Les rideaux ne laissent entrer qu'un discret rayon de soleil dans la chambre. Louis est dans son lit, les yeux fermés. La porte s'ouvre délicatement. Une voix féminine chuchote:

 - Il a l'air fatigué. On ne devrait pas le déranger si tôt. Je me présenterai plus tard. Je suis sûre qu'on va bien s'entendre lui et moi. Il va retrouver la forme d'ici peu, vous pouvez me faire confiance.

 En fermant la porte tout aussi délicatement qu'elle avait été ouverte, le père de Louis répond qu'il compte sur elle. La chambre est dans le calme complet encore quelques minutes. On entend la dame et le père qui rejoignent le salon. Quand on ne discerne plus aucune voix, les camarades d'école s'agitent enfin. Nolan sort de l'armoire; Louis se lève tout habillé de son lit; Delphine et Benjamin qui étaient cachés juste en dessous, roulent sur le sol et se remettent debout. Ils venaient d'arriver par la fenêtre, qu'il fallait déjà qu'ils se cachent.

 La veille, Louis était revenu dans sa chambre où Nolan l'avait remplacé. Il lui avait expliqué tout ce qui lui était arrivé. Le pauvre Nolan n'avait rien compris. Alors ce matin, tout le monde était là pour mettre de l'ordre dans l'esprit de chacun et mettre en place un plan précis pour la journée à venir. Ils en étaient tous convaincus: il fallait faire quelque chose.

 En cercle autour du puzzle, ils discutent. Delphine témoigne de son traumatisme. Nolan prend les informations une à une. Bien qu'il semble comprendre les évènements, il ne parvient pas à partageraux autres son propre point de vue. Parfois il tente de prononcer une phrase mais rien ne sort de sa bouche. Tout ça n'a aucun sens pour lui. Alors il prend la parole en formulant une question:

 - D'où vient réellement cette peluche?

 Delphine est sûre d'elle. Elle vient de Jimmy. C'est une sorte de cadeau malsain qu'il lui a laissé. Nolan la contredit tout de suite lui assurant que ce n'était pas possible, mais Delphine lui répète qu'elle en est sûre car elle l'a ressentit. Le garçon finit par lui dire qu'elle est juste trop naïve et qu'elle rentre facilement dans les pièges. Les deux se fâchent quand Benjamin s'interpose entre eux. Nolan est d'autant plus sous pression.

 - Mais d'ailleurs rappelle-moi Ben; que fais-tu là toi qui nous as lâché du jour au lendemain?

 Alors qu'on s'attendait à ce que Benjamin s'emporte sur les propos de son camarade, il baisse la tête tristement.

 - Le puzzle est apparu chez moi aussi. Je ne peux pas le toucher non plus.

 Benjamin précise qu'il était avec Delphine quand le puzzle s'était installé de lui-même au sol de sa chambre. Delphine était venue chercher de l'aide après s'être débarrassée de la peluche hideuse. Elle était dans un état tel que celui de Nolan actuellement: effrayée et perdue. Benjamin la consolait quand soudain le puzzle a fait irruption. Delphine avait réagit dans la seconde qui suivait. Elle s'était mise à sangloter. Elle se sentait hantée par l'abomination qui s'affichait au travers de la peluche, et désormais au travers du puzzle. Benjamin n'avait aucune idée de ce qui lui arrivait. Elle avait finit par lui dire à quel point le portrait du puzzle avait les mêmes traits que ceux de la peluche. En fait, les deux abominations se ressemblaient comme deux gouttes d'eau.

 Alors que Delphine se revoit dans la situation de choc, Benjamin continue la récapitulation.

