Chapitre 1 (1ère partie) : Le grand rassemblement

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Ce fut le premier chant des oiseaux qui me réveilla, alors que le soleil n'était pas encore levé et que seule une pâle lumière annonçait le jour à venir. Prise d'un besoin pressant, je me levai sans bruit, soulevant le pan qui fermait le grand abri où toute ma famille dormait encore.

Mon regard fit rapidement le tour du campement : plusieurs grands abris similaires au nôtre, quelques-uns plus petits et trois plus grands se trouvaient là. Plusieurs petits foyers avaient été creusés dans le sol, mais d'un seul s'élevait encore un léger volute de fumée : c'était le plus grand des foyers, celui où nous faisions cuire les gros morceaux de viande, cuissots de renne ou de chevreuil, de cheval, et au-dessus duquel nous faisions sécher les peaux.

Je m'empressai entre les abris, entendant parfois les ronflements de certains, dont ceux de Burd, le fils du chef, bien reconnaissables car parmi les plus sonores. En contrebas, j'entendais la rivière couler assez vivement : les pluies des derniers jours avaient grossi son débit et je me dis que ce ne serait pas avant au moins deux nouvelles journées que je pourrais pêcher des truites ou des saumons.

Faisant le tour du dernier abri, je me glissai derrière des arbustes ras, me guidant grâce au bruit de l'eau et des premières lueurs du jour, mais aussi grâce à l'odeur : cet endroit, situé assez loin de notre campement, était dédié aux besoins. Nous y jetions aussi nos déchets. Dans la journée, Grak, notre chef, le ferait combler avec de la terre et des feuilles.

Je relevai ma tunique, m'accroupis et laissai avec un plaisir évident l'urine se déverser entre mes cuisses et se répandre sur la terre meuble. Je quittai prestement le lieu, mais je ne retournai pas tout de suite au campement : j'aimais me rincer en fin de nuit.

Malgré la fraîcheur de l'aube, j'ôtai ma tunique et, frissonnante, j'entrai dans l'eau jusqu'à mi-cuisses. J'avais choisi un endroit où la rive était basse et grâce aux pluies récentes, le niveau de l'eau avait légèrement monté : entrer dans la rivière était donc aisé. M'accroupissant à nouveau, mais cette fois au-dessus de l'onde fraîche, je me lavai sommairement en projetant de l'eau jusque sur mon ventre. Cette nuit, nul homme n'avait partagé ma couche et ma toilette fut rapide. Je renfilai prestement ma tunique, car même si le vent ne s'était pas levé, l'air était encore frais. Dans moins d'une demi-lune, cependant, ce serait l'été et je m'en réjouissais.

Alors que je retournai au campement et que je me glissai entre les abris pour regagner le nôtre, je vis que notre Grande Mère était éveillée. Elle se tenait devant son abri, le plus petit de notre camp. Un petit feu était allumé devant elle et je me fis la réflexion qu'elle avait dû l'allumer durant mon absence car lorsque j'étais sortie, son foyer était éteint. Me voyant, elle me sourit et me fit un petit signe de la main. Je vins vers elle et m'assis en tailleur de l'autre côté de son foyer. Elle avait rempli d'eau une peau rendue étanche pour avoir été tannée durant de longues nuits et enduite de graisse, et y avait déposé deux petits cailloux qu'elle avait prélevés dans son foyer : l'eau devenait chaude, je le voyais à la légère buée qui s'échappait de la peau. Elle retira avec soin les petits cailloux et jeta des herbes dans l'eau. Avec délectation, je respirai l'odeur qui en monta alors.

- Bonjour, Ourga, me dit-elle.

- Bonjour, Grande Mère.

- Tu es levée bien tôt... Tiens, prends cela. Tu frissonnes.

- Je suis allée jusqu'à la rivière, dis-je.

Elle me sourit. En portant la petite outre jusqu'à mon visage, je la regardai un instant. Du plus loin que remontaient mes souvenirs, je l'avais toujours connue. Elle avait peu changé aussi, seuls quelques cheveux gris à ses tempes et sa peau plus foncée témoignaient du temps qui passait sur elle. Mais elle avait bien moins changé au cours de ces années que d'autres membres de notre clan.

Elle m'observa en silence alors que je buvais mes premières gorgées et me dit, tandis que je reposai l'outre devant elle.

- Retourne dormir encore un peu, Ourga. La journée sera chargée...

Je hochai la tête, la saluai et regagnai ma tente : Grande Mère avait raison. Non seulement la journée qui s'annonçait serait chargée, mais autant que toutes celles que nous connaissions depuis la dernière lune pleine et jusqu'à la prochaine. Nous devions préparer notre départ pour le grand rassemblement d'été de tous les clans de mon peuple.

**

Ce fut finalement ma petite soeur, Kari, qui me réveilla par son bavardage incessant : dès que Kari était réveillée, elle parlait et ne s'arrêtait qu'en s'endormant. Il était donc impossible de l'emmener encore avec moi à la chasse ou à la pêche, car elle faisait trop de bruit. Elle demeurait donc toujours au campement. Elle aurait bientôt dix étés et je ne pouvais m'empêcher de penser qu'à son âge, je savais déjà bien utiliser ma fronde, poser des collets et que je maîtrisais quasiment à la perfection l'art d'attraper les poissons à la main.

