Delphine

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 - Voilà je vous ai tout raconté. Depuis le moment où le puzzle est entré dans notre vie, jusqu'à maintenant. Conclut Nolan devant le shérif.

 Il savait bien que même si sa famille et celle de ses copains ne comprenaient pas et avaient du mal à concevoir cette suite extraordinaire d'évènements, le shérif lui; il allait forcément y voir plus clair. Quant à Louis, il avait aussi témoigné devant le shérif mais son esprit était en quelque sorte indisponible. Sous l'emprise de ses émotions, on avait pu tirer de lui peu d'informations mais une importante confusion mentale. En sortant du bureau, après y avoir subit deux heures d'interrogatoire, on lui avait conseillé de se reposer car en effet il en avait grand besoin.

 Nolan n'avait pas envie de déranger son ami, pourtant Louis lui avait fait promettre de lui rendre visite, car il savait que Nolan serait le seul à pouvoir l'aider. Il voulait absolument retrouver ses esprits pour continuer l'enquête avec lui. C'est alors que Nolan s'introduit discrètement dans la chambre de son ami qui lui ouvre la fenêtre. Il n'aurait pas pu passer par la porte d'entrée, puisque le père de Louis n'aurait jamais accepté qu'il retrouve leur fils.

 Une fois dans la pièce, Nolan a un petit moment d'absence: en face de lui se trouve le bloc de pièces formant le visage horrifiant, alors que Louis à côté ne dit rien comme si tout était normal. Puis, remarquant sa fixation, Louis s'exclame enfin tout en gardant une voix chuchotante pour ne pas que son père l'entende.

 - Alors toi aussi tu le vois ce puzzle! Quand mon père est venu pour s'assurer que je me reposais, j'ai bien remarqué qu'il n'avait rien vu. Et pourtant le puzzle est en plein milieu de ma chambre! J'ai cru que c'était toutes ces histoires qui me donnaient des hallucinations mais en fait non, à moins qu'on hallucine tous les deux!

 - Mais qu'est-ce qu'il fait dans ta chambre? Le shérif l'avait embarqué! 

 Louis approuve en levant les bras pour montrer son incompréhension totale. Il devient triste:

 - La nuit va bientôt tomber, et Jimmy est introuvable. On a étudié toutes les pistes, on a fait le tour de chaque rue. J'espère qu'il n'est pas tout seul dehors.

 Un court silence s'installe avant qu'il rajoute:

 - J'espère qu'il n'est pas disparu à jamais.

 Comme à son habitude, Nolan le remet sur le droit chemin.

 - C'est pas le moment de faire un deuil anticipé Louis. On doit rester concentrés.

 Nolan se rapproche du puzzle par terre comme s'il s'agissait d'un prédateur avec lequel il fallait prendre ses précautions. Trop effrayé, Louis n'avait rien fait d'autre qu'observer le puzzle de son lit, où il était resté recroquevillé et agité. Il regarde donc avec un certain regard d'admiration son ami se confronter au puzzle.

 C'est alors qu'à l'instant où Nolan tente de le toucher, il ne sent du bout de ses doigts que le bois poli du parquet. Sur le coup, il est tellement surpris qu'il ne dit rien. Désormais fasciné, Louis ne pense plus et se rapproche naturellement. Il tente à son tour de toucher le puzzle. Lui aussi passe à travers.

 Nolan est totalement déstabilisé. Il perd pied. Son esprit n'a plus de direction. Son regard non plus. Il essaie de trouver tant bien que mal une trace de rationalité, mais il n'y a rien à faire: il n'y en a pas. En revanche, cet évènement aussi inédit qu'inexplicable redonne de l'énergie à Louis. Il est impressionné: le puzzle est intouchable; hors de leur portée comme s'il n'appartenait plus au monde du réel.

 Ce n'est que lorsqu'il se concentre sur le portrait abominable du puzzle que Louis récupère un esprit critique. Il lui semble étrangement que le visage ait évolué. Il ne le voit plus de la même manière. C'est difficile de distinguer où se trouvent les différences, car regarder le visage était terrifiant et donnait un instinct de répulsion si puissant, qu'il empêchait la bonne évaluation de l'image. Quelque chose avait changé mais son incertitude extrême lui rend les frissons et tremblements qui ne lui avaient pas manqué.

 Nolan est exténué. Louis pense que c'est à son ami de se reposer désormais. Il prend le soin de le porter jusqu'à son propre lit. Bien que Nolan grogne et s'agite, Louis le force et lui promet de revenir dans les minutes qui suivent.

 - Je vais vérifier quelque chose. Je me dépêche; toi reste là!

 Louis saute par la fenêtre sans laisser le temps à son ami de lui répondre.

 Plus tard, quand il arrive devant la fontaine, il se fige. Sa peur l'envahie. Alors qu'il voudrait prendre un poisson dans la main pour voir s'il ressemblait au visage du puzzle, il ne peut pas. Il essaie pourtant de combattre ses peurs, en vain.

 Accoudé au rebord de la fontaine, Louis tente de se calmer. Il sursaute violemment lorsqu'il sent sur son épaule une main se poser. Il remarque alors Delphine sur son côté droit. Immédiatement, Louis pose pleins de questions:

 - Est-ce que tu as parlé à Benjamin? Est-ce qu'il a vu la peluche avant que tu viennes chez Jimmy? Pourquoi as-tu décidé de venir chez Jimmy?

