Chapitre 2.5

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2.5

Le rituel, pour ne pas les oublier

C'est une odeur qui me ramène à la réalité.

Tout est noir, gris et blanc.

Les sons sont indistincts ; j'en perçois un vaguement plus fort que les autres.

Mon corps entier me fait souffrir. Plus à certains endroits. L'air rentre difficilement dans mes poumons. Je ne sens plus mes jambes. Le reste est brouillé par la douleur. J'aurais perdu une main que je ne le saurais même pas.

Mais le pire, c'est l'odeur. C'est un mélange de roussi et de fer.

Autrement dit, de chair brûlée et de sang.

Je suis un peu plus lucide. J'aperçois l'habitacle de la voiture volée, que je conduisais, autour de moi. Dans un mouvement qui m'arrache un cri, je tourne la tête vers ma droite.

Qu'est-ce que je dois ressentir ? Qu'est-ce que je dois ressentir en voyant mon meilleur ami la tête enfoncée dans le pare-brise, le corps pendant comme s'il était mort ? Non, il est mort. Il y a du sang partout.

Partout, partout, partout.

Sur les fenêtres, sur le volant, sur le tableau de bord, sur le frein à main, sur les sièges, sur Raylen, sur les commandes, sur le toit, sur le sol, sur... sur moi.

Je n'arrive pas à déterminer dans quel sens je suis. J'ai l'impression d'être allongé. Mes jambes sont coincées sous le tableau de bord qui s'est affaissé.

Ma respiration est toujours aussi laborieuse. Elle fait un bruit de soupirail. Et chaque bouffée d'air m'arrache une grimace de douleur.

Mon bras gauche est coincé entre mon flanc et la portière. Le droit semble intact. Lorsque j'essaie de décoincer le gauche, une explosion de douleur me fait tourner de l’œil.

Pourquoi la mort ne vient-elle pas ?

Je suis pourtant fracassé. Mon bras gauche bat douloureusement au rythme de mon cœur, qui me paraît anormalement lent pour une situation pareille. Je dois avoir perdu mes jambes. J'ai un mal de tête pas possible et ma poitrine palpite de douleur.

Soudain, j'entends très clairement une voix. Un homme. Il appelle à l'aide. La même voix pousse un hurlement à glacer le sang. Il y a ensuite des bruits peu ragoûtants qui évoquent une tuyauterie bouchée.

L'homme piétine près de moi. Je l'entends gémir. Pleurer ?

Je sursaute quand la portière s'ouvre brusquement. L'homme me dévisage, abasourdi. Ses yeux sont comme des soucoupes, sa bouche reste ouverte, son front est couvert de sueur malgré le froid. Son regard médusé passe du corps inanimé de Raylen au mien, pas vraiment plus loquace.

Il cligne des yeux et semble se remettre de sa découverte.

Tu vas bien, petit ? murmure-t-il en se penchant dans l'habitacle.

Bien ? Je ne veux pas faire mon difficile, mais ça paraît évident que non ! L'homme détache ma ceinture en évitant de regarder le cadavre de Raylen. Il toussote et écarquille les yeux en voyant le sang qui tache à présent ses mains.

Je-je vais te sortir de là, t'inquiète pas.

Avec des gestes précautionneux, il glisse un bras derrière mon dos et un autre sous mes genoux. Je reste malheureusement bloqué à cause du tableau de bord.

L'homme grimace et essaie de le soulever. Inutile, il n'a pas assez de force.

L'homme s'est assis, le visage enfoui dans les mains. Il a appelé les secours.

À présent, il marmonne trop bas pour que j'entende distinctement : « Bon Dieu, qu'est-ce qui s'est passé ? », « … pauvre Mark... », « ... pourquoi elles ? », « les petites sont... », « et... Ali... Alison aussi ».

Quand l'homme se rappelle qu'il n'est pas seul, il lève des yeux larmoyants vers moi.

Au fait, je m’appelle Philip Daniels.

Je veux lui répondre, lui dire que c'est gentil de se préoccuper de moi, mais seul un son rocailleux sort de ma bouche. Bon sang, je viens de me rendre compte à quel point j'ai soif.

Chut, fait-il en posant une main sur mon bras. Économise tes forces.

J'obéis et ferme les yeux.

Quand je les rouvre, des lumières rouge et bleu dansent dans l'habitacle. Philip a disparu. Je reconnais sa voix, il est en train de discuter un peu plus loin.

Soudain une personne qui porte un masque chirurgical se penche au-dessus de moi. Je dois avoir une sale tête parce qu'elle grimace. La personne se relève et crie :

Y'a un survivant ici ! Sur les cinq victimes, quatre morts ! conclut-elle avant de s'éloigner.

Et moi ?

Attends, qu'est-ce qu'elle a dit ? Quatre morts pour...

Je vomis. Brutalement. Je le fais sur moi en plus à cause de ma position. Je ne sais pas si c'est à cause du choc de cette nouvelle ou les conséquences des blessures de mon corps. Ou un mélange des deux.

Raylen n'est donc pas le seul. Trois autres personnes sont mortes. Il me semble avoir vu des silhouettes devant moi... Une grande et deux plus petites. On fonçait droit sur elles.

Je me sens immédiatement seul, terriblement seul.

Un trou s'ouvre dans ma poitrine et une vague d'angoisse pure s'y réfugie.

J'ai peur. Je suis effrayé. Totalement terrorisé.

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