Chapitre 3

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3

Daree

Mark est en train de mettre un manteau en faux cuir sombre quand je sors enfin de la cuisine.

Ses mots résonnent encore sous mon crâne. Ma joue doit être rouge. Moi qui croyais que le rituel se passerait bien... Il ne m'a jamais posé cette question « De quelle couleur était leur peau ? » Pourquoi ? Pourquoi aujourd'hui ? Parce que cela fait cinq ans jour pour jour qu'elles sont mortes ?

Je sais quel genre de personne j'étais lorsque l'accident a eu lieu. Et ce que je sais aussi, c'est que j'ai beaucoup changé depuis. Alors j'ai trouvé la réaction de Mark excessive et injuste.

Et je compte bien lui faire comprendre.


J'ai un don pour faire la trogne et des regards pas bien sympas. Faire le type taciturne qui n'a pas envie d'être embêté ? un jeu d'enfant. Sourire et se montrer joyeux, c'est autre chose. Mais ce ne sont pas des sourires qui paieront ma dette.

Mark remarque tout de suite que ça ne va pas lorsque je me cale sur une marche d'escalier pour chausser mes baskets.

– Si tu m'en veux pour tout à l'heure, commence-t-il en me jetant un regard appuyé, je comprends tout à fait, mais je te conseille de ne pas faire cette tête face aux Daniels.

– Pourquoi viennent-ils, d'ailleurs ? rétorqué-je en soupirant.

– Parce qu'ils sont nos amis.

Tes amis.

Mark pousse un soupir agacé. Eh oui, tu m'as vexé, vieux, et je compte bien te le montrer !

– Ça me fout déjà assez mal d'aller au cimetière, alors si en plus on doit se coltiner les voisins, je le sens vraiment pas.

– Qu'est-ce que tu as, aujourd'hui, Zachary ?

– J'en ai marre, Mark ! crié-je en plongeant les yeux dans les siens. Tu-tu me frappes sans raison apparente avant de t'en prendre à nouveau à moi avec comme motif un mensonge !

– Un « mensonge » ? répète Mark d'une voix irritée.

– Oui, approuvé-je en grognant. Tu m'as traité de menteur quand j'ai dit que la couleur de la peau de Jade et Holly ne me dérangeait pas. (Avant qu'il ne puisse reprendre, je me redresse et me plante devant lui. On fait la même taille.) Ce qui est vrai. Si les métisses et les Blacks étaient un problème pour moi, ça ferait longtemps que je me serais barré d'ici !

J'étais vexé, énervé et indigné. Que Mark me gifle quand je faisais le con, quand je lui désobéissais, ou quand je me montrais trop irrespectueux, d'accord. Qu'il le fasse parce qu'il en a envie sans raison valable ? Non.

Je me réjouis de l'expression confuse sur le visage de Mark.

– Toi... siffle-t-il comme si le « toi » était une insulte. Il faudra qu'on parle à notre retour.

– Les Daniels ne sont pas encore là, dis-je avec un sourire espiègle, on peut discuter maintenant.

– Ne pousse pas le bouchon trop loin, Zach, me menace-t-il avec une lueur d'animosité dans le regard.

D’accord, j'arrête. N'empêche, ma technique semble avoir marché. Il a compris que je n'avais pas apprécié la façon dont il m'a traité tout à l'heure. Je n'aurais pas bronché quelques temps plus tôt, mais, à présent, j'ai plus de dignité.


On sort de la maison ; une brise froide nous accueille. Je frissonne.

Nous sommes le samedi 7 février. En 2015. En 2010, c'était un dimanche. Un dimanche durant lequel Alison Grace et ses deux filles étaient parties au cinéma.

Je cligne des yeux pour chasser les images sanglantes qui s'impriment sur mes rétines.

Daree est la ville où habite Mark – et moi, par l'occasion. « Ville » est un grand mot, car il y a une centaine d'habitants à tout casser et qu'une boulangerie-épicerie sert de seul magasin. La ville la plus proche est Lake Town, où les enfants de Daree sont obligés de se rendre pour suivre leur scolarité.

J'habitais à Lake Town avant l'accident survenu cinq ans plus tôt. Je dois avouer que Daree est plus agréable à vivre. Tout le monde se connaît – bon, ça a aussi des inconvénients – l'ambiance est plus chaleureuse et il n’y a pas vraiment de personnes pour vous chercher des poux. Sauf pour moi. Mais c’est normal, mes actes passés ne sont pas restés cachés longtemps.

La maison de Mark se trouve dans une longue rue à deux voies. Cette rue mène... euh, à un cul-de-sac. Il n'y a que des habitations. Des maisons, toutes ou presque possédant un – petit – jardin.

Autrement dit, le genre de quartier idéal pour une famille ; ce que Mark et moi ne sommes pas, je préfère mettre les choses au clair.


Je me cale contre la Jeep de Mark en attendant que les Daniels arrivent. Ce sont des voisins qui habitent une villa – beaucoup plus luxueuse que la maison de Mark mais, rassure-toi, je ne me plains pas ! – à une dizaine de mètres. Ce sont aussi de vieux amis de la famille Grace.

J'enfonce les mains dans ma veste au motif camouflage, qui doit jurer avec mon costume, quand je vois arriver la famille au grand complet dans leur 4x4 de marque.

Pas que j'ai un problème contre les Daniels mais... ils me rappellent de mauvais souvenirs.

Et les souvenirs... c'est pas ma tasse de thé.

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