Maman s'activait déjà, mais me tendit un morceau de viande séchée et une galette de farine. Je dévorai. Mon frère, Lorg, quitta la tente pour rejoindre tous les hommes valides à l'appel de Grak, qui allait déjà répartir les différentes tâches de la matinée. Gourn, le compagnon de maman, le suivit de peu. Lorg et moi avions le même père, Kari était issue de l'union de notre mère avec Gourn. Il nous avait élevés tous les trois comme si nous étions ses propres enfants et disait souvent qu'il avait été heureux et chanceux que notre mère l'acceptât dans son foyer. Notre père était mort à la chasse alors que j'étais vraiment toute petite. Je n'avais aucun souvenir de lui, même si, parfois, son image venait marquer mes rêves. Maman possédait alors un statut élevé, avec deux enfants, et un compagnon mort avec bravoure. Gourn ne pensait pas qu'elle l'aurait choisi, lui qui ne possédait que peu. Mais s'il n'était pas mauvais chasseur, il avait l'art de savoir tanner les peaux et c'était toujours lui qui nous avait fabriqué nos vêtements.

Je ne tardai pas à avaler mon petit repas et j'aidai maman : hier soir, Grak avait annoncé que nous partirions avant que le soleil n'ait atteint son plus haut point dans le ciel. Nous avions depuis plusieurs jours, comme les autres familles, rassemblé nos affaires, ce que nous emmènerions pour le rassemblement. Mais nous nous devions d'être les premiers sur le lieu choisi, car nous étions le clan le plus proche du lieu de rassemblement, celui qui devait aussi organiser les premiers préparatifs pour accueillir tout le monde. C'était un grand rassemblement qui s'annonçait, bien plus important que ceux des étés précédents où nous nous retrouvions alors seulement à trois ou quatre clans. Là, nous serions une dizaine, ce qui représentait un si grand nombre de personnes que je n'aurais pu les compter.

En préparant mes affaires, j'avais aussi choisi les petits cadeaux que j'offrirais aux uns et aux autres au cours des deux lunes que nous passerions au rassemblement : colliers réalisés avec des éclats d'os et des petits cailloux, cordes tressées, peaux tannées dont j'avais fait des petits sacs, des étuis. Ce n'était pas trop lourd à porter : comme chacun, je devrais porter non seulement les affaires, mais aussi une partie des éléments utiles à tous.

Nous fûmes prêts à l'heure dite et Grak annonça alors notre départ. Aucun d'entre nous ne restait à notre campement, nous ne comptions pas de malades ou de vieillards trop âgés pour faire le trajet. Grak et Grande Mère réalisèrent la petite cérémonie permettant de protéger notre campement durant notre absence et Grak éteignit le dernier feu.

**

Après deux jours de voyage, en suivant le cours de la rivière vers son amont, nous arrivâmes aux abords de la grande plaine où allait se tenir le rassemblement. Le lieu avait été bien choisi et lorsque l'organisation nous en incombait, c'était toujours là que nous invitions les autres clans à nous retrouver. La plaine était vaste et de nombreux troupeaux y passaient, ce qui nous assurerait de la viande pour tout le rassemblement et permettrait aussi à chaque clan de repartir avec des provisions pour l'hiver. L'endroit choisi était la rive la plus large d'une belle rivière, encore large et profonde, poissonneuse. L'autre rive était plus étroite et était surplombée par une haute falaise. Une forêt s'étendait plus en aval, que nous devions traverser avant d'arriver. Nous y trouverions aussi du petit gibier, des fruits, du bois, en abondance. Ce fut d'ailleurs une des premières missions que les femmes portant encore leurs bébés sur le dos ou sur le ventre allaient réaliser : explorer les abords sylvestres pour y faire l'inventaire des provisions possibles.

Nous nous installâmes rapidement, plantant des tentes légères et plus petites que celles de notre camp. Grak et Grande Mère consacrèrent les lieux et allumèrent les premiers feux. En moins d'une journée, tout fut prêt pour recevoir nos amis et les chasseurs avaient déjà tué plusieurs animaux que nous nous empressâmes de préparer.

Les clans arrivèrent les uns après les autres et lorsque le Clan du Renne s'annonça, je me trouvai au campement, à aider les femmes à préparer un repas. Mon coeur bondit de joie car j'allais revoir Ilya, ma meilleure amie. Elle avait tout juste un hiver de plus que moi, mais nous nous entendions si bien ! J'abandonnai vite mon ouvrage et me dirigeai vers l'extérieur du campement, pour les accueillir. Nombreux étaient ceux qui avaient fait comme moi : nous étions tous si heureux de revoir des amis ou de la famille !

Ilya me tomba dans les bras et nous nous étreignîmes avec joie. Leur clan s'installa près du nôtre, il restait encore de la place : les derniers clans devraient se mettre plus à la marge de notre foyer. Ilya planta sa tente non loin de la mienne et nous passâmes l'après-midi ensemble, à échanger des nouvelles, à parler de nos projets.

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