Chapitre 5.

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 Même une journée à la bibliothèque n'a rien donné de bien convaincant. J'ai cherché beaucoup de choses. De forme sombre, humanoïde, à fumée noire mouvante. Je n'ai pas trouvé grand chose. Enfin, si. Une légende japonaise. L'En'enra. Une espèce de fantôme japonais, fait de fumée ou d'ombre. Ils prennent apparemment une forme humaine, et ne pourrait être vu que par un cœur pur - c'est là que j'ai commencé à douter. Ils apparaîtraient apparemment tels quels, ou proviendraient d'un humain mort, et transformé. Aucune des options ne me plaît vraiment. Le plus gros problème réside dans le fait que ces créatures, si tant est qu'elles existent, sont à proprement parlé de la fumée. Elles viennent des feux, et ne sont pas aussi dangereuses que celle qui m'est attachée.

 Le reste des choses que j'ai pu voir, soit dans les livres, soit sur un ordinateur, proviennent d'histoires inventées de toutes pièces dans des nouvelles ou des romans.

 Je me dis que la bibliothèque n'a peut-être pas les ressources suffisantes. Ou que je ne sais juste pas comment chercher comme il faut.

 Est-ce dans une histoire ? Une légende ? Un mythe ? Une religion ? Dans quoi vais-je trouver de quoi définir mon cauchemar ambulant ?

 Je referme un livre d'Atlas des Monstres en soupirant. Rien sur l'Ombre. Et je ne suis pas sûre que les œuvres purement fictives soient d'une grande aide - quand bien même je les prendrai en compte, je ne trouve rien de satisfaisant.

 Il me reste donc deux options après ce cheminement de pensées : soit j'ai mal cherché, soit c'est la première fois qu'une créature comme celle-ci apparaît.

 Je me vois mal interroger des gens dans la rue pour valider ma seconde hypothèse, mais même en cherchant sur des forums - les gens raconteraient leur vie entière là-dessus - rien n'en ressort. Ou bien il y'a une troisième option, que je garde en mémoire depuis un petit temps déjà : je perds la tête. Cette option m'effraie. De deux façons. Si je perds effectivement la tête pour une raison inconnue, ou simplement parce que c'est ce qui devait être, je ne me pense pas assez dangereuse - pour moi ou pour les autres (j'hésite sur ce dernier point) - pour finir ma vie enfermée. Et je déteste les comprimés. Je n'arrive déjà pas à avaler un doliprane, alors je n'imagine pas ce qu'il adviendra de moi. J'ai bien conscience qu'il s'agit d'une raison tout à fait futile mais elle me laisse un argument en défaveur de cette idée alors que je la conserve tout de même. Enfin, et si jamais je ne perdais pas la tête ? Et si jamais elle était bien réelle ? Je ne voudrais pas passer ma vie à être vue comme délirante s'il subsiste une possibilité que la fumée noire qui me hante au quotidien ne soit pas qu'imaginaire.

 Cependant, je suis toujours la seule à la voir. Et ce n'est pas une difficulté moindre puisqu'elle représente un point de plus en faveur du fait que je perds peut-être pied. Ou alors cela signifie qu'elle m'est seulement attachée. Mais ça ne m'avance pas bien plus.

 En bref : je n'ai rien à quoi me raccrocher. Pas de faits, pas de légendes, pas d'expériences, rien. Rien que moi et l'Ombre. Qui est d'ailleurs penchée sur mon épaule depuis tout à l'heure - ce qui explique ma migraine persistante - et ne paraît pas ravie de toutes ces recherches. Je le sais car elle émet un son à mi-chemin entre le grognement et le sifflement. Je me prends à tourner la tête plusieurs fois pour m'assurer qu'elle ne dérange personne avant de me ramener une nouvelle fois à la raison : elle n'empiète que sur mon espace de vie, pas sur celui des autres.

 Alors que je m'apprête à me lever pour aller chercher un nouveau livre, glissant habilement sur le côté opposé à l'Ombre, quelque chose me retient. Elle tend son bras vaporeux vers un livre que je n'avais jamais vu avant, auparavant dissimulé sous tous les autres.