 - J'ai vu Jimmy ce matin. Répond t-elle froidement presqu'en chuchotant.

 Les deux camardes s'observent pendant un moment, le temps de laisser les mots se rencontrer. Delphine reprend la parole ensuite pour tout expliquer.

 - Le problème, c'est que je ne sais pas trop si je l'ai vu avant ou après qu'il ait disparu. Je crois que je l'ai vu à l'aube, mais je ne suis sûre de rien. Je ne sais pas si je suis la dernière à l'avoir vu, en tout cas rien est clair dans ma tête.

 Delphine semble à la fois confuse et lucide, ce qui rend Louis très intrigué. Il essaie de la rassurer en lui demandant de se calmer et de prendre le temps de réciter chaque évènements les uns après les autres. Il ajoute également qu'il n'est pas pressé et qu'elle peut faire des pauses pour respirer si l'envie l'en prend. Sa bienveillance envers Delphine, est à la hauteur de son affection pour elle.

 - Je disais; ce matin j'ai vu Jimmy. J'étais déjà réveillée parce que j'aime me lever tôt. J'essayais de faire une tresse avec mes cheveux devant le miroir, puis je l'ai vu dans le reflet. Il étais juste derrière moi, et sur le coup il m'a semblé qu'il était là depuis un moment. J'ai hurlé tellement il m'a surprise. Ensuite, quand je lui ai demandé ce qu'il faisait là, il ne m'a rien répondu. Il ne faisait que fixer le miroir sans bouger, donc moi j'ai pris peur. Je me suis levée de ma chaise brusquement et j'ai essayé de sortir de ma chambre pour aller prévenir ma mère. Sauf que la porte était verrouillée. Pourtant, il n'y a aucune serrure sur la porte de ma chambre. A partir de ce moment, plus rien n'a de sens. Adossé à ma porte, je panique. Jimmy reste planté face au miroir, il observe son reflet et son visage ne montre absolument aucune émotion. Ça dure très longtemps. Je ne peux pas dire combien de temps exactement, mais c'est vraiment très long. Je finis par me paralyser sous l'emprise de la panique. Au bout de plusieurs minutes il me semble, son regard se dirige doucement vers moi et s'immobilise dans ma direction. Ça dure quelques secondes, puis l'envie me prend de bouger. Mais je n'y arrive pas! Je n'arrive plus à bouger. Mes membres ne répondent plus à mes appels. Je reste contre la porte tétanisée. Je ne vois plus que ses yeux me fixant. Ils me font tellement peur qu'ils me donnent l'impression que Jimmy est juste à côté de moi. Pourtant, il reste immobile. Puis, c'est quand j'en viens à suffoquer de peur que Jimmy se transforme en une sorte d'ombre ou de poussières très noirs. Je vois la silhouette de Jimmy dans cette noirceur absolue qui sort rapidement par la fenêtre. Il reste dans ma chambre que peu de traces sombres. Les restes de cette substance sans nom suivent le mouvement, en s'enfuyant progressivement par la fenêtre et en se dissipant dès la sortie de ma chambre. A la fin, la sorte de brume noir laisse apparaître une peluche affreuse.

 Très attentif, Louis reste interdit. Delphine se remet de ses émotions avant d'exprimer son point de vue.

 - Ecoute Louis; j'ai cru que c'était juste un cauchemar atroce. Je l'ai cru en attendant que la peluche disparaisse pour que je me réveille enfin en certifiant que oui; c'était bien un cauchemar.

 Delphine s'arrête car Louis savait très bien ce qu'elle voulait dire. Il ne s'agissait pas d'un cauchemar. Si tout ça n'avait rien qui puisse être perçu comme réel, la peluche l'était.

 - J'ai essayé de prendre les choses en main. J'ai attrapé la peluche malgré la terreur qu'elle m'inspirait, puis je suis partie en furie chez Jimmy. Je me suis dis qu'il allait être là et que j'allais avoir une discussion avec lui pour m'éclaircir l'esprit. Puis je suis tombée sur toi et Nolan. Je vous ai tout de suite imaginé être de la partie avec Jimmy. Je voulais tellement me débarrasser de cette peluche que je n'ai pas réfléchi: je vous ai jeté la peluche en pleine tête parce que sur le moment, le plus simple c'était de vous accuser. Je suis désolée, je n'aurais vraiment pas du.

 Louis coupe Delphine qui commençait à s'emporter, totalement dépassée par ses frayeurs. Il lui assure qu'elle est pardonnée et qu'elle n'a pas besoin de s'en faire. Elle est tellement perdue qu'elle se laisse aller dans ses bras et pose sa tête sur son épaule. Louis est touché. Tous les deux versent des larmes sur l'épaule de l'un et de l'autre. Le temps de se calmer, ils remettent tout en ordre dans leur esprit. Louis a maintenant de nouveaux éléments qui s'ajoutent à l'enquête. Il réfléchit tout en prenant soin de sa camarade dans ses bras.

 Une fois reposée, Delphine se détache légèrement en restant proche de Louis, puis déclare:

 - Je suis au courant pour le puzzle.

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