Solon Tueur-d'Ours

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 Lorsqu’elle se réveilla, Lyssia constata que les glyphes de protection qu’elle avait placé devant l’entrée de sa porte de sa fenêtre était restés intouchés. Il ne s’agissait que de précautions, mais des précautions nécessaires pour la jeune étudiante qui avait maintes fois été mises en garde contre le traitement réservé aux aventuriers dans certains établissements. Alors qu’elle finissait sa toilette, elle les désactiva d’un geste devenu mécanique. Il ne s’agissait que de glyphes mineurs qui émettaient une puissante lumière et un bruit strident lorsque déclenché, de quoi l’alerter, même elle qui avait pourtant le sommeil lourd, et sans nul doute surprendre l’éventuel agresseur.

 Elle descendit prendre son déjeuner dans la salle commune pour y trouver, à la place de Jankol, une jeune femme d’environ son âge. Celle-ci, en la voyant avec son chapeau typique des jeunes magiciens, l’apostropha :

 — Vous devez être Lyssia, l’étudiante de l’institut Amakir, c’est ça ?

 — … oui… ?

 — Inutile de vous méfier, répondit la barmaid aux longues tresses blondes. Papa m’a parlé de vous. Il a fini un peu tard hier soir, alors c’est moi qui gère le service de ce matin. Je m’appelle Verina. Qu’est-ce que je vous sers ?

 Cette dernière phrase avait si naturellement glissé sur sa langue que Lyssia fut instantanément convaincue. Elle prit place au comptoir et demanda tout simplement le petit déjeuner classique.

 Lorsqu’elle aperçut Orion sortir de la sacoche de l’étudiante cependant, la jeune aubergiste laissa échapper un gémissement attendri. Orion la dévisagea de ses grands yeux jaunes, mais ni lui ni Lyssia n’arrêta la main qui vint lui grattouiller les oreilles.

 — Votre père m’a dit que je devrais trouver le doyen du village. Un certain… Solon ?

 — Ah, bien sûr, répondit Verina sans cesser de caresser Orion. Vous trouverez facilement. Sa maison est la dernière sur la droite en suivant la grand’rue.

 Lyssia la remercia et reprit Orion dans son sac. En sortant, un grand soleil l’accueillit. Le déluge de la veille avait percé les nuages, et il devait être deux heures après le lever du soleil. Le sol restait encore légèrement boueux, et l’air gardait l’humidité de la veille. La bourgade s’éveillait autour d’elle et elle redécouvrait la grande rue par laquelle elle était arrivée qui semblait bien plus accueillante de jour que de nuit.

 Elle suivit les indications données par Verina et atteignit sans la moindre encombre la dernière maison sur la droite. Rien ne semblait la différencier des autres, sinon qu’elle semblait un peu plus vieille et possiblement moins entretenue. Les sens de la magicienne l’informèrent cependant que quiconque y résidait était également un disciple des arts mystiques. Elle réajusta sa veste de toile et frappa à la porte de bois.

 Après quelques secondes, celle-ci s’ouvrit sur un homme au crâne dégarni et à la barbe bien taillée. Il dévisagea un instant la nouvelle arrivante d’un air si suspicieux qu’elle se sentit obligée de se présenter la première.

 — Bonjour, je suis Lyssia van Orlia, étudiante à l’Institut Amakir. Êtes-vous Solon Tueur-d’Ours ?

 À l’évocation de l’université, Solon avait élargi l’ouverture de sa porte et s’était même permis un sourire.

 — C’est moi, répondit-il d’une voix posée et calme. En quoi puis-je vous aider ?

 Pour un doyen, il ne semblait pas aussi âgé que ce à quoi Lyssia aurait pu s’attendre. Elle lui donnait tout au plus soixante ans, peut-être cinquante-cinq.

 — Je suis arrivée dans le village hier, et monsieur Jankol Sarlion m’a dit que vous pourriez m’aider pour rencontrer… Croc-Noir ?

 Elle avait pris un demi-seconde pour se souvenir du nom qui lui avait été donné, et lorsqu’il l’entendit, Solon eut l’air gêné :

 — Ah ! dit-il sous la surprise. Et… que voulez-vous à Croc-Noir qui ne pourrait être vu avec un vieil érudit comme moi ?

