Chapitre 12 (2ème partie)

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A peine était-il sorti que je me laissai tomber au sol, épuisée. Ma Grande Mère s'activait à couper le lien entre lui et moi, alors qu'Arouk tenait le bébé. Ma mère et Nouka m'entouraient, épongeant mon front, me réconfortant. Puis Arouk approcha le bébé encore couvert de sang et d'humeurs de moi, ma mère guida ses gestes pour qu'il le dépose sur ma poitrine. Je fixai Arouk dont le visage était couvert de larmes et j'eus peur un instant qu'il n'y ait un souci. Mais c'était seulement l'émotion qui le faisait pleurer ainsi. Il déglutit et réussit à articuler :

- C'est un petit garçon, Ourga. Il y aura un fils dans notre foyer.

Je baissai alors les yeux vers le petit être qui gigotait sur moi et m'émerveillai déjà de le voir si bien formé. Son petit crâne était couvert d'un fin duvet châtain, il avait les yeux encore fermés, mais je notai son petit nez, ses joues, sa bouche encore ouverte sur un cri, son menton, ses oreilles. Ma mère guida ma main pour que je le soutienne sous les fesses.

- Il... il a ses petites mains, ses pieds... tout ! dis-je en un souffle. Il est beau ! Comme il est beau !

A ce moment-là, Kari se précipita vers nous. Elle n'avait pas bougé du bas de la butte, Gourn veillant à ses côtés. Toute la journée, ils étaient restés là, entourés par les amis, les autres membres du clan. On leur avait apporté à boire et à manger, Gourn ne voulant pas laisser Kari seule de peur qu'elle ne se rue vers nous et nous dérange. Mais, maintenant qu'elle avait compris que le bébé était né, elle ne pouvait plus se retenir. Gourn la suivait, mais en marchant, alors qu'elle, elle avait couru jusqu'à nous.

Elle s'assit à côté de ma mère et dit :

- Bouh ! Il est tout sale et tout rouge !

- On va le laver, expliqua ma mère. Et déjà d'ici demain, il ne sera plus tout rouge. Il a fait beaucoup d'efforts pour sortir du ventre d'Ourga, comme toi si tu avais couru toute la journée.

- Mais elle court toute la journée, cette petite ! dit Gourn. Sauf aujourd'hui...

Gourn se pencha un peu au-dessus de nous tous pour voir le bébé et sourit.

- Un beau petit garçon. Et déjà bien costaud ! Bravo, Ourga. Tu as été très courageuse. C'était une belle naissance.

Je souris, mais je sentais la fatigue m'envahir. Ma mère et ma Grande Mère le perçurent et dirent :

- Nous allons redescendre au campement bien vite, Ourga. Mais tu dois encore fournir un effort. Il y a tout ce qui nourrissait le bébé qui doit sortir. Rassure-toi, ce sera moins difficile et moins douloureux que pour le bébé.

Pendant qu'elles m'aidèrent, Nouka me couvrit d'une fourrure, car après l'effort et avec la fin du jour, je risquais de prendre froid à rester ainsi. Arouk était toujours à côté de moi, à nous regarder le bébé et moi. Puis, alors que ma mère veillait à l'expulsion des humeurs de mon ventre, ma Grande Mère s'occupa du bébé, de le laver, de l'emmitoufler. Elle le confia à Arouk le temps que l'on redescende jusqu'au campement. Gourn me porta quasiment tout le long du chemin, aidé par les femmes. Kari courait devant et annonçait la nouvelle à tout le clan en criant :

- Ourga a un petit garçon ! C'est un petit garçon !

Nous nous dirigeâmes d'abord vers la rivière où les femmes m'aidèrent à me laver et à renfiler ma tunique, puis nous regagnâmes notre abri. Alors que nous allions y entrer, je vis Ilya qui nous attendait, un grand sourire aux lèvres. Elle passa juste une main sur ma joue et me dit :

- J'espère que je réussirai une aussi belle naissance que toi. Tu es un bel exemple pour moi !

