. Qu'est-ce que c'est que ça ? Montrez-moi immédiatement !

– M-Madame, bredouillé-je, mort de honte, c'est pas ce que vous croyez.

– Donnez-les-moi !

À contrecœur, les mâchoires serrées et le visage brûlant, je lui tends les clichés. Ça ne sert à rien de résister. Elle aurait quand même fini par découvrir de quoi il s'agit.

Une à une, elle les observe, les yeux écarquillés, la mâchoire tombante, les traits tordus en une expression de totale stupéfaction mêlée d'indignité. Elle glisse de nouveau son regard éberlué vers moi, comme si elle venait de remarquer une pustule géante sur mon front. D'un geste irrité, elle balance les photos sur mon bureau. Mes mains sont crispées en poings de part et d'autre de ma trousse. Je me sens comme un moins-que-rien. Je n'ai rien en particulier contre cette prof et ce qu'elle vient de découvrir vient de me faire passer du statut « d'élève moyennement intéressé » à « élève provocateur qui ferait mieux d'être viré de mon cours ».

Un silence de mort s'installe dans la salle alors que la professeure reste plantée devant mon bureau, les bras croisés sur la poitrine.

– Regardez-moi, Mr Gibson.

Lentement, je lève le menton vers elle. Ses joues sont rouges ; pas d'avoir vu les clichés avec des corps dénudés, mais plutôt de colère et d'indignation.

– Alors, voici ce que vous faites pendant mes cours ? commence-t-elle d'une voix posée, ce qui me donne la chair de poule. Comme vous ne pouvez pas utiliser votre portable en cours, vous avez imprimé ces photos pour pouvoir vous divertir pendant la littérature anglaise ?

– Madame, je ne savais pas que ces photos se trouvaient dans mon livre, je réponds en la regardant dans les yeux pour lui faire comprendre que je dis la vérité.

– Ne me fixez pas avec ce regard de chien abandonné, Mr Gibson. Il me semble qu'il s'agit de votre manuel pourtant, non ?

Elle le soulève et vérifie le nom inscrit à l'intérieur. Je n'ai pas besoin de vérifier, je sais que c'est le mien. Ma honte et ma frustration augmentent de seconde en seconde.

– Mr Gibson, rassurez-moi, vous ne faites quand même pas ça pendant mon cours ? souffle la professeure en se penchant vers moi. Je vous croyais plus respectueux.

– Faire quoi ? demandé-je, la chaleur se diffusant de mes joues jusqu'à mes oreilles.

– Oh ! ne faites l'innocent ! Pourquoi les jeunes regardent-ils des films pornographiques ?

Oh, bordel... Je suis encore abasourdi par ce qu'elle pense de moi. Doucement, je secoue la tête. Et pourquoi « les jeunes » ?

– Vous ne l'avez jamais fait ?

– NON ! hurlé-je en me levant. Ne soyez pas bête, vous voyez bien que c'est un coup monté ! Vous me croyez assez stupide pour mettre des photos comme ça dans mon livre ? J'ai autre chose à faire en cours.

– Oui, comme rêvasser, grogne-t-elle en me fusillant du regard. Vous allez me faire le plaisir de baisser d'un ton et de vous rasseoir.

Dépité, j'obéis. J'ai les mâchoires tellement contractées qu'elles me font mal.

– Ainsi, voilà ce qu'un garçon qui a du potentiel comme vous fait pendant les cours ? marmonne la prof en tapotant du bout du doigt l’un des clichés.

– Madame, quelqu'un a mis ces photos dans mon livre, je réponds le plus calmement possible en m'efforçant de ne pas fixer Anthony, que j'entends encore se marrer.

– En plus de ça, vous êtes lâche ! crie-t-elle en ouvrant grand les yeux. Vous vous cachez derrière votre prétendu « coup monté » pour ne pas avoir à avouer que vous regardez des photos au contenu pornographique devant toute la classe ? Eh bien, quel courage !

Des élèves pouffent. En tournant la tête vers eux, je remarque que les garçons se paient bien ma tête, mais que les filles me fixent avec consternation et dégoût. Tu m'étonnes... Ma chance d'avoir une petite amie est passée d’un-pour-cent à zéro pointé.

– Très bien ! crié-je à mon tour, à bout de nerf. C'est moi qui ai imprimé ces photos et les ai mises dans mon livre. Ça m'occupe l'esprit pendant vos cours de merde ! Voilà, vous êtes contente ? Vous avez eu mes aveux. (Je me relève brutalement, ce qui fait tressauter la table et tomber les clichés, qui se répandent par terre.) Maintenant, interdisez-moi de revenir à votre cours, envoyez-moi chez le directeur, faites ce que vous voulez !

Je fourre ma trousse et ma feuille de note dans mon sac, le balance rageusement sur mon épaule et sors de la classe sans un regard en arrière. Je prends soin de claquer la porte derrière moi.

À mon grand dépit, ça ne soulage pas ma colère, mais ne me fait que sentir plus mal.

Annotations

Vous aimez lire Co "louji" Lazulys ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0