Chapitre 6.

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 A bien y regarder, le livre ressemble plus à un grimoire. J'ai seulement tourné quelques pages pour le moment, dans l'espoir d'y voir des écritures que je reconnaîtrais - mais rien. Il s'agit toujours de ces symboles illisibles.

 Depuis que j'ai entamé la pseudo-lecture de l'ouvrage, une gêne persistante subsiste sur ma poitrine, comme si un poing venait s'y enfoncer pour me couper la respiration. Pourtant, pas d'Ombre en vue. Seulement ces écrits auxquels je ne comprends rien. Maintenant que je tourne des pages en plus, je remarque des dessins, comme des annotations.

 Sur une page, un homme avec un animal noir de jais à ses pieds. Rien de bien utile puisqu'il s'agit d'un gribouillage. Comment faire confiance à un livre qui en contient ? Je poursuis tout de même ma quête de ces dessins, jusqu'à arriver à l'un d'entre eux qui me fige. Il s'agit cette fois-ci de mon Ombre. Peut-être pas la mienne. Mais quelque chose crie au fond de moi. Il aurait pu s'agir d'un simple coup de crayon sans réel sens, mais ces tourbillons d'encre noirs prennent une forme humaine. J'effleure le dessin du bout des doigts et mon regard se pose sur l'inscription se trouvant en dessous. Encore une que je ne comprends pas.

 Mon cœur s'accélère sous la découverte, se gonflant d'espoir. Malheureusement, j'ai beau tourner les autres pages, je ne trouve rien d'intéressant. Il y'a d'autres dessins, oui, mais qui ne me parlent pas. Un croissant de lune, des plantes - auxquelles je ne connais rien, La déception fait mal. Ma découverte consiste en un seul dessin. Qui parvient à m'insuffler une idée, malgré le fou total qui l'embaume : peut-être, seulement peut-être, y'a-t-il une chance que je n'imagine rien ?

 Je retourne en arrière pour retrouver le dessin et mon regard reste planté sur l'écriture juste en-dessous. Malheureusement, j'ai beau chercher encore et encore je ne trouve rien. Écrit à la verticale, le mot - si s'en est un - doit sûrement être le nom de cette chose. En haut, une vague étrange, suivie, en bas, de deux points. Pour le reste je ne saisis pas bien. Un carré, une autre vague étrange, d'autres petits points, un crochet. J'ai beau chercher, cela ne correspond en rien aux écritures que je connais déjà, ou que j'ai trouvées sur internet.

 J'aimerai m'autoriser à me décourager, mais je me rappelle que ce matin encore, je n'avais rien. Et même si ce n'est pas grand chose, il y'a au moins un indice, un filet d'espoir. Peut-être que ça va seulement me persuader d'une chose qui n'existe que dans mon esprit. Peut-être que ça représente une preuve que je ne m'invente rien.

 Je me répète de m'accrocher.

 C'est à ce moment que j'entends une plainte derrière moi. Elle est là, de nouveau. Assez. J'attrape le livre et me retourne vers elle. L'index pointé sur le dessin, je m'exprime avec une force que je m'ignorais face à l'Ombre.

 — C'est toi, là, pas vrai ? C'est quelque chose comme toi ? Dis-le moi. Réponds-moi.

 Nouvelle plainte. Sa fumée se disperse, se reforme, comme un feu face aux assauts de la pluie. Hésite-t-elle ? Puis-je seulement lui prêter de tels sentiments ? Lorsque j'avance le livre vers elle, elle recule et se tasse. Je ne m'arrête pas, sentant une confiance monter en moi alors que je pense avoir dans les mains un talisman. Cependant, elle ne me laisse pas approcher davantage. Elle crie et j'en fais tomber mes livres, plaquant de nouveau mes mains sur mes oreilles. Elle fond sur moi et sans que je ne puisse parer une quelconque action de ma part, mon esprit retourne dans la mer agitée dans laquelle elle m'envoie si souvent.

.

Les ordres se font entendre.

Comme des grondements dans l'air.

