Chapitre 9 (1ère partie) : Un si long hiver

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Cela faisait déjà quelques jours que notre abri était terminé. Arouk occupait une grande partie de ses journées à chasser et, de mon côté, je posais des collets dans le sous-bois pour attraper des lièvres. Tant que l'eau de la rivière ne fut pas trop froide, j'y pêchais également et, au cours de ces journées, ce fut surtout de poissons que nous nous nourrîmes. Mais ce temps que je consacrais à la chasse n'occupait pas toutes mes journées et le reste du temps, je veillais à améliorer l'intérieur comme l'extérieur de notre abri. Quand je partais en exploration dans les alentours, j'emportais toujours au moins deux grands sacs de peau avec moi pour ramener soit de la nourriture, soit des provisions de mousse que je déposais sur le toit de notre abri en une couche la plus épaisse possible : ainsi les interstices entre les branches et branchages étaient-ils bien comblés et ni la neige, ni les pluies du printemps ne pourraient passer au travers.

J'avais aussi ramassé beaucoup de feuilles que je mêlais à des petits bouts de mousse pour réaliser une couche bien épaisse et Arouk ne sentait désormais plus le froid du rocher.

J'étais, ce jour-là, assise devant notre abri, entretenant le feu avec soin et m'occupant à tanner la fourrure d'un lynx qu'Arouk avait tué. Etirées entre des pieux plantés au-dessus d'un autre petit feu, deux peaux séchaient, l'une d'un jeune chevreuil dont la viande avait déjà été fumée et était désormais entreposée parmi nos provisions et l'autre étant celle du lynx.

Le soleil était de plus en bas sur l'horizon, les jours de plus en plus courts. Chaque matin désormais, le sol était recouvert de givre blanc, même si nous bénéficiions de l'abri des grands arbres. Ils avaient tous perdu leurs feuilles. La rivière coulait toujours, il faudrait encore au moins une bonne lune pour qu'elle gèle et deux pour qu'on puisse la traverser sans risque. Mais la neige serait là avant.

Quand Arouk revint, portant plusieurs lièvres attachés par le cou et un autre jeune chevreuil sur les épaules, il me trouva bien songeuse devant le feu. Il déposa sa chasse près du foyer et vint s'agenouiller près de moi.

- Ca va, Ourga ? J'ai fait bonne chasse, encore aujourd'hui. Je ne pense pas que nous manquerons de viande. Deux chevreuils en quelques journées, cela augmente bien nos réserves. Et les lièvres sont encore bien grassouillets.

- Oui, ça va, dis-je d'un ton un peu léger. Mais quelque chose m'inquiète, Arouk.

- Ah ? s'étonna-t-il en suspendant le geste qu'il faisait pour se saisir d'un des lièvres et le préparer.

- Oui, repris-je. Je n'ai pas eu ma période sanguine depuis le rassemblement. J'aurais dû l'avoir quand la lune n'apparaît pas dans le ciel, et là, elle sera bientôt toute ronde. Peut-être que je porte déjà un bébé ?

Il me fixa avec gravité, mais je vis une lueur de joie s'allumer dans ses yeux.

- Tu penses que... que les esprits t'ont déjà accordé cette joie ?

- Oui... C'est possible. Même si ma Grande Mère dit toujours qu'il faut attendre au moins deux lunes sans période sanguine pour être sûre. Je n'en ai jamais manqué la moindre. Mais... mais si c'est le cas, alors cela voudra dire que le bébé sera là avant que nous ne retrouvions les miens, au printemps.

- Le printemps est court, Ourga. Peut-être qu'il naîtra quand nous serons de retour parmi ton clan.

- Oui, peut-être...

Je me tus un instant et lui aussi. Je fixais toujours le feu devant nous.

- Mais... mais s'il naît avant... quand nous serons encore seuls... Je ne saurai pas le mettre au monde toute seule !

Il entoura mes épaules de ses bras et me força à m'appuyer contre lui. Je me laissai aller contre son torse, l'entourant en retour.

- Ourga. Ne t'inquiète pas encore. Attendons d'être sûrs. Et alors, nous aviserons. S'il faut que tu retournes parmi les tiens, je t'accompagnerai, mais je resterai à l'écart, jusqu'à m'assurer que tu les as bien retrouvés et puis je reviendrai ici. J'attendrai alors que l'été arrive pour vous rejoindre, comme je dois le faire.