- Tu l'as été aussi...

Puis Gourn m'amena jusqu'au foyer. Là, quelqu'un avait dû préparer de l'eau, car ma mère et ma Grande Mère s'activèrent à nouveau pour laver mieux le bébé, le rhabiller et me donner une boisson réconfortante. Puis maman me redonna le bébé, le posa contre mon sein et me dit :

- Il faut que tu le nourrisses, maintenant, Ourga. Après, quand il dormira, tu pourras dormir toi aussi.

Mon fils s'était calmé, il ne pleurait plus. Mais, couché contre moi, sa petite main se posa sur mon sein. Avec précaution, je poussai sa tête vers mon téton, guidant sa petite bouche. Dès que ses lèvres sentirent la différence entre mon sein et mon téton, elles se refermèrent dessus et commencèrent à téter. Il me pinça un peu, j'eus mal, mais ma mère m'encouragea :

- Au début, il ne va pas trop savoir comment faire, Ourga. Mais ça viendra vite et toi aussi. Là, il prend bien, je crois.

Nouka, qui nous avait suivis, opina. Ma Grande Mère ajouta :

- Je vais chercher quelques herbes qui te feront du bien et te donneront du lait, Ourga. Je vais passer la première nuit ici, avec toi. Il faut veiller à ce que tu ne perdes pas plus de sang que la normale et que tout aille bien pour le bébé. Mais, maintenant, il va falloir lui trouver un nom, car j'évoquerai les esprits dès à présent pour lui. Même si ce ne sera pas encore la cérémonie officielle de présentation.

Je hochai la tête et me tournai vers Arouk qui était resté un peu en retrait, debout près du foyer. Il dit :

- Nous avons choisi de l'appeler Kourag.

**

La première nuit de mon bébé fut extraordinaire. Enfin, ce fut le souvenir que j'allais en garder. Arouk occupait l'ancienne couche de Lorg, pour que j'aie assez de place pour être bien installée et le bébé aussi. Kari était agitée au point que notre Grande Mère lui prépara une infusion qui parvint tout juste à la calmer. Ma mère se releva plusieurs fois, dès que Kourag pleurait, qu'il fallait le changer ou m'aider à le nourrir. Notre Grande Mère veillait. Mon flux sanguin était normal et, au matin, elle quitta notre abri avec sérénité.

A un moment que je dormais encore, je sentis la présence d'Arouk, sa main ayant effleuré la mienne. Le jour était pourtant levé, mais Kourag dormait encore. Je rouvris alors les yeux.

- Ourga, me souffla-t-il. Dors. Je ne voulais pas te réveiller. Juste vous regarder tous les deux.

- Tu a bien dormi ? demandai-je.

- Pas trop, mais ça va. Je ne suis pas trop fatigué, juste... très ému et très heureux.

Je lui souris.

- Je suis heureuse, moi aussi. Regarde comme il dort bien !

Nous nous penchâmes tous deux au-dessus de Kourag, profondément endormi, ses petits poings bien serrés, la tête légèrement sur le côté. Sa respiration était très régulière, parfois, son front se plissait un peu, ses lèvres faisaient mine de téter.

Arouk l'avait couvert, au coucher, avec la fourrure du lynx qui m'avait attaquée. Il l'avait gardée précieusement, comme la plupart des fourrures des animaux que nous avions chassés. Elle était d'un beau gris clair, presque blanc, et très douce. C'était le pelage d'hiver de l'animal, ce qui la rendait bien chaude et épaisse. Il l'avait travaillée pour qu'elle reste souple. Elle faisait une très belle couverture pour le bébé, juste à sa taille.

Mon regard quitta mon fils pour se tourner vers Arouk, vers l'homme de mon foyer. Il regardait encore Kourag dormir. Je tendis la main vers lui, caressai sa joue. Il me fixa alors et me sourit, avant de venir prendre mes lèvres pour un long baiser.