Un jeune homme, tout particulièrement affolé, vient d'ouvrir l'immense porte de la salle où des hommes en tenues sombres s'affairent, rangeant, dérangeant. Essoufflé, il s'approche de quelqu'un, dont les yeux gris et les sourcils froncés témoignent d'une sévérité certaine.

Il dit quelque chose, quelque chose d'inaudible. Du moins pas pour son interlocuteur. Les yeux de ce dernier s'écarquillent, il recule, pose une main sur le bureau et crie quelque chose. Aussitôt, tout le monde cesse de bouger. Le temps paraît suspendu. Derrière la porte qui s'est refermée, le martèlement des coups fait reprendre vie aux habitants inanimés de l'endroit. Ils recommencent à chercher quelque chose. Ou peut-être cherchent-ils à le cacher.

L'annonciateur de la mauvaise nouvelle s'incline respectueusement et sort.

L'homme à l'air sévère de tantôt passe une main dans ses cheveux grisonnant et sert une main sur le bureau. On lit sur son visage un désespoir qu'il tente de contrôler. Une incrédulité. Sa mâchoire se serre, ses lèvres se pincent, comme s'il s'apprêtait à maudire les Dieux, à faire tomber la foudre.

Lentement, il inspire. Ses yeux se ferment, le tant d'un court instant, et lorsqu'ils retrouvent la lumière du jour, plus aucun doute n'y est visible.

Celui qui semble se montrer comme un supérieur de cette étrange brigade quitte le bureau et avance d'un pas décidé. Celui d'un meneur. Il pousse les portes et s'offre à lui un spectacle que l'on ne peut souhaiter à personne.

Dans l'immense pièce habitée par des murs de pierre, l'obscurité relative ne permet que de les apercevoir. Ces hommes et ces femmes, étendus au sol, recroquevillés les uns sur les autres, ou encore debout, chancelants. Un liquide rougeâtre teinte le sol, s'infiltre dans les crevasses, laisse sa trace.

Un cri se fait entendre et une mère couchée au-dessus de son enfant prie un Dieu au nom inintelligible, les poings serrés, joints l'un à l'autre. Autour d'elle, des pleurs, des sanglots, de la colère.

Mais l'homme avance. Car ce n'est pas ce qu'il est venu voir. Car, dehors, ses hommes se battent. Un coup de tonnerre retentit, un hurlement résonne dans la nuit, et le calme se fait.

Plus personne ne parle.

Plus personne ne pense à respirer.

Une fois de plus, le temps se suspend, comme pour laisser le temps aux vivants de faire leur deuil. Ou peut-être est-ce pour leur laisser l'occasion de s'enfuir. Lorsque l'homme ouvre la porte, une larme se fraye un chemin jusqu'à sa joue, et il ne peut que contempler, impuissant ce terrain de bataille rouge carmin. Avant qu'il ne puisse refermer la porte, elle s'avance, fond sur lui comme un faucon sur une proie et-

Et plus rien.

La vague arrive de nouveau et emporte tout, mettant fin à une vision d'horreur.

.

 Je reprends brusquement connaissance, pantelante. Car s'il s'agit d'un souvenir, ce n'est pas le mien.

 Et l'Ombre le sait.

 Elle semble me fixer, à travers mes larmes. Sa main se tend de nouveau vers moi. J'attends de replonger à nouveau, résignée, mais elle disparaît.

 Je n'ai pas le temps de m'interroger sur l'étrangeté de son comportement que je m'écroule de nouveau au sol, incapable de me relever, secouée de soubresauts.

 Je sens encore le fer emplir mes narines à chaque respiration. Leur cri fait écho dans mes oreilles. Leur peine est la mienne, le temps d'un instant. Leur colère aussi. Tout était si réel, si tangible, si loin de tout ce que j'ai pu imaginer, rêver, cauchemarder un jour.

 Je n'arrive alors qu'à formuler qu'une seule pensée avant de sombrer dans un sommeil sans rêve : je n'ai rien inventé. L'Ombre est réelle. Et elle n'est pas le seul mystère que j'aurai à déjouer.

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