Chapitre 1 - L'Auberge du Loup Galant

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 Une pluie torrentielle s’abattait sur toute la région lorsque que Lyssia atteignit enfin la bourgade de Varoh. Elle avait passé les derniers kilomètres avec sa cape au-dessus de la tête, se protégeant comme elle pouvait du déluge sous lequel elle se trouvait, et se rassurant à l’idée que Varoh n’était plus loin.

 Enfin, c’est épuisée qu’elle poussa la porte de l’auberge du Loup Galant. Dès qu’elle entra dans la salle, elle fut agressée par une puissante odeur de renfermé et d’alcool, mais pour la jeune mage, tout était préférable au temps qui l’attendait dehors. Réajustant son chapeau qui ne couvrait qu’une partie de ses longs cheveux bruns, elle se dirigea vers le comptoir étonnamment vide. L’auberge était remplie de la fumée de pipes en bois et du bruit passionnés des joueurs de cartes imbibés.

 Aussi, lorsqu’il la remarqua, l’aubergiste ne put retenir une certaine surprise. Il arrêta sa conversation avec l’un des rares clients au comptoir et se tourna vers la nouvelle arrivante :

 — Jeune madame, que puis-je pour vous ?

 C’était un homme affable et professionnel, un peu bedonnant, dont le tablier portait encore quelques tâches d’alcool et de sang d’animal mal lavé.

 — Bonsoir, répondit Lyssia avec un sourire fatigué. Auriez-vous quelque chose de chaud ? Une soupe ?

 — Bien entendu, je vous l’apporte tout de suite.

 — Puis-je vous demander deux bols ?

 Se retournant un instant pour s’assurer d’avoir bien entendu, l’aubergiste s’exécuta poliment et ramena une soupe dans un bol en bois ainsi qu’un deuxième bol vide similaire. Lyssia le remercia d’un sourire et des cinq pièces d’argent qui constituaient le paiement. Elle versa alors un tiers de la soupe dans le bol vide et entrouvrit le sac qu’elle portait en bandoulière.

 Trois petits poils en sortirent, suivi d’un museau et d’une tête poilue aux grands yeux jaunes. Aidé par sa maîtresse, le chat atteignit le comptoir où, après avoir regardé et flairé le liquide, se mit à le boire calmement. De son côté, Lyssia avait attendu que le chaton se mette à table avant de se servir elle-même.

 — Un joli petit animal que vous avez là, jeune madame, dit l’aubergiste en lavant un verre. Comment s’appelle-t-il ?

 — Orion, répondit la jeune femme en se réchauffant les mains sur le bol. Il va bientôt avoir deux ans.

 — Et qu’est-ce qu’une jeune magicienne et son chaton font du côté de Varoh ? s’enquit l’aubergiste.

 — Je suis étudiante en magie à l’Institut Amakir. On nous laisse un an pour préparer notre thèse, alors j’en profite pour voyager et recueillir des informations.

 À ces mots, les yeux de l’aubergiste s’illuminèrent et il écarta les bras, dominant alors la jeune femme de sa carrure bonhomme :

 — L’institut Amakir ? s’écria-t-il. J’y ai fait mes études aussi ! Vous décorez toujours la statue du fondateur pour votre diplôme ?

 Le visage de Lyssia s’était lui aussi illuminé :

 — Mais oui ! Cette année, ils lui ont fait porter un chapeau et lui ont accroché une moustache !

 — Ah c’est bien, dit l’aubergiste en tapotant l’épaule de Lyssia. C’est bien que les traditions ne se perdent pas.

 — J’ignorais qu’étudier à l’Institut Amakir pouvait avoir des débouchés si… éloignés de la magie.

 — Oh, ne vous fiez pas aux apparences, répondit-il en rangeant son verre désormais sec. Un peu de magie peut toujours servir, quelle que soit la carrière.

 Sur ces paroles, il lui adressa un clin d’œil et une petite flammèche jaillit de son pouce dressé. Amusée, Lyssia répondit de même.

 — Jankol Sarlion, se présenta-t-il en lui tendant la main.

 — Lyssia van Orlia, répondit-elle en la lui serrant.

 Jankol attrapa alors un verre de derrière lui, le remplit d’une bière claire et le tendit à la jeune femme.

 — C’est offert par la maison, dit-il. Bienvenue à Varoh !

 Avant que Lyssia ait pu le remercier, Jankol avait déjà pris la commande d’un nouvel arrivant, laissant alors l’étudiante seule avec son chat et son repas. Elle le regarda un moment ; personne n’aurait pu croire au premier abord qu’un tel homme soit un magicien. L’institut Amakir était connu pour être l’un des plus réputés du continent. Y entrer n’était pas une partie de plaisir, et y rester n’était pas plus facile. Ses diplômés formaient souvent les hautes sphères du monde de la magie. Comment cet homme avait-il fini aubergiste dans ce qui semblait de toute évidence n’être qu’un village étape ?