— Eux... Non... Pas... Ah... Aaaah.

 Comme le crissement des pneus sur une route mouillée, elle se met à crier. De plus en plus fort. Sans réfléchir à la présence de quiconque aux alentours, je plaque mes mains sur mes oreilles, me laissant presque tomber au sol, les livres avec. Sa voix résonne dans tout mon être. Je m'attends presque à voir les fenêtres exploser à tout moment. Bientôt, je lâche un cri de douleur. C'est ma tête, qui va exploser, au final. J'entends mon cœur battre dans mes oreilles et mon corps se crispe. Je reprends mon souffle, haletante, et elle s'arrête brusquement.

 Lorsque je tourne la tête, des regards effarés sont posés sur moi. La bibliothécaire me regarde d'un air sévère, visiblement plus inquiète quant à la tranquillité du lieu que vis-à-vis de ma santé - ou survie. Pantelante, je me relève, attrape le livre et part presque en courant. Tant pis pour les autres bouquins. Je pars comme une voleuse avec l'exemplaire non emprunté.

 Heureusement pour moi, c'est une petite bibliothèque de campagne - aucun détecteur ne vient stopper ma course, et le personnel est trop occupé à pester envers les livres laissés derrière pour s'occuper du petit livre que je sers contre ma poitrine. Je ne sais pas ce que c'est. Je sais juste que l'Ombre l'a pointé du doigt. Et que c'est la première fois que j'entends sa voix.

 J'aurai bien aimé pouvoir partir comme ça. Seulement les remords viennent rapidement. Pourquoi ? Je n'ai pas emprunté le livre. Je suis partie avec. Et si.... Et s' ils prévenaient mes parents ? Ils ne les connaissent peut-être pas, après tout ils ne vont jamais dans cette bibliothèque - ni aucune pour ne pas aller plus loin. Tout de même. Et s'ils me retrouvaient ? Je ne vois pas ce qu'ils feraient d'une jeune fille partie en oubliant d'emprunter un livre, surtout lorsque cette même jeune fille possède une carte de membre. Et si... Et si…

 Je rebrousse chemin, plus embarrassée que jamais. Ma réflexion n'a duré que quelques minutes, ce qui signifie qu'ils ont eu assez de temps pour ranger les livres après mon passage, mais pas assez pour cesser d'être indignés.

 En arrivant au comptoir, je me racle la gorge et la femme se trouvant derrière relève un air mauvais.

 — ... Vous revenez pour quoi ?

 — Je... Voulais m'excuser, elle émet un reniflement suffisant, et aussi emprunter ce livre.

 Je dépose l'ouvrage sur le comptoir et elle l'attrape sans même m'adresser un regard.

 — Il est pas à nous ce bouquin. Maintenant fichez le camp d'ici.

 Mes joues deviennent si rouges que les larmes me montent aux yeux et je déglutis en reprenant le livre. Je me confonds en excuse et la femme finit par soupirer. Elle balaye tout cela d'un geste de la main.

 — Bien bien, j'ai compris. Pars maintenant. Et la prochaine fois, range les livres, achève-t-elle.

 Je hoche vivement la tête et m'empresse de sortir de ce lieu dans lequel je ne souhaite plus jamais mettre les pieds.

 Au moins, j'ai trouvé quelque chose. Même au travers de la migraine qui m'embrume l'esprit, le titre me surprend, car je n'y comprends rien. Je suis loin d'être érudite, en termes d'écritures, mais ça ressemblerait presque à des symboles, ou des hiéroglyphes. Peut-être même des runes.

 Malheureusement je ne sais rien lire de tout ça.

 Il va bien falloir cependant. Je ne peux ignorer la réaction de l'Ombre. C'est la première fois que je l'entends formuler des mots, quand bien même ils n'ont ni queue ni tête.

 Ce livre contient les réponses à mes questions. Et je compte bien découvrir ses secrets.

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