Chapitre 6 (2ème partie)

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Ce matin-là, le lendemain de ce jour où nous avions parlé, Arouk et moi, je descendis seule à la rivière. Je me lavai, puis m'installai sur une petite plage de sable fin pour me peigner soigneusement. Je remontai ensuite au campement, gagnai mon abri et je revêtis alors la tunique que je portais pour les fêtes, les cérémonies. Je retraversai d'un pas sûr tout le campement pour me rendre à un endroit que j'avais déjà repéré. C'était juste à la limite entre les derniers abris et la rive, près d'un petit bosquet de saules. Je m'installai à l'ombre, déposant d'abord sur le sol une petite peau de renne pour pouvoir m'asseoir confortablement. J'ignorais combien de temps je devrais attendre. Puis je ramenai des beaux galets ronds de la rivière, certains étaient tout gris, d'autres d'un blanc éblouissant, d'autres encore étaient un mélange des deux, gris marbré de blanc.

Je dessinai mon cercle de pierres en alternant la couleur des galets. Je pris tout mon temps pour cela, demeurant bien concentrée alors que, déjà, quelques enfants qui m'avaient vu faire s'égayaient à travers le campement en annonçant la nouvelle. Une fois le cercle terminé, j'ôtai mon collier, celui que je portais quasiment tous les jours. Il était beaucoup plus simple que nombre de colliers de femmes, puisqu'il comportait uniquement une grande dent d'ourse entourée d'une griffe de chaque côté, puis d'un coquillage rond. Je le déposai très soigneusement devant moi, lissant la dent et les griffes, tournant les coquillages pour les présenter sous leur plus bel aspect. Puis, la tête légèrement baissée, perdue dans mes pensées, j'attendis.

J'attendis et j'entendis venir les miens, petit à petit, et monter cette même agitation, cette même tension qui entouraient toujours la femme qui dessinait son cercle de pierres. A bien y réfléchir, cette tension était similaire à celle d'une veille de chasse. Je m'interrogeai alors, me demandant si Arouk et moi nous nous étions bien compris, si, le moment venu pour lui, il ne renoncerait finalement pas à moi pour pouvoir se garder la liberté de retourner vers son peuple ou si, au contraire, son choix était ferme et définitif et qu'il était vraiment prêt à demeurer avec nous, avec moi. Ces pensées asséchèrent ma bouche, me firent frissonner alors que l'air était doux et le vent léger. Pour empêcher mes mains de trembler, je les serrai fort l'une contre l'autre, sur mes genoux.

Je pris conscience que ma Grande Mère était arrivée, à l'aura particulière qu'elle dégageait et à laquelle j'étais plus sensible encore depuis la cérémonie des rites. Puis j'entendis le cri de Kari et devinai que ma mère était avec elle. Je levai brièvement la tête, nos regards se croisèrent et je la vis sourire. Je me sentis plus en confiance alors et repris mon attente avec plus de sérénité, détendant mes mains que je laissai, paumes ouvertes tournées vers le ciel, reposant sur mes genoux.

Le premier homme à s'approcher du cercle et à déposer ses biens devant moi fut Nark, de mon clan. Puis ce fut un homme que je ne connaissais pas du tout, qui appartenait au Clan de la Louve, puis un du Clan du Renne, cousin d'Ilya. Un autre du Clan du Renne, un homme assez âgé qui avait perdu sa compagne au cours de l'hiver passé, le suivit. Quand il déposa ses présents, j'entendis des murmures à travers la foule rassemblée. Jetant un oeil au-delà du cercle de pierres, je découvris des fourrures d'une grande beauté, des armes de belle qualité, et deux magnifiques colliers. Il ne venait pas les mains vides. Je demeurai pourtant immobile, concentrée sur ma respiration, toutes mes pensées tournées vers Arouk comme si j'avais eu, ainsi, le pouvoir de le faire venir.

Ils étaient donc déjà quatre quand Drong s'avança à son tour, d'un pas bien plus décidé que lorsqu'il s'était présenté pour Ilya. Mais lui aussi, je l'ignorai. Puis ce fut comme un frémissement dans la foule et je compris alors qu'Arouk arrivait. Il déposa effectivement ses présents de l'autre côté du cercle, sur ma droite. Enfin, un dernier homme s'approcha, appartenant à mon clan. Puis, pendant un moment, plus personne ne se présenta. Je savais que je devais attendre que ma Grande Mère trace le cercle autour des hommes pour ouvrir le mien et annoncer ainsi mon choix. J'avais le sentiment d'être prête à bondir, comme un animal à l'affût d'une proie. Je sentais des fourmillements dans mes pieds, dans mes jambes. Mais je m'efforçais de demeurer immobile.

Enfin, ma Grande Mère traça le cercle et je sentis un poids s'envoler de ma poitrine. Ma respiration redevint normale, alors que je n'avais pas eu conscience qu'elle s'était accélérée. J'attendis encore un tout petit moment, puis je me tournai vers Arouk et ouvris le cercle de pierres devant lui. Je me redressai alors, lui tendis les mains. Il se releva, les prit dans les siennes et entra dans le cercle avec moi. Des cris fusèrent, les enfants tapaient dans leurs mains, Kari sautillait déjà autour de mon cercle, sans faire attention aux hommes qui se tenaient encore assis.

