Chapitre 7

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Chapitre 7


    Pourquoi nous crient-ils dessus alors que nous obéissons à leurs ordres? Je ne comprend pas. "Ce sont de pauvres abrutis."

    Je regarde tout autour de moi. Les Allemands sont nerveux, criards, ils courent dans tous les sens. J'entends des coups de feu venir de devant nous.
    "Ils vont nous exécuter".

    - Halt !

    On s'arrête, apeurés.

    "C'est fini, je vais mourir ici."

    Les Allemands nous tournent autour, comme des vautours affamés. Combien sont-ils ? Je ne sais pas. Je baisse la tête. Je ne veux pas voir leur visage monstrueux avant de mourir.

    On avance de nouveau.

    " Ouf, je ne vais pas mourir maintenant."

     Je relève donc la tête. Plusieurs groupes de juifs sont dans la même galère que nous. Je lance un regard derrière moi. Ils conduisent les hommes vers le côté droit où j’aperçois des sortes de grands baraquements, des grillages, des Allemands.

    Je regarde de nouveau devant moi. Nous continuons toujours d'avancer, tout droit.

    - Halt !

    "Encore..."

    Là, je suis surprise ! Des esclaves en tenue rayée portant l'étoile de David séparent les enfants et leur mère de notre groupe.

    "Ils demandent aux juifs de faire leur sale travail."

    L'un d'eux me regarde :

   - Tu as quel âge?

    "C'est un polonais."

     - Qu.. quinze ans, lui réponds-je bégayante.

    - Maintenant, tu as seize ans et tu es couturière, me chuchote-t-il.

    Puis, il part, sans rien ajouter.

    "Pourquoi m'a-t-il dit cela? "

    Une fois le nouveau tri terminé, nous voilà reparties.

    Les femmes avec leurs enfants vont tout droit, tandis que nous, nous tournons à gauche. Je ne me retourne pas cette fois. Je ne veux pas savoir où ils les emmènent.

    Au bout de quelques minutes, nous arrivons devant un bâtiment. C'est affolant de voir le nombre de SS encore courir dans tous les sens. Je pense que c'est l'arrivée de notre convoi qui les agitent comme une meute de loups enragée. Ils doivent gérer tous ces juifs innocents et sans défenses, désarmés qui plus est. Quels durs métiers que sont la maltraitance et l’exécution. Enfin bref, passons...

    - Eingeben !

    Cela veut dire entrez !  Je le sais car, avec mon papa, "oh, mon papa, où es-tu ? Et toi maman ? Et toi Josh...", on a surprit un jour un Allemand dire à une dame d'entrer à l'arrière d'une camionnette. Mon papa m'avait fait la traduction. Il connaissait (ou connais), je ne sais pas s'il est encore en vie... beaucoup de mots allemands. Il avait (ou a) une bonne culture générale.

    Nous passons donc la porte du bâtiment, l'une derrière l'autre. La femme devant moi s'arrête sous les ordres du SS. Il referme la porte et nous attendons, dans le froid.

    Nous attendons.

    Nous attendons toujours.

    J’essaie discrètement de tendre l'oreille pour essayer de percevoir le moindre petit bruit derrière les murs du bâtiment, mais rien. Je n'entends rien. 

    "Quelle heure est-il ?"

    C'est long. Du moins ça parait long. Je n'ai pas du tout la notion du temps mais cela doit bien faire trente minutes que l'on attends debout, sans bouger.

    La porte s'ouvre enfin.

    - Eingeben !

    Et me voilà entrer.

   J'entends la porte se refermer derrière moi. Je ne sais pas si toutes les femmes sont rentrées. je pense que non.

   J'avance dans un couloir sombre, avec pour seule lumière la lanterne qu'un Allemand tenait à sa main.

    Il ouvre une deuxième porte.

    Avec sa main libre, il nous pousse avec brutalité à l'intérieur de la pièce.    Une dizaine d'entre nous entrent. Les autres restent derrière la porte, aussitôt refermée. Là, dix esclaves juives nous demandent de retirer nos vêtements et de les trier suivant les différentes piles présentes : les chaussures à droite, les vêtements et chapeaux au milieu, et les bijoux dans un gros coffre à gauche.

    Moi qui suis pudique, j'avoue avoir un peu de mal à me mettre nue. Mais honnêtement, je suis tellement terrorisée que je me fiche de savoir si quelqu'un me regarde. Et pour tout vous dire, aucune n'ose regarder l'autre.

    - Dépêchez-vous de vous asseoir !

