Chapitre 9

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Chapitre 9


22 octobre 1944

  

  - Stehen ! Stehen !

    Que nous veut-il celui-là ? Il fait à peine jour...

   La jeune femme à côté de moi me bouscule. Je dois me lever. Elle bouscule ensuite sa partenaire de gauche. Elle ne réagit pas. Je l'entends lui murmurer "lève-toi ! Ils sont là !" Aucune réaction.

    Elle me pousse du lit. Il faut se dépêcher. Mais pourquoi ? Je ne réalise pas trop ce qui se passe en fait. Mes paupières sont lourdes car j'ai passé une très mauvaise nuit. Entre les toussotements des unes, les vomissements des autres, les ronflements de certaines... En plus, j'ai un mal de dos atroce. Dormir sur des copeaux de bois, ce n'est vraiment pas confortable et hygiénique. Je me sens vraiment sale.

    Nous sommes toutes debout, en file indienne, à attendre.

    J'émerge petit à petit.

    Je vois un SS armé, suivi de près par un autre, entrer dans notre porcherie (et encore, le mot est faible). Ils font le tour de nos lits. L'un deux dit :

    - Eine Toten hier.

    - Zwei auch hier, dit l'autre.


    Je ne comprends pas ce qu'ils disent. Je n'ai pas la tête à comprendre de toute façon. Mais je crois que ça a un rapport avec les femmes qui sont restées coucher. À mon avis, elles sont très fatiguées ou... mortes.

    Nous sortons du baraquement et là, j'aperçois deux personnes en blouse blanche. Des médecins.

    Toujours les unes derrière les autres, ils commencent à nous inspecter une à une. L'un parle, tandis que l'autre prend des notes. Et je ne sais toujours pas ce qu'ils se racontent. Je n'aime vraiment pas ça.

    Onze femmes et jeunes femmes sont passées devant moi. Ils refont du tri. Certaines sont mises à gauche, d'autres à droite, et encore d'autres à droite de celles de droite

    Arrive mon tour.

   " J'ai mal au ventre..."

    Il ouvre ma bouche, m'enfonce un truc au fond de la gorge puis le retire.

    " Heurk !"

    Il regarde mes yeux, ma peau, je pense même mon ossature. Il me sent...

    " Pire qu'un chien."
    Il me parle.

    - Wie alt bist du ?

    "Mon âge... A oui !"

    - Sechzehn Jahre

    Tout comme me l'avait conseillé l'esclave à la gare du camp, je réponds seize ans. J'ajoute même sans qu'il me le demande, que je suis Naht. Je ne suis pas sûre d'avoir utilisée le bon mot alors je mime avec mes mains la couture.

    - Näherin, links.

    Il me pousse à gauche. Nous n'étions pas beaucoup de ce côté : trois ; six à droite et deux à droite de la droite.

    Une fois toutes les femmes et jeunes femmes triées, nous partons. Sur trois files, deux partent et une reste sur place. Forcément, je suis dans l'une qui part.

    Nous traversons notre camp.

    Le jour s'est presque levé. Il y a beaucoup plus de baraquements que ce que je croyais. Il y a pleins de femmes immobiles devant. D'autres, comme nous, marchent sous la menace des armes SS.
    Ici, est impossible de s'échapper tellement il y a de barbelés. Il y a aussi des tours de guets, espacées d'une dizaine de mètres les unes des autres, tout autour du camp, avec, bien évidemment, des soldats armés.

    C'est bizarre. J'ai l'impression que cet endroit est différent de celui où j'ai débarqué hier. Peut-être que c'est une hallucination. "Ou pas..."

    " Oh non, revoilà cette fichue voix."

    Nous longeons une ligne de chemin de fer. Moi, toujours dans ma colonne. L'autre colonne est parallèle à la nôtre, à gauche. Nous marchons un bon moment. J'en profite pour photographier tout ce qu'il y a autour de moi avec mes yeux. J'aperçois des hommes à ma droite. Leur camp a l'air plus grand que le nôtre. Peut-être parce qu'ils sont plus nombreux. Ils travaillent et ont l'air d'en baver. Des Allemands leur crient dessus, d'autres les tapent. J'entends encore des tirs et des chiens aboyés.

    J'ai l’impression que cette sérénade de malheur sera mon quotidien. Pour combien de temps encore, je l'ignore.

    Nous arrivons à, ce que je pense être, le fond du camp.

    Devant nous, il y a une grande file de femmes qui attendent devant un bâtiment. Plus on approche, et plus j'entends des cris et des pleurs venant de l'intérieur, mais aussi de l'extérieur. Et l'odeur dans l'air de plus en plus devient suffocante.

    "Ils vont nous tuer ici."

    Comme j'ai mal au ventre. J'ai envie de pleurer moi aussi, de m'enfuir, de retrouver mon chez-moi. J'ai tellement peur.

    "Mon chez-moi."

    Sous les ordres d'un SS, la file de gauche s'arrête devant le bâtiment, derrière la foule de femmes à moitié en pleurs ; tandis que le nôtre continue sur la droite.

    Je ne me retourne pas. Je ne veux plus savoir quel malheur attend les unes ou les autres. Je ne pense qu'à une chose : moi. Vais-je mourir ou pas ?
    Nous sommes une vingtaine dans ma file. C'est peu comparé à ce que nous étions en sortant de notre porcherie.

    Nous marchons et longeons un autre bâtiment, gardés par quatre SS, dont plusieurs de ses cheminées laissent échapper une fumée épaisse et noire qui pue... le cadavre. Comme dans ma ville natale.

    "Ils nous brulent."

   Alors que les cris, les tirs et les coups continuent de marteler l'atmosphère du camp, nous arrivons devant un autre bâtiment.

    On nous force à entrer. Finalement, mon calvaire continue.

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