Un après-midi de grand soleil, pas loin de la fontaine aux deux-cent poissons rouges, Louis accompagné de ses deux copains Nolan et Jimmy s'occupait à ramasser des pièces de puzzle trouvées par terre. Il y en avait par-ci par-là aux alentours de la fontaine. Connu pour beaucoup réfléchir, Louis se redresse et remarque une étrangeté.

 - Je me demande si toutes ces pièces font partie du même puzzle. En considérant qu'il n'y ait qu'un seul puzzle, les pièces auraient dues être éparpillées plus vers un côté de la fontaine, mais comme elles sont tout autour de la structure circulaire, il n'est pas impossible que les pièces que nous réunissons actuellement appartiennent à plusieurs puzzles. Qu'en pensez-vous?

 - J'espère que tu te trompes, parce que moi ça m'amuserait de faire un puzzle, mais si toutes les pièces ne viennent pas du même puzzle, alors on va pas apprécier le mettre en forme. Répond Nolan presque déjà ennuyé alors même que son ami n'a fait que suggérer une hypothèse.

 Ces pièces dont le propriétaire leur était inconnu faisaient l'objet de leur préoccupation et les amenaient à se poser bien des questions. Ils étaient arrivés presque par hasard sur cette place agréable où la verdure régnait. Jimmy avait remarqué un billet de dix euros au plancher dans la voiture de son père ce matin, avant qu'il ne l'emmène à l'école. Discrètement, Jimmy avait réussi à le prendre pour vite le ranger dans sa poche bien au chaud dans son poing fermé. Fier de lui, il avait pris le temps de le montrer à ses copains et de leur proposer d'acheter un goûter avec, quand les cours d'école termineraient. Impatients et gourmands, ils avaient débattu pendant toute la matinée sur la question du goûter idéal. C'était après avoir opté pour les moelleux au chocolat de la boulangerie La Fontaine, qu'ils s'étaient retrouvés tout sourire sur un banc face à cette très large fontaine qui dominait l'espace. Ils savouraient leurs gourmandises et discutaient à propos de cette situation qui avait de quoi rendre jaloux les camarades d'école.

 Pourtant, ils avaient abandonnés leur moelleux pour ne porter attention plus qu'à ces pièces qui semblaient enfin rassemblées. C'était dire à quel point cette histoire les intriguait. Il fallait bien admettre la bizarrerie de la situation: il y avait des pièces de puzzle abandonnées sur l'herbe, qui en plus parsemaient tout l'espace vert.

 Alors que les garçons vérifient chacun qu'il ne reste plus aucune pièce au sol, Louis est pris d'une intuition soudaine. Il se rapproche de la fontaine, et regarde à travers l'eau s'il n'y aurait pas d'autres pièces de puzzle. C'est alors que Jimmy lui déclare:

 - Pourquoi crois-tu qu'il y en ait jusque dans la fontaine? Tu ne vas quand même pas l'explorer!

 Louis lui répond sagement tout en restant le regard plongé dans le fond du miroir d'eau:

 - Il ne faut écarter aucune possibilité étant donné que rien ne peut expliquer la situation telle qu'on la connaît actuellement. Autrement dit, puisque l'on ne peut pas savoir où est la limite de l'étrangeté de la situation, il peut être intéressant de se l'imaginer encore plus grande que ce qu'elle paraît.

 Jimmy lui répond simplement "ok" quand bien même il ne comprend que vite fait ce que lui a dit son ami dans toutes ses phrases à rallonge, dont rares étaient ceux capables de supporter. Mais lui; ça lui allait. Louis préférait toujours s'exprimer en étant abstrait plutôt que concret. C'était comme ça. Il disait que c'était mieux car ça lui permettait plus facilement "d'éviter de faire tord à la vérité en tant que telle". Jimmy n'y comprenait pas grand chose. Il trouvait que son ami avait l'air d'un artiste même si lui-même ne savait pas vraiment bien ce qu'il entendait par ces mots-là: "l'art", "l'artiste", "l'artistique". De toute façon, ce qui l'intéressait chez Louis, c'était que malgré tout, il aimait bien se balader, jouer et parler sur ce qui l'entoure. Il était actif, et il vivait l'instant présent, ce qui permettait de beaucoup s'amuser surtout quand il faisait un grand soleil comme aujourd'hui et qu'ils pouvaient sortir dehors.

 Finalement, Louis abandonne. A force de chercher dans l'eau trouble, ça lui piquait les yeux et puis de toute façon il n'y avait aucun moyen de distinguer le fond de la fontaine. Il avait rapidement plongé sa main dans l'eau, mais il y avait ces petites choses qu'il n'aimait pas: les poissons déambulant dans cette grande fontaine. Il avait une certaine réticence à leur égard, sans savoir pourquoi ni ne cherchant à le faire d'ailleurs. Pourtant, Louis s'en posait beaucoup des questions, mais l'intérêt n'y est pas sur ce sujet. En tout cas, la nonchalance qu'il trouvait à ces petites créatures marines lui avait suffit à passer outre la recherche d'autres pièces de puzzle dans la fontaine.

 - Bon? On s'y colle? Il faudrait peut-être commencer à le faire ce puzzle parce que là; il est déjà cinq heure! Déclare Nolan avec une autorité témoignant son agacement.

 Jimmy et Louis rejoignent leur ami, avec deux ou trois pièces qui se cachaient encore parmi les herbes. C'est alors qu'ils surprennent Benjamin avec dans chacune de ses mains un moelleux au chocolat. Il était sur le banc assis dans une posture très à l'aise, à manger une bouchée d'un moelleux puis de l'autre, alors que Louis et ses copains se précipitent vers leur camarade de classe afin de lui arracher les gourmandises. Les trois amis ayant récupérés ce qui leur appartenait, sont maintenant déterminés à faire la morale au garçon. Benjamin toujours très à l'aise sur le banc dévisage ses camarades avec un air et un regard des plus arrogants.

 Quelques mètres devant le banc où avait lieu leur chamaillerie, il y avait leur sac remplis des pièces trouvées. Un groupe de copines, puis un couple de jeunes mariés et puis encore un homme avec sa fille promenant leur chien passent les uns après les autres près du sac sans y prêter la moindre attention. La chamaillerie continue et les trois amis oublient peu à peu leur trouvaille singulière, ne se concentrant que sur l'agacement qu'ils éprouvent face à leur camarade. Ils sont dos à la fontaine, et au sac de pièces.

 En cet instant, ils ne voient rien quand pourtant il se passe quelque chose de curieux juste derrière eux. Sur cette belle place ensoleillée où la fontaine resplendissait, tout avait l'air normal et habituel, mais l'air seulement.