   L'une des esclaves n'est pas commode du tout. Elle nous hurle dessus comme un SS.

    "Elle devrait avoir honte. Nous sommes du même sang."

    On s’assoit sur de misérables petits tabourets, à peine plus haut que mon mollets, et très sales.

    "Je vais chopper une cochonnerie, c'est sûr".

    Mais nous n'avons pas le choix. Chacune des esclaves juives se met derrière nous et nous tire violemment les cheveux à l'arrière. Je retiens mon aie pour ne pas attirer leur attention.

    " Mes beaux cheveux..."

    Mes longs beaux cheveux auburns, je les vois voler et s’étaler au sol. Comme ça me fait mal. Ils étaient si beaux... Pourquoi elle me les coupent ?

    Personne ne pleure, même si nous ne ressemblons plus à rien maintenant. On nous a enlevé notre féminité et notre pudeur. Nous sommes nues et laides.

    Une fois le carnage terminé, l'une d'entre-elles nous ouvrent une porte adjacente à la pièce et nous y fait rentrer. Dix autres esclaves juives nous attendent. Nous nous positionnons devant elles, debout. Elles, elles sont assises derrière une table.

    Devant moi, j'ai une femme d'une quarantaine d'années, les yeux fatigués et vidés par l'effort. Elle doit être ici depuis un moment je pense. Elle me tire le bras gauche.

    - Ne bouge pas sinon, ça sera pire.

    Elle enfonce une pointe dans ma chaire. Je ferme les yeux tellement la douleur est atroce. Je ne sais pas ce qu'elle me fait, mais j'ai l’impression qu'elle m'arrache un morceau de peau.je me pince les lèvres et retiens mes larmes.

    - C'est fini. Maintenant, tu es marquée comme le bétail.

    A ses mots, j'ouvre les yeux ( une larme s'en échappe), et regarde mon bras encore sanguinolent et rouge de douleur.

    "L-120183, mais c'est quoi ce truc?"

    Elle a abîmé ma peau !

    Nous sommes toutes marquées !

    - Aux suivantes !

    De nouveau, on rechange de pièce.

   C'est pire que l'usine là-dedans. Les esclaves juives ne nous prêtent aucune attention, bien que nous ayons les mêmes croyances. Même pas un sourire, même pas un mot gentil. Rien. Nous sommes limite invisibles pour elles. C'est inadmissible, mais je pense qu'elles doivent avoir leur raison.

   Dans l'autre pièce, deux SS sont présents, en plus de deux esclaves juives. Ils nous regardent entrer une à une. Je peux lire dans leur regard la méchanceté, obsession et la moquerie. Je baisse aussitôt mes yeux quand l'un d'eux me fixe.

    " Oh mon Dieu, il me regarde et je suis nue".

    J'entends d'un coup la voix d'une esclave hurlée :

    - L-120183 !

    J'attends. Elle hurle de nouveau la même chose.

    Personne ne bouge.

    - Pour la dernière fois, qui est celle qui porte le numéro L-120183 ?

    Je réagis de suite. Elle m'appelle depuis tout à l'heure en fait. Je comprends maintenant. Depuis que nous sommes rentrées dans ce bâtiment, on nous retire petit à petit tout ce qui fait de nous des êtres humains : notre féminité, notre pudeur, et maintenant, notre identité.

    J'avance jusqu'à elle.

   - J'ai failli attendre ! Quand je t'appelle par ton numéro, tu arrives c'est clair ?

    Et elle me balance une tenue d'esclave rayée et des chaussures.

    - Maintenant, dépêches-toi de t'habiller esclave !

    "Pourriture."

    Je m'empresse de m'habiller pendant que les autres se font aussi appeler par leur numéro. Une fois toutes vêtues et chaussées,  nous sortons enfin dehors.

    " Ça pue."

   Accompagnées par trois SS armés,  nous courrons rejoindre d'autres prisonnières juives qui attendaient plus loin.

    Il y a sept colonnes de prisonnières.

   On me place derrière la quatrième, troisième rangée en partant de la gauche.

    Il fait encore nuit et il y a encore beaucoup de mouvements. Ça crie et tire de partout. Je regarde tout autour de moi. J'aperçois des prisonnières juives se faire taper dessus, d'autres attendent debout tout comme nous...

    J'attends toujours debout dans ce froid mordant que quelque chose de miraculeux se passe. Je croise les doigts et prie en silence.

    Mais rien ne vient, à part le désespoir et l’abandon.








 



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