 Malgré sa visible réticence à faire rencontrer le personnage à l’étudiante, il lui avait ouvert sa porte et l’avait invitée à entrer. Elle le suivit poliment à l’intérieur et prit place dans la salle principale, dans un fauteuil qui avait visiblement connu des jours meilleurs. L’ensemble de la salle était envahi de bibelots et autres attrape-poussière.

 — Pardonnez-moi, je reçois assez peu de nouveaux visiteurs. Les gens d'ici sont habitués à mon désordre.

 Ce disant, il agita son doigt en l’air ; la fenêtre s’ouvrit alors et un courant d’air vivifiant traversa la pièce, soulevant puis emportant la majorité de la poussière au dehors. Lyssia avait reconnu un sort mineur d’évocation élémentaire. Ce Solon était donc bien versé dans la magie, et nul doute qu’il ne s’agissait là que d’une fraction de ce qu’il pouvait faire.

 Il prit place dans le fauteuil en face de celui de Lyssia et croisa ses doigts devant lui dans une posture détendue, invitant la jeune magicienne à poser ses questions.

 — Je… ma thèse porte sur le rôle des aventuriers pendant leur âge d’or et de leur déclin. Il parait que Varoh tenait un rôle de village étape pendant cette période. Avez-vous des commentaires sur cela ?

 Solon sembla prendre un moment pour réfléchir, caressant pensivement sa barbe, mais finit par formuler sa réponse.

 — Quelques aventuriers passent encore de temps à autre. Mais ils se font plus rares chaque année. Ils sont un petit peu… un pari pour le village. Des consommateurs de passage, qu’il faut pouvoir accommoder quand ils passent, mais toujours avec ce petit quelque chose… d’imprévisible.

 Ce mot n’avait pas été choisi au hasard et Solon put voir dans le regard de Lyssia qu’elle comprenait très bien ce qu’il voulait dire. Lors de ses précédents interviews, elle avait entendu parler de nombreuses fois où des voyageurs arrivaient dans un village et pour une raison ou une autre, se lançaient dans une chasse à l’homme avec pour projet de piller tout un village à eux seuls. Souvent, ceux-ci étaient repérés facilement et des villages plus importants ou mieux organisés avaient même une force spéciale de garde-paix destinée à décourager ce genre de décision.

 — À part cela, reprit Solon, ils font également office de main-d’œuvre lorsque le village en a besoin. La plupart du temps, ils sont toujours partants pour effectuer des tâches que les villageois estiment un peu trop dangereuses ou qui sont toujours remises à plus tard. Et c’est bien sûr sans compter sur toutes ces fois où ils arrivent juste à temps pour prêter main-forte aux garde-paix face à une menace extérieure.

 — Un retour… plutôt positif donc ? résuma Lyssia.

 — Plutôt positif, admit Solon. Ils apportent un peu de nouveauté dans le village où, parfois, tout est un peu trop tranquille.

 — Et à quoi attribueriez-vous leur déclin ?

 Solon hocha pensivement la tête :

 — Peut-être la passion a-t-elle disparu. Bien qu’elle ait peu changé, notre société a tout de même continué à évoluer après le Dernier Souffle de la Longévité. Avec le temps, nous avons fini par cesser de compter sur les autres et avons fini par accomplir nous-même les tâches qui nous incombaient. Sans compter qu’être aventurier signifiait mener une vie dangereuse. Lequel d’entre eux peut se targuer, alors qu’il dort le dos coincé sur une racine, de ne pas rêver d’un bon lit confortable à côté d’un feu de cheminée ?

 Lyssia hocha pensivement la tête en notant ce que disait le vieil homme.

 — Qu’en est-il de vous ? s’enquit-il alors. Vous arrivez ainsi dans Varoh… N’êtes-vous pas aventurière également ?

 — Moi ? sursauta presque Lyssia. Non, non, pas du tout. Je suis juste… juste une étudiante. J’ai un plan de vie assez clair dans mon esprit, je n’ai aucun désir d’aventure quel qu’il soit.

 — Vraiment ? Et quel plan avez-vous ?

 Elle referma son carnet et croisa ses mains sur ses genoux.

