Tandis que la plupart des fées dormaient paisiblement dans leurs quartiers, Naafar ne trouvait pas le sommeil. Elle rejoignit donc la plateforme commune et sortit sur le balcon pour y admirer les étoiles. Elle constata que Nannash n'arrivait pas non plus à s'endormir.

"Nannash ! s'exclama-t-elle. Je ne suis pas étonnée de te trouver ici.

• Plus de Pilote Nannash à cette heure-ci, Commandante Naafar ? répondit Nannash avec sarcasme.
• Tu sais bien que je m'astreins à une certaine rigueur quand je porte ma casquette de commandante. Depuis combien d'années nous connaissons-nous PILOTE, d'un ton tout aussi sarcastique.
• C'est vrai. Je cherchais juste à te taquiner, dit Nannash en souriant.
• J'en suis bien consciente ne t'en fais pas. Toi non plus tu n'arrives donc pas à dormir ?
• Non. Je n'arrive pas à me sortir de l'esprit le visage des fées que nous avons laissées là-bas. Mais je sais que nous avons pris la décision qu'il s'imposait. Alors je suis venue regarder les étoiles, pour me changer les idées. C'est toujours un excellent moyen pour se vider l'esprit.
• C'est pareil pour moi, acquiesca Naafar.

 De longues minutes s'écoulèrent sans qu'aucun mot ne sorte de leurs bouches. Elles regardaient les étoiles bercées par la légère brise portée par l'océan. Naafar brisa finalement cet interminable silence :

• Le ciel est assez différent par rapport à notre départ tu ne trouves pas ? Je sais qu'on a bougé sur une longue distance en plus d'une centaine d'années, mais je ne m'attendais pas à un changement aussi flagrant.
• Je me suis fait la même remarque Naafar. Mais tu sais, le ciel bouge beaucoup de notre point de vue, c'est juste qu'en le regardant tous les jours, nous n'avons pas cette impression. Nous sommes sans doute arrivées à une saison différente de celle à laquelle nous sommes parties.
• Tu as probablement raison. Cela reste tout de même surprenant."

 Nannash quitta le balcon et s'en alla rejoindre ses quartiers pour tenter d'accrocher quelques heures de sommeil. Naafar quant à elle resta un long moment seule sur le balcon. Son constat sur le positionnement des étoiles ne voulait quitter son esprit. 

 Depuis très jeune, Naafar était fascinée par les étoiles. Elle avait l'âme aventurière et rêvait secrètement d'aller voyager là-haut, dans l'espace. C'était assez peu courant chez les fées. Elles n'avaient pas l'ambition de s'étendre, de coloniser d'autres lieux, d'accroître leur nombre ou simplement de voyager. En tout cas, il était mal vu de le montrer. Elles se contentaient de peu dans leur quotidien, et menaient un style de vie épicurien. 

 Ce pragmatisme et ce minimalisme avaient longtemps agacé Naafar, notamment durant son enfance. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était la seule à afficher autant de curiosité. Elle le comprit bien plus tard, à l'âge adulte. Les autres fées n'étaient pas moins curieuses, elles avaient simplement choisi de canaliser cette curiosité pour en faire un usage toujours contrôlé et bienveillant. 

 Les fées possédaient un bagage scientifique conséquent. Cela faisait partie de l'apprentissage de chaque fée depuis leur plus jeune âge. Et elles étaient nombreuses au cours de leur vie à mener des recherches dans des domaines divers et variés. Étude du vivant, des phénomènes météorologiques, stellaires, la place des fées et de la Terre dans l'univers. Les connaissances accumulées par ce peuple étaient innombrables, compte-tenu de leur nombre. Ces recherches n'avaient que rarement vocation à des applications concrètes. Elles allaient simplement alimenter l'Arche. 

 L'Arche. Les fées n'apprenaient son existence qu'à leur vingt-cinquième année, lorsqu'elles passaient à l'âge adulte. Elle était le symbole de toute la curiosité inassouvie des fées. Leur peuple avait pleinement conscience qu'il était dans leur nature de toujours en savoir plus, et d'en apprendre sur le monde qui les entourait. Mais il savait également que des recherches menées dans tous les sens, sans aucun contrôle, amèneraient à des catastrophes. 

 C'est par ce constat que la construction de l'Arche a débuté. À l'origine, elle avait été imaginée comme un immense centre de recherche, ainsi qu'un centre d'archives où toute l'histoire et les connaissances des fées seraient accumulées. Mais, elle devait être plus que ça. Les fées savaient également que certaines catastrophes naturelles pourraient amener à leur disparition soudaine, comme ce fût le cas pour d'autres espèces plusieurs millions d'années auparavant. C'est ainsi que cette cité ne fut plus imaginée comme un simple centre de la connaissance, mais comme un moyen d'accueillir tout le peuple des fées et de le faire voyager pour échapper à un funeste destin. Ainsi naquit l'Arche. 

 Elle n'était pas non plus qu'un simple véhicule. Elle avait été construite pour pouvoir voyager dans l'espace et également dans le temps. Cela permettait ainsi de prévenir des catastrophes ayant des conséquences à long terme. Pour échapper à l'invasion, Naafar avait choisi, appuyée par le conseil de la sagesse, de privilégier un voyage dans le temps. En réapparaissant une centaine d'années plus tard, il était probable que les envahisseurs soient partis depuis longtemps. Pour s'assurer de ne pas avoir à subir des changements géologiques majeurs, le choix du point d'arrivée se tourna vers une zone océanique.

 Il était pourtant assez peu probable que des changements géologiques apparaissent dans la région où vivaient les fées. Elles étaient installées légèrement à l'est du plus grand continent planétaire. Légèrement au nord de l'équateur, elles disposaient d'un climat assez tempéré et vivaient au sein d'une forêt extrêmement dense. Elles disposaient de tout ce dont elles avaient besoin, eau, nourriture et autres ressources.

 Elles auraient pu choisir donc de rejoindre l'océan à l'est, à seulement quelques centaines de kilomètres de là. Seulement elles préféraient, quitte à voyager, rejoindre une zone encore plus tempérée, avec moins de disparités climatiques entre les saisons. Elles choisirent donc de rejoindre l'autre continent, plus au Nord, sur sa côte ouest.

 Naafar était soulagée que le voyage se soit déroulé sans accroc. Bien sur, il faudrait tout recommencer à partir d'aujourd'hui. Se mettre en quête d'une terre accueillante sur laquelle s'implanter. Reconstruire des habitats et se remettre à vivre en harmonie avec cette nouvelle nature qu'elles ne connaissaient pas encore. Naafar savait que cela ne serait pas de tout repos, mais si elle était certaine d'une chose, c'était la capacité de ce peuple à s'adapter. Elle ne se faisait donc guère de souci.

 Toute la tension accumulée ces dernières heures était en train de se libérer. Naafar sentit enfin le sommeil l'envahir. Sortie de ses pensées par un bâillement soudain, elle alla imiter Nannash.