Ma Grande Mère referma le cercle pour qu'Arouk et moi y restâmes quelques instants, seuls, avant que nos familles et nos clans ne nous félicitent. Je levai alors les yeux vers lui qui me dominait de sa haute taille. Nos regards se croisèrent, il sourit légèrement avant de se pencher vers moi et de déposer un baiser sur mon front. Je vis sur ses lèvres plus que je ne les entendis, ces mots dont je connaissais désormais si bien la signification : "Je t'aime".

**

Il était grand temps, je le savais, que je me décide à dessiner le cercle. Ilya me l'avait rappelé, Arouk aussi : la dernière cérémonie d'union ne tarderait pas à être célébrée, permettant ensuite aux clans de songer à leur retour, chacun vers son propre campement, et, en tout premier lieu, pour le Clan du Lynx.

Ma mère n'eut pas trop des journées à venir pour préparer ma cérémonie d'union. Gourn se mit au travail pour me réaliser des vêtements les plus beaux possibles. Kari fut mise aussi à contribution et moi de même pour réaliser nombre de petits cadeaux que nous offririons en échange de tous ceux qu'Arouk et moi recevrions de la part de nos proches, de nos amis, des chefs des différents clans... Arouk nous aida aussi, de même que Liki et Kian. Ce dernier fabriqua plusieurs couteaux que nous allions pouvoir offrir aux chefs de clan, mais Gourn réalisa aussi des ceintures décorées richement, avec des coquillages que Kari ramassait au bord de la rivière, des morceaux d'écorces qu'il parvenait à rouler comme des perles.

Mais notre charge de travail allait encore augmenter lorsque, quatre jours après que j'avais tracé le cercle de pierres, Oda traça aussi le sien et que mon frère se présenta à elle. Jamais je n'aurais imaginé qu'Oda tracerait son cercle si vite et si jeune. L'an passé, même si j'avais été initiée au cours de l'été, il ne me serait jamais venu l'envie de tracer le cercle de pierres. Il était d'ailleurs très rare qu'une jeune initiée le fasse au cours de l'été de son rite. En général, elle le faisait au cours de l'été d'après, plus souvent au cours du deuxième, voire du troisième été suivant. Il nous fallut alors redoubler d'ardeur pour pouvoir célébrer ces deux unions des enfants de notre foyer. Et fort heureusement pour Gourn qui avait déjà fort à faire avec ma propre tenue, il n'avait pas à en réaliser une deuxième pour Oda, puisque c'était à sa mère de s'en occuper. Mon frère eut cependant droit à une tunique neuve, mais les vêtements de cérémonie des hommes étaient beaucoup plus simples que ceux des femmes et Lorg aida Gourn pour la réalisation du sien, alors que ce dernier m'avait interdit de l'aider pour faire la mienne. C'était un honneur pour lui que de réaliser entièrement la tenue de cérémonie de sa fille, même adoptive.

Durant les deux jours précédant la cérémonie, tous les couples qui allaient s'unir furent rassemblés dans la grande tente où les jeunes filles avaient été regroupées avant les rites. Nous échangeâmes beaucoup avec les Grandes Mères qui nous rappelèrent alors tous les principes que notre engagement nous amenait à respecter et, en tout premier lieu, à prendre soin des enfants qui naîtraient dans notre foyer. A ce sujet, certaines d'entre nous portaient déjà un bébé et leur futur compagnon vivait cela comme une grande gratification. S'unir à une femme ayant déjà un enfant ou en attendant un était un véritable honneur pour l'homme et lui apportait autant que s'il avait réalisé des exploits à la chasse.

Nous vîmes également tous les chefs de clan et il fut décidé alors où chaque couple s'installerait. C'était à chacun de choisir le clan dans lequel il voulait vivre, mais les chefs devaient donner leur accord et, parfois, il fallait négocier certaines installations : lorsque beaucoup d'hommes d'un clan s'unissaient durant le même été, il ne fallait pas déséquilibrer ce clan. De même s'il s'agissait de plusieurs femmes d'un même clan : si toutes partaient, le clan pourrait manquer d'enfants dans les années suivantes. Tout était question d'équilibre. Il n'y eut guère de longues discussions à ce sujet, car ces deux situations ne se présentèrent pas. De même, la cérémonie d'union qui s'était déroulée au début du rassemblement n'avait pas amené non plus de déséquilibre et n'influençait donc pas le déroulement de cette deuxième cérémonie. Nous avions choisi, Arouk et moi, de demeurer au Clan de l'Ours, parmi les miens. Mais mon frère et Oda choisirent de partir pour le Clan de la Louve : c'était le plus petit clan de notre peuple et l'arrivée d'un jeune chasseur y était bien vue. Je ressentis une pointe de tristesse à l'idée de ne plus vivre aux côtés de mon frère, mais c'était le lot des unions. Au moins, nous aurions la joie de nous revoir chaque été, puisqu'avec le Clan du Renne, celui de la Louve était le troisième clan que nous retrouvions pour les petits rassemblements.

Le matin de la cérémonie, nous nous rendîmes séparément, hommes d'un côté, femmes de l'autre, à la rivière, pour les rites de purification. Puis nous gagnâmes nos foyers pour y revêtir nos tenues. Enfin, seulement, nous nous rassemblâmes autour des grands feux.

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