 — Eh bien… une fois que j’aurais fini mes études, je pense faire construire ma propre maison avec mon propre laboratoire d’alchimie non loin de Padora, où j’ai grandi. Les gens ont toujours besoin d’un mage ou d’un alchimiste pour leurs maux. Je pourrais devenir l’apothicaire de ma ville, aider et faire grandir ma communauté. Peut-être viendrait-on de tout le pays pour me voir, qui sait ?

 — Qui sait, en effet, répéta Solon en hochant la tête. Je dis seulement cela parce qu’il est vrai que le nombre d’aventuriers a drastiquement baissé depuis l’âge d’or. En avez-vous beaucoup rencontré ?

 — Très peu, admit-elle. Et la plupart venaient de commencer et ne pouvaient pas beaucoup m’aider sur leur travail tant ils avaient peu d’expérience.

 Solon hocha à nouveau pensivement la tête et sourit par la fenêtre :

 — Je pense que je comprends pourquoi Jankol vous a recommandé Croc-Noir. Son apport pourrait en effet s’avérer… intéressant pour vous.

 Le visage de Lyssia s’illumina un instant.

 — Mais je dois vous prévenir, jeune van Orlia, reprit-il d’un ton plus sérieux. Croc-Noir n’est pas toujours très disposé à recevoir des invités. Il serait plus sage d’attendre une de ses visites.

 Le ton laissait clairement comprendre que l’individu était dangereux, aussi la jeune femme prit l’avertissement très au sérieux.

 — Quand… quand se rend-il ici ?

 — Cela dépend. Parfois il vient plusieurs jours d’affilé. Souvent une fois par mois. On pense qu’il vient surtout quand il en a envie.

 Lyssia soupira et se laissa retomber sur le dos de son fauteuil qui grinça sous son poids.

 — Et… qu’est-ce que je risque à aller le trouver moi-même ?

 Solon pesa la tête. Si quelque chose arrivait à l’étudiante avec Croc-Noir, il s’en voudrait. Mais de l’autre, elle semblait très impatiente de le rencontrer.

 — Je ne peux pas me prononcer. Il n’apprécie pas qu’on lui rende directement visite. Il peut être assez… territorial.

 — « Croc-Noir », « n’aime pas les invités », et maintenant « territorial » ? On parle bien d’un être humain ?

 — Il est un peu particulier, mais ce n’est pas non plus une bête féroce. Il y a simplement des us et coutumes lorsqu’on parle de lui. Et puis… il n’est pas vraiment… humain.

 — Oui, reprit Lyssia en joignant ses doigts devant son visage. On m’a dit qu’il était… un peu…

 Elle mima les oreilles pointues typique des elfes. Le geste n’échappa pas à Solon qui hocha une tête surprise.

 — On vous a bien renseigné. C’est en effet ce qu’on dit sur lui.

 Un elfe. Lyssia n’y croyait toujours pas. Allait-elle réellement rencontrer un elfe dans sa vie ?

 — Écoutez, proposa alors Solon. Je suis d’habitude le seul à pouvoir aller voir Croc-Noir sur son territoire. Peut-être puis-je lui demander de venir au village vous rencontrer. Qu’en pensez-vous ?

 Lyssia inclina très respectueusement la tête face au doyen.

 — Vous m’en verriez ravie et reconnaissante. Quand pensez-vous pouvoir aller le voir ?

 Solon se leva et s’étira le dos en se rappelant de son âge.

 — Je pourrais bien partir aujourd’hui, mais malheureusement, je dois m’occuper de Sarlia Hauterive, à trois maisons d’ici. Elle est tombée malade avant-hier et je lui ai administré un remède dont j’aimerais voir les effets aujourd’hui. Je devrais sans doute rester à son chevet toute la journée pour m’assurer qu’elle va bien et qu’elle ne manque de rien. Je pourrai peut-être partir demain

 Lyssia suivit le mouvement de son hôte et le suivit vers la sortie. Une idée lui vint alors :

 — Si vous permettez. J’ai des connaissances en médecine. Peut-être puis-je rester au chevet de Sarlia pendant que vous vous rendez sur le territoire de Croc-Noir ?

 Solon, la main déjà sur la porte, regarda l’étudiante qui lui faisait face. Une discrète lueur passa dans ses yeux alors que son visage formait progressivement un sourire bienveillant.

 — Peut-être… dans ce cas, suivez-moi. J’allais justement me rendre chez elle.

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