Infirmière de circonstance

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Lyssia, sa sacoche toujours en bandoulière, suivit le doyen qui portait son sac d’herboriste par-dessus l’épaule. Pendant la minute qui les séparait de la maison de Sarlia, Solon fit également la connaissance d’Orion qui retourna immédiatement se blottir dans sa poche de la sacoche après avoir mis le museau dehors.

Lorsque Solon frappa à la porte, ce fut un homme brun d’une trentaine d’années qui lui ouvrit :

— Merci d’être revenu. Je… qui est cette jeune fille ?

— Lyssia, la présenta le doyen. Une jeune étudiante de passage dans la région. Comment va Sarlia ?

— Un peu mieux, répondit-il en les précédant à l’intérieur. La fièvre commence à retomber, mais elle est encore trop faible pour marcher.

Lyssia suivit l’homme jusque dans la chambre où la malade était étendue sous des couvertures. Ses cheveux blonds étaient asséchés et son visage, bien qu’encore dans la force de l’âge, était tiré par la fatigue. Elle essaya de se redresser en voyant Solon entrer, mais celui-ci l’arrêta et s’assit à ses côtés

— Comment te sens-tu aujourd’hui ?

— J’ai encore mal à la tête…, répondit-elle d’une voix encore faible. Et j’ai vomi plusieurs fois dans la nuit.

Lyssia trouva là l’explication de l’odeur qui émanait de la pièce. Solon s’assit sur une chaise près du lit et fouilla dans son sac. Il en sortit une fiole de potion claire qu’il posa sur la table de chevet.

— Si tu as faim, contente-toi de pain, et fais couler avec ça après. Si tu n’as pas faim, ne te force pas à manger, mais il faudra quand même en prendre la moitié.

Elle hocha la tête. Il se releva alors, surprenant Sarlia et son compagnon :

— Je… je pensais que tu restais, dit-il.

— J’ai un imprévu, répondit-il. La jeune Lyssia a une requête que je dois passer à Croc-Noir. C’est elle qui s’occupera de toi aujourd’hui. Ne t’inquiète pas, tu es en bonne voie de rétablissement. Je serai de retour ce soir.

Les regards se tournèrent vers l’étudiante dont les joues rosissaient de recevoir une telle responsabilité. Elle releva cependant le regard et sourit au couple.

— Je comprends, répondit l’homme. Je préfère en effet qu’il y ait quelqu’un avec elle si jamais quelque chose devait arriver pendant que je ne suis pas là.

— Très bien, conclut Solon. Je me mets en route. Lyssia, je te confie Sarlia. Je crois que tu sais t’occuper des malades, alors je te fais confiance.

— Merci beaucoup, dit Lyssia en s’inclinant à nouveau alors que le doyen se faisait raccompagner par le mari.

Lyssia échangea un sourire avec la malade et prit place sur le petit bureau dans la salle. Avant qu’elle n’ait pu commencer à écrire, le mari était de retour.

— Je vous la confie, miss Lyssia. Je dois m’occuper des bêtes aujourd’hui. Vous trouverez de quoi manger au rez-de-chaussée sous les cloches en métal.

— C’est très gentil, je vous remercie.

Il déposa un dernier baiser sur le visage souriant de sa femme et quitta la maison. Restée seule avec Sarlia, Lyssia se permit de demander le nom du mari :

— Oh il ne s’est pas présenté ? C’est tout lui, dit-elle en souriant. Il s’appelle Fradarius, et je suis Sarlia, enchantée.

La faiblesse s’entendait encore dans sa voix, et Lyssia ne voulait surtout pas lui demander trop d’efforts. Ce fut cependant la malade qui engagea la conversation, trop heureuse de pouvoir parler à quelqu’un.

— Qu’est-ce qui vous amène à Varoh, jeune Lyssia ?

— Je suis étudiante à l’université Amakir, répondit-elle de bonne grâce. Et ma thèse portant sur l’âge d’or des aventuriers, j’essaye de récupérer des informations là où je peux.

— En adoptant leur mode de vie donc ?

— N… non, pas du tout.

À nouveau on l’associait aux aventuriers. Non pas qu’elle ait quoi que ce soit contre, mais elle ne se reconnaissait pas dans ce terme qui, à ses yeux, désignait davantage des vagabonds que des héros.

— Ne vous vexez pas, dit la femme en souriant. Vous devez savoir mieux que moi à quoi ressemblent les aventuriers.

— … peut-être pas tant que ça, admit Lyssia. Je n’en ai rencontré que quelques-uns… alors même que ma thèse est censé porter sur eux.

— Vous savez, reprit-elle avec effort, que Croc-Noir est un aventurier lui aussi… ou du moins… il l’était.

À l’évocation du mystérieux patron du village, Lyssia tendit l’oreille. Alors qu’elle parlait, Sarlia tourna la tête vers la fenêtre par laquelle le soleil entrait dans la salle.

— Il parait qu’il était là quand je suis née. Il passe de temps à autre au village. Nous lui donnons de quoi manger, car il a toujours l’air si frêle. Il fait mine de refuser, mais au final, c’est toujours de bon cœur qu’il accepte.

Lyssia rapprocha la chaise du lit de la malade ;

— Ce Croc-Noir… comment est-il ?