 - J'avais oublié l'existence de ce puzzle. Quand je l'ai vu sans pouvoir le prendre dans mes mains, j'ai rien compris de ce qui m'arrivait. J'ai repensé à cette après-midi qu'on avait passé à la fontaine. Puis mon frère est entré dans ma chambre. Il y avait le puzzle juste en face de lui, mais il s'est dirigé vers moi en piétinant le puzzle, pour me demander s'il pouvait prendre ma bougie ensorceleuse. J'étais encore plus abasourdi. Le puzzle lui était invisible! J'ai mis du temps à réagir puis je lui ai finalement prêté ma bougie. Il est reparti sans rien dire. Quant à Delphine, elle s'était calmée. Mon frère n'avait pas vu qu'elle allait très mal. D'ailleurs, il avait pas vu non plus le choc sur mon visage.

 Delphine prend le relais:

 - Benjamin m'a raconté qu'il avait déjà vu ce puzzle, et qu'il l'avait même réalisé avec vous près de la fontaine. Il m'a tout raconté, avant que je sorte de sa maison sans prévenir. Je n'en pouvais plus. Il fallait que je prenne l'air, alors je suis partie. Et puis je me suis retrouvée sur la place de la fontaine, où j'ai trouvé Louis. Entre ce qu'il s'était passé à l'aube avec Jimmy et ensuite avec Benjamin, j'avais l'impression de devenir complètement folle.

 Les évènements repassaient dans la tête de chacun. Louis et Nolan avaient beaucoup d'éléments à remettre en place dans leur tête. Pour Louis, c'était faisable puisqu'il n'était pas aussi terre à terre que son ami Nolan. Ce dernier s'obstinait à trouver de la rationalité dans les évènements quand bien même il n'y en avait pas. Louis essaie d'aider son ami.

 - Écoute Nolan; quand Delphine m'a raconté tout ça hier soir, j'ai mis du temps à concevoir les choses telles quelles.

 La tête entre ses mains, Nolan réplique du tac au tac, très à cran.

 - Il n'y a rien à concevoir telle quelle Louis! Si on veut trouver le coupable, il faut comprendre comment tout ça a pu se passer pour trouver dans quels filets on nous a piégé! Réveille-toi!

 Delphine s'y met en défendant son ami:

 - C'est à toi de te réveiller Nolan! Tu ne comprends pas que rien ne peut scientifiquement expliquer que l'on passe à travers des pièces de puzzle, ou que l'on soit les seuls à les voir!

 - C'est une illusion créée spécifiquement pour nous! On est pris pour des marionettes! Quelqu'un est en train de jouer avec nos esprits! Je ne sais pas comment il fait, mais il doit bien y avoir une explication rationnelle à tout ça. Je suis sur que cette personne a créée le puzzle ainsi que la peluche.

 Un silence de désaccord règne pendant quelques minutes. Les camarades ont envie de s'emporter mais Louis les rappelle à l'ordre, ne voulant pas que son père et l'invitée ne les entendent.

 Tous les quatre reprennent finalement la discussion en débattant longuement. Parfois Benjamin ou Louis amènent quelques arguments sans se positionner d'un côté plus que d'un autre, étant donné que la querelle s'installe surtout entre Nolan et Delphine. Bien que leur voix reste basse, leur tonalité se fait de plus en plus agressive.

 Alors que le groupe avait prévu de se mettre d'accord pour trouver comment s'y prendre ensuite, les quatre camarades perdent leur temps et leur énergie à se monter les uns contre les autres.

 Ils sont là; en cercle autour du puzzle. 

 Ils se concentrent tellement sur les paroles lancées au hasard, qu'ils manquent encore une fois l'évident. Leurs regards francs se confrontent les uns aux autres, quand pourtant l'action la plus intéressante se passe à leur pied: Il y a du mouvement dans le puzzle.

 Ça bouge.

 Ça change.

 Ça devient.

 - De toute façon, c'est toi la coupable Delphine! Ton cauchemar d'où sort une peluche réelle: je n'y crois pas! Tu inventes tout et tu fais du tort à Jimmy. La seule qui puisse être fautive ici, c'est toi! Déclare Nolan sèchement.

 Delphine est prête à s'emporter sur son camarade de classe.

 Ça bouge toujours.

 Ça change encore.

 Ça devient silencieusement.