Chapitre 3.

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 Lorsque les choses sont trop mouvementées pour moi, tout se ferme. J'ai l'impression de devenir une spectatrice. Comme si tout ce qui se déroulait devant mes yeux n'était qu'un film, et que je me contentais seulement de le voir. C'est encore à cause de l'Ombre. Elle pose ses mains devant mes yeux. Et je ne peux qu'apercevoir la scène de loin, entre les volutes de fumée qui la composent.

 Cette dernière recouvre mes oreilles, et j'ai l'impression d'être sous l'eau. Les sons sont distants. J'entends bien les cris, mais ils sont déformés, un peu lorsque l'Ombre me parle. Je ne les comprends pas.

 Ma mère pleure, mon père crie, ça a toujours été comme ça. Eux aussi sont enfermés dans une routine éreintante qui ne fait que les blesser mais dont ils ne peuvent pas sortir. Je ne sais pas si c'est par habitude, par peur, par plaisir d'avoir un défouloir à la maison.

 Ils ne me regardent pas, de toute façon.

 Je monte les escaliers jusqu'à ma chambre et l'Ombre me suit tout au long du chemin. Lorsque je me laisse tomber sur mon lit, elle me lâche et reste debout, sur mon lit. Si elle avait des yeux, je croirais presque qu'elle me regarde. J'aimerai lui demander ce qu'elle fait ici, pourquoi elle fait tout, lui crier de disparaître ou de me parler enfin, que je comprenne. Peut-être qu'on croirait que je souffre d'un trouble quelconque, si on m'entendait. Tant pis. C'est peut-être vrai. Peut-être que je devrais aller voir un médecin, qui sait. Certains seraient déjà allés en voir un, et ils auraient sûrement raison. Je suis juste inconsciente. Ou désespérée de rester tapis dans ce déni un peu trop confortable.

 Tant qu'on ne m'a pas prouvée qu'elle n'existe pas vraiment, que je délire juste, je peux me dire qu'elle est bien là. Qu'elle est plus effrayante que jamais, mais qu'au moins je n'ai rien inventé.

 Maintenant qu'elle m'a lâchée, je les entends vociférer plus que jamais. Un peu trop clairement à mon goût. J'ai beau poser mes mains sur mes oreilles, ils continuent. Pourquoi ont-ils le droit de crier alors qu'ils me traitent d'hystériques lorsque je le fais ?

 Soudain, l'ombre entame un mouvement. Elle s'approche de moi, tendant ce qui doit être un bras. Et je sais ce qu'elle va faire. Je ne peux pas bouger. Je sens simplement mon cœur s'accélérer, prévoyant ce qui allait se passer, avant même que mon esprit ne puisse le formuler. Il se ralentit brusquement lorsque sa main entre en contact avec moi, disparaissant dans mon crâne. Mes yeux doivent se révulser car je ne vois plus rien. Ma bouche s'ouvre en un cri mais je n'entends plus rien. Comme auparavant, j'ai l'impression d'être sous l'eau. Sauf que cette fois-ci, je me noie, sans pouvoir me débattre.

 Ça, c'est un jeu de l'Ombre.

 Un terrible jeu.

 J'entends un rire cristallin et avant que je ne réalise ce qu'il va se passer, un silence complet se fait, et je ne suis de nouveau qu'une simple spectatrice muette.

.

Le petit garçon laisse échapper un rire alors que sa sœur s'évertue de fuir le ver de terre qu'il tient dans ses mains. Sur ses petites jambes potelées, elle s'élance dans les bras de sa mère.

— Mamaaan... N-Nathan il..., elle fait mine de sangloter, il me poursuit avec ce truc- là !

Elle désigne d'un doigt accusateur sa propre image, avec des cheveux simplement plus courts, mais un même regard brillant de malice.

— C'pas moi ! fait-il avec un air outré, mettant ses mains dans son dos.

— Nathan...

Le haussement de sourcil de sa mère, accompagné d'un ton accusateur, suffit à arracher une moue au garçon qui tend sa main droite devant lui et laisse tomber le pauvre ver au sol. Un sourire victorieux apparaît sur le visage de l'enfant nichée dans les bras de l'adulte. Elle tire la langue à son frère qui ouvre grand la bouche avec un air outré.

— 'Man ! 'Man ! T'as vu ? Tiana elle a...

— Nathan, ça suffit. Allez jouer tranquillement, papa et moi on doit discuter de choses importantes avec vos oncles et tantes.

— ... Oui maman.

Elle laissa glisser doucement au sol l'enfant, déposant une baiser sur le front de ses enfants, avant de retourner vers la grande table trônant dans le jardin, sur un semblant de terrasse.

De l'extérieur, peu de choses semblent permettre de différencier les deux bambins. Les mêmes cheveux bruns, bouclant sur leur tête. Les mêmes yeux rieurs aux teintes ambrées. Les mêmes joues rondes et le petit nez en trompette. Nathan avait simplement les cheveux légèrement plus courts, formant un véritable amas de petites boucles sur le haut de son crâne. Hormis cela, ils portaient tous deux une tenue semblable, pratique pour pouvoir courir partout - sous étroite surveillance. Enfin. Étroite surveillance quand un sujet plus important ne tombait pas. Les sosies trottinèrent jusqu'à la table en espérant être discrets et pouvoir glisser une oreille à la discussion dont ils ne comprendraient de toute manière pas grand chose, mais leur père les vit et les fit déguerpir aussitôt.

La vermine, car c'était là le surnom qui était sorti, ne se fit pas prier pour aller jouer dans le jardin. Tant pis. Ils tenteraient de nouveau après !

Les deux enfants allèrent jusqu'au grand arbre qui posait fièrement depuis plusieurs décennies au milieu de la pelouse relativement tondue.

Sur sa branche la plus solide, orientée vers la fin du jardin, trônaient deux petites balançoires, attachées avec de la corde, avec pour assise une planche de bois. Ils s'y ruèrent en se bousculant pour arriver en premier à celle de droite. Pourquoi celle de droite ? Car aujourd'hui c'était la droite qu'il fallait atteindre en premier.

Ce fut le garçon qui gagna cette fois, avec un grand sourire ravi au visage.

— T'es nulle ! J'ai gagné ! fit-il en tirant la langue à son tour.

— T'as triché d'abord.

— Même pas !

— Si j'ai vu !

— Mais comment j'aurai pu tricher on a couru en même temps !

— C'est pas vrai, menteur ! T'as dit 1, 2, et t'es parti au deux alors qu'il faut atteindre le trois, t'es un tricheur !

— C'est toi la menteuse, c'est pas vrai !

Et après une longue bataille acharnée, Nathan avait fini par céder la balançoire droit, identique en tous points à l'autre, sous la moue fière de sa sœur. Au bout de quelques secondes à grommeler, il avait laissé tomber. Après tout, c'était sa sœur qui était rancunière, pas lui.

— Dis, Tiana, commença-t-il en se balançant maladroitement, sans bien avancer.

— Oui ? fit cette dernière, faisant de même.

— Tu seras toujours là pas vrai ? Je veux dire, on sera toujours là l'un pour l'autre ?

Un grand sourire apparut sur le visage de l'enfant lorsqu'elle répondit, avec la confiance la plus innocente que l'on puisse trouver :

— Toujours.

Après cela, la vague arriva. Elle emporta tout sur son passage. De la balançoire aux voix des adultes, de l'arbre fleuri aux voix des enfants, pour tout engloutir.

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