 Sa soupe finie, elle fouilla dans son sac pour s’assurer que ses affaires avaient résisté à la pluie. Son grimoire et son carnet avaient pris un peu l’humidité mais ils avaient survécu à pire. Aucune de ses cinq fioles de potion ne s’était brisée, bien calées dans leur emplacement spécifique, et le reste de son ensemble de papeterie semblait sain et sauf. Malheureusement, plusieurs des ingrédients qu’elle gardait pour ses séances d’alchimie avaient été irrémédiablement endommagés. Sa plume de chouette s’était cassée et son sachet contenant ses cendres de chêne centenaire était introuvable.

 — Alors ? Cette thèse ?

 Lyssia sursauta un instant ; elle n’avait pas entendu l’aubergiste se rapprocher. Il avait fini de servir les autres clients et se servait lui aussi un verre pour accompagner l’étudiante.

 — Oh c’est… je suis restée classique, répondit-elle modestement. Il s’agit d’une étude sur l’âge d’or des aventuriers et les causes de leur déclin. On nous a toujours répété que les aventuriers jouaient un grand rôle il y a cinq cents ans. Pourtant aujourd’hui, ils ont quasiment disparu.

 Jankol hocha la tête et prit une gorgée.

 — Et comment ça se passe jusque-là ?

 — J’ai pu discuter avec quelques érudits que j’ai croisés sur la route, et j’ai fait plusieurs haltes dans des villages comme Remilevon, Sarcadelle et Jinjok, qui étaient connus pour avoir leur système économique s'appuyant beaucoup sur les allées et venues de l’époque, principalement des aventuriers. J’ai commencé à prendre des notes, mais je n’ai encore rien formulé.

 Jankol hocha à nouveau la tête, plus pensivement cette fois, et il ne fallut aucun sortilège pour que Lyssia comprenne qu’il avait une idée à laquelle il pensait. Elle hasarda :

 — Un conseil à prodiguer ?

 — Peut-être, répondit-il encore à moitié dans ses pensées. J’ai quelqu’un qui pourrait t’apporter beaucoup si tu passais un peu de temps avec lui.

 — Je… ne vois pas ce que vous voulez dire, répondit-elle méfiante.

 — C’est un ancien aventurier. Il vient souvent dans le village. Il est un peu le saint-patron mais…

 Il jeta un regard derrière chaque épaule et fit signe à la jeune femme de s’avancer afin de lui murmurer :

 — Je pense que c’est un elfe.

 À ces mots, Lyssia écarquilla les yeux et répéta, chuchotant elle aussi :

 — Un elfe ? Mais… mais je pensais qu’ils avaient tous quitté la terre de Krell.

 — Nous aussi, répondit Jankol en se redressant. Mais il semblerait que celui-ci soit resté. Son savoir pourrait t’être utile.

 — En effet, en effet, répéta-t-elle encore sous l’excitation.

 Un elfe, se répétait-elle. Depuis qu’elle était toute petite, on lui avait raconté des histoires sur ces êtres quasi-immortels qui, il y a encore quelques siècles, partageaient Krell avec les autres races. Puis, un jour, sans prévenir, ils avaient tous disparu. Leurs forêts s’étaient tues, et certains racontaient qu’ils avaient pu juste entrapercevoir des bateaux qui s’éloignaient des côtes ouest du continent pour ne jamais revenir. Personne n’avait jamais su ce qu’il s’était passé, pourquoi ils avaient quitté Krell. Parmi eux se trouvait Valle Amakir, qui avait donné son nom au célèbre institut. Lui aussi avait disparu et, cent ans après l’évènement décrit comme « le dernier souffle de longévité », l’institut à son nom avait été inauguré et formait aujourd’hui les magiciens et sorciers les plus talentueux.

 — Mais… sait-il ce qu’il s’est passé ? demanda Lyssia. En a-t-il déjà parlé ?

 Jankol secoua la tête.

 — Nous avons essayé de lui poser la question, mais il refuse d’en parler.

 — Mais… mais c’est fondateur ! Il s’agit d’un pan caché de notre histoire ! Si les elfes ont quitté Krell, il devait y avoir une raison ! Qui d’autre est au courant de son existence et de son… ascendance ?

 Jankol hocha les épaules :

 — Au village ici, tout le monde le connait. Mais tout le monde sait aussi garder le silence. Il tient beaucoup à garder