- Viens contre moi, un petit peu, dis-je. J'ai envie de te sentir près de moi.

Il passa par-dessus moi et vint s'étendre dans mon dos, à sa place habituelle. Certes, notre couche était un peu étroite pour trois, mais comme Arouk et moi étions étendus sur le flanc, cela allait. Il posa sa tête sur mon épaule, fixant toujours notre bébé.

- Il est beau, me souffla-t-il à l'oreille. Vous êtes beaux tous les deux. Je vous aime.

Et il passa son bras par-dessus moi pour poser sa main juste à côté du bébé. Je devinai qu'il hésitait à le toucher, pour ne pas le réveiller. Ma main rejoignit la sienne et nos doigts s'emmêlèrent. Il ajouta :

- Tu as été très courageuse hier. C'était une journée magnifique. Je suis heureux de l'avoir vécue et d'avoir été auprès de toi. J'espère t'avoir aidée autant que possible.

- C'était merveilleux que tu sois là. Si... si tu étais reparti, avant le printemps, et que j'avais dû vivre cela sans toi... Je ne crois pas que j'aurais réussi. C'était... je ne saurais dire combien c'était fort et important que tu sois avec moi. Tu me soutenais et étais toujours là dès que j'avais besoin...

Je me tournai légèrement pour chercher son regard. Ses yeux étaient devenus d'un bleu très doux, très tendre, alors qu'il fixait toujours Kourag. Je souris doucement et dis :

- Embrasse-moi.

**

Moins d'une demi-lune après moi, ce fut Atania qui donna naissance à son bébé. C'était déjà son deuxième enfant et son aîné était un garçon. Les douleurs l'avaient saisie dans la nuit et, alors que je nourrissais Kourag, j'avais entendu de l'agitation au-dehors. Ma mère, réveillée elle aussi par mon bébé, était sortie et m'avait dit :

- C'est Atania. Je vais aller l'aider. Si tu as besoin de moi, envoie Gourn. Je vais le prévenir que je sors. Puisque je suis réveillée, autant être utile.

- D'accord, dis-je simplement.

Avant de sortir, elle en profita pour raviver le feu. A mes côtés, Arouk dormait profondément. Kourag, en réclamant sa tétée, ne l'avait pas tiré du sommeil. Nous avions vite trouvé à nous coucher un peu différemment, pour qu'il puisse revenir près de moi. Nous avions dégagé l'espace près de nos têtes, en haut de notre couche, pour y installer Kourag. Je pouvais ainsi, si besoin, juste en levant un peu la main, le toucher. Je n'étais pas non plus obligée de me lever s'il avait faim dans la nuit. Pour le changer, en revanche, il fallait se lever, mais j'avais tout le nécessaire à portée de main, y compris de l'eau propre que je gardais dans une outre en peau étanche.

Ma mère sortit alors que je donnais toujours le sein à Kourag. Quand il fut repu, déjà presque endormi, je l'étendis sur ma fourrure et le changeai. Je laissai ses affaires souillées de côté, repliées soigneusement pour qu'elles ne laissent pas échapper de mauvaises odeurs. Nous nous en occuperions au matin seulement. Puis, je le gardai un petit moment contre moi. J'aimais ces instants, juste après l'avoir nourri, où il s'endormait contre moi. J'avais parfois l'impression que c'était encore comme lorsqu'il était dans mon ventre, que je pouvais le protéger de tout.

Arouk bougea légèrement, je le regardai, un peu inquiète de l'avoir réveillé. Mais son sommeil, à cette heure, était profond. En revanche, je savais qu'il serait réveillé avant moi, au matin, quand Kourag réclamerait encore à manger. Je recouchai mon tout petit, le couvris avec soin de sa peau de lynx, avant de me rallonger à mon tour. Au-dehors, tout était redevenu calme, mais je me doutais qu'avant la fin de la nuit, nous pourrions être réveillés, par intermittence, par les cris d'Atania, suspendue à l'arbre de naissance ou marchant tout autour.