— Oh, se souvint la femme comme si elle avait soudain soixante ans et se souvenait d’une anecdote de son enfance. C’est un homme… très mystérieux. Personne ne sait comment ou quand il est arrivé ici. Ni comment il survit comme ça, seul dans la nature. Mais il est toujours de très bons conseils pour nous. Et il nous a beaucoup appris sur la nature et la manière de la respecter.

Dans son esprit, Lyssia essayait de dresser un portrait du personnage. Elle le voyait comme un idéaliste, un homme hirsute mais souriant, habillé d’un simple pagne, et qui mangeait les baies qui lui passaient sous les mains. Était-ce vraiment comme cela qu’étaient les elfes ?

— On dit qu’il était là bien avant nous, reprit Sarlia. Et qu’il sera là lorsque nous serons retournés à la terre.

— Lorsqu’il vient au village, demanda Lyssia, que fait-il ?

— Oh, il prend des nouvelles. Il demande comment va tout le monde. Vous savez, il connait tout le monde et tout le monde le connait. Il a une très bonne mémoire. Si quelqu’un a besoin de conseils, il peut lui demander, et il répondra.

Lyssia avait de plus en plus de mal à cerner le personnage. Elle le voyait désormais comme un érudit, avec sa grande toge et sa cape d’académicien. Bien différent de l’image d’il y avait quelques secondes. Elle se tourna pour poser une nouvelle question, mais constata que Sarlia avait fermé les yeux et se reposait désormais sur l’oreiller.

Elle se tut, et retourna au bureau où elle s’attela à tenir son journal de bord. Elle y notait ce qu’elle voyait au quotidien, mais aussi et surtout les informations qu’elle considérait pertinentes pour sa thèse. Mais l’excitation la rongeait. Les rares aventuriers qu’elle avait rencontré jusqu’à présent étaient tous des amateurs qui lui avaient rabâché le même savoir théorique sur la vie d’aventurier : explorer des donjons, revendre les artefacts récupérés, et recommencer jusqu’à s’enrichir assez pour lancer un business et vivre une petite vie tranquille. Un pari que de plus en plus perdaient, vu qu’assez peu revenaient de leurs premières excursions.

Au final, la journée passa assez vite. Elle réveilla seulement Sarlia pour lui faire prendre son médicament et attrapa un bout de pain dans le panier suspendu indiqué par Fradarius. Par acquis de conscience, elle prépara elle aussi un remède qu’elle laissa sur la table basse au cas où.

Enfin, en fin d’après-midi, alors que les rayons du soleil se faisaient un peu moins intense, on frappa à la porte. L’étudiante alla ouvrir et tomba nez à nez avec Solon, son chapeau de marche encore sur la tête, un sourire rayonnant au visage.

— Lyssia ! Tout s’est bien passé ?

— La fièvre est définitivement partie. Elle dort toujours mais elle devrait aller mieux cette nuit.

Solon prit un instant pour vérifier les dires de l’étudiante et la suivit dans la chambre où la malade se reposait sereinement. Satisfait, il retourna dans la salle principale où il annonça à Lyssia :

— Croc-Noir consent à te recevoir dès demain. Tu pourras te mettre en route demain matin.

Lyssia frappa dans ses mains de satisfaction.

— Merci beaucoup Solon ! Je suis impatiente de le rencontrer. Je vous informe également que j’ai confectionné un petit quelque chose pour Sarlia.

Elle attrapa la bouteille qu’elle avait laissé sur la table et la tendit au doyen :

— Il s’agit d’un mélange à base d’herbe de Laupor et de jaffray, auquel j’ai rajouté du miel pour le goût. Si jamais elle devait avoir une rechute, cela devrait pouvoir l’aider à se remettre.

Solon observa la fiole au liquide vert clair d’un air impressionné. Il connaissait ces plantes mais était toujours surpris de voir quelqu’un d’aussi jeune les connaître. Il la remercia et, lorsque Fradarius rentra, ils l’informèrent de ce remède en cas de soucis pendant la nuit.

Lyssia remercia elle aussi le mari et prit congé, retournant à l’auberge du Loup Galant.

La même ambiance bon enfant y régnait, et Jankol reconnut sa petite protégée passer la porte. Il la salua depuis le bar d’un geste de la main tandis qu’elle le rejoignait.

— Alors ? demanda-t-il pendant que sa fille s’occupait des commandes. Comment cela s’annonce avec Croc-Noir ?

— Solon m’a dit que je pouvais aller le voir. Je pars demain matin.

— Oh ! fit Jankol impressionné. Le vieux Solon a dû bien négocier. C’est que c’est rare que Croc-Noir laisse quelqu’un approcher de sa tanière.

Il servit un repas chaud à la demande de l’étudiante, posant cette fois même spontanément le deuxième bol pour Orion.

— Tu sais par où passer ?

— Oui, Solon m’a indiqué : progresser jusqu’au rocher au Corbeau, puis au nord jusqu’à tomber sur une vieille ruine, c’est ça ?

— C’est ça, confirma l’aubergiste. Tu feras bien attention à toi sur le chemin, ce n’est plus aussi sûr que ça l’a été par le passé.

— Heh, dit Lyssia avec légèreté, je sais me défendre.

— Je te le souhaite, répondit Jankol avec un sourire. Bah je ne m’inquiète pas ! Après tout, tu viens d’une excellente université !

Il donna une tape amicale dans l’épaule de l’étudiante qui pouffa de rire. Inutile de se torturer l’esprit. Mieux valait une bonne nuit de repos pour se préparer à rencontrer cet ancien aventurier.

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