- Il faudra traverser la rivière quand elle sera bien gelée. Pas avant, et pas trop tard non plus.

- Bien sûr. Mais l'hiver est long et la glace sera épaisse longtemps. Nous ne prendrons aucun risque : ni pour la traversée à deux, ni pour mon retour. Reste sereine.

Je fermai les yeux et respirai un peu fort. La chaleur de ses bras était réconfortante.

**

Ce matin-là, alors que je me trouvais encore dans les brumes du sommeil, je sentis bien que quelque chose était différent. Arouk se leva le premier, me laissant au chaud sous les fourrures. J'avais encore sommeil. Je l'entendis vaguement s'activer, relancer le feu et faire chauffer de l'eau dans le bol en os que nous réservions à cet effet.

Quand j'ouvris vraiment les yeux, j'eus la surprise de le trouver à l'intérieur de notre abri, assis, réalisant un petit foyer près de la porte, en posant des pierres en cercle.

- Arouk ?

Il releva la tête et se tourna vers moi.

- Il a neigé cette nuit, Ourga. Je prépare le feu pour l'intérieur de l'abri.

- Ah...

- Mais on va pouvoir s'activer encore dehors. Maintenant, cependant, il faudra sortir avec parcimonie. J'irai relever nos derniers pièges tout à l'heure. As-tu faim ?

- Pas encore, répondis-je en secouant la tête.

Depuis peu, le matin, je me sentais bizarre au réveil et il me fallait toujours attendre un moment avant de pouvoir avaler un peu de nourriture. Je m'habillai cependant rapidement. Ces derniers jours, nous avions aussi ressorti nos vêtements d'hiver, plus épais et plus chauds, et nos fourrures bien épaisses. Même si elles représentaient une charge, nous ne les laissions jamais au camp d'hiver, car l'été pouvait être écourté et il arrivait que l'on en ait besoin sur le chemin du retour, surtout pour les clans qui avaient un long trajet à faire comme c'était le cas pour celui d'Arouk. Ce fut ainsi, bien chaudement vêtue, que je le rejoignis. Je jetai un oeil par la porte et vis un paysage tout blanc s'étendre devant moi.

- Tu crois qu'on va avoir assez de bois ?

- Ca pourra être juste certains jours, mais nous sommes dans une forêt, Ourga, entourés d'arbres. Il sera aisé de prélever quelques branches pour alimenter les feux. J'aimerais pouvoir toujours en faire un à l'extérieur, le plus longtemps possible, pour éloigner les animaux.

Je hochai la tête : sa crainte que nos réserves ne soient pillées ou que nous ne soyons attaqués par des carnassiers était grande. C'était même cela qu'il craignait le plus, d'autant que nous avions pu réaliser des provisions conséquentes.

Je m'assis près de lui et il me tendit mon bol et un morceau de viande séchée. Les spasmes qui agitaient toujours mon estomac le matin s'espacèrent, pour se calmer tout à fait. Je mangeai aussi quelques noisettes, puis nous sortîmes. Il s'éloigna pour relever nos collets et je descendis à la rivière pour ramener de l'eau. Tant qu'elle coulait, j'aimais autant y puiser nos réserves que prendre de la neige. Puis je fis le tour de notre abri, m'enfonçant un peu sous les arbres : sous certains troncs, la neige n'avait pas encore recouvert le sol et je ramassai encore un peu de mousses, de brindilles. Une fois mon sac bien garni, je retournai à l'abri. Arouk ne tarda pas à m'y rejoindre avec deux nouveaux lièvres. Cela nous ferait de la viande fraîche pour les jours à venir.

Ce fut une bonne chose, car la neige se remit à tomber avant la fin de la journée et cela dura plusieurs jours. Elle s'accumulait sur notre toit et autour de notre abri, mais, chaque jour, Arouk sortait pour l'enlever et conserver un espace dégagé suffisant pour qu'on puisse au moins en faire le tour. A l'intérieur, il ne faisait pas froid. Nous entretenions notre feu en continu et nous nous activions aussi, à tanner les peaux, à assembler les fourrures, à entretenir nos outils et nos armes de chasse. Ainsi passèrent les jours et je vis revenir avec un mélange de curiosité et d'appréhension la période où la lune était absente du ciel. Une fois de plus, je n'eus pas ma période sanguine et je fus certaine, alors, de porter un bébé.

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