Le bébé d'Atania naquit peu après l'aube. C'était à nouveau un petit garçon. Une fois que le jour fut bien levé, je sortis devant notre abri avec Kourag dans les bras. Je lui faisais profiter au mieux de la douceur de cette fin de printemps. Jour après jour, d'ailleurs, l'été s'annonçait, par des journées de plus en plus longues et de plus en plus chaudes. Nous ne tarderions pas à partir pour le petit rassemblement et il me tardait de revoir Lorg et Oda, de leur présenter mon bébé. Je me demandais si Oda avait été touchée par les esprits et si elle attendait aussi un enfant. Mais j'espérais beaucoup de ce rassemblement, pour m'unir enfin à Arouk. Et je savais que nul ne s'opposerait à notre union, cette fois, puisque Nema ne serait pas présente à ce rassemblement, son clan retrouvant celui du Lynx et celui de la Jument pour les petits rassemblements d'été.

Bien vite, Ilya me rejoignit. Les traits de son visage étaient tirés, elle me semblait vraiment fatiguée. Je lui fis bien vite une place et lui proposai une tisane réconfortante. Elle l'accepta volontiers et je lui confiai Kourag le temps de m'activer à l'intérieur de l'abri. Je préparai une tisane pour moi aussi, avec les herbes que ma Grande Mère m'avait données et qui favorisaient le lait pour les jeunes mères. Ilya voulut me rendre Kourag une fois que je fus assise à ses côtés, mais je lui dis :

- Garde-le un peu si tu veux.

- Merci, Ourga. C'est vraiment un beau bébé. J'ai beau le voir tous les jours, je trouve qu'il change ! Chaque jour, son visage me semble un peu différent... Tu arrives à te reposer ?

- Il se réveille deux fois dans la nuit. Enfin, je veux dire, il a faim tard le soir, puis il se réveille dans la nuit une fois, et ensuite, le matin, tôt. J'arrive à dormir entre chaque tétée. Mais je dors aussi l'après-midi, en même temps que lui. Maman y veille. Heureusement qu'il fait beau et qu'on n'est pas obligé de garder Kari enfermée à l'intérieur. Cela m'aide à me reposer.

- Quand nous serons revenus de la réunion d'été, que vous serez installés dans l'abri de Tyma - enfin, ce sera aussi votre abri -, ta petite soeur t'embêtera moins.

- Pas sûr, ris-je en réponse. Je suis certaine qu'elle viendra souvent faire sa curieuse !

Ilya sourit doucement. Malgré sa fatigue, je la trouvai très belle avec mon bébé dans les bras. Quand, à son tour, elle porterait ainsi son propre enfant, je ne doutais pas qu'elle serait toujours très jolie. Elle reprit :

- Je n'ai pas bien dormi cette nuit, et pourtant, je n'ai pas de petit bébé à me réveiller plusieurs fois.

- Tu as été réveillée par Atania ? demandai-je.

- Je l'étais avant qu'elle ne donne l'alerte et fasse prévenir la Grande Mère, me répondit-elle. Mais je ne me suis presque pas rendormie avant le matin. La prochaine, ce sera moi, Ourga, dit-elle en me fixant. Et j'ai un peu peur.

- J'avais peur, moi aussi, tu sais. Je me demandais si j'arriverais à faire naître mon bébé. Mais tu auras trois Grandes Mères à t'entourer. Et Kaarg sera là aussi, ta mère, ta soeur... et moi.

Elle me sourit doucement.

- Oui. Mon bébé naîtra pendant le rassemblement d'été... Cela arrive et c'est vrai que cela me réconforte de me dire que j'aurai tout ce monde autour de moi, pour m'aider. Kaarg a promis qu'il n'irait à aucune chasse tant que le bébé ne sera pas né.

- C'est bien, dis-je. Il veille vraiment bien sur toi. Je suis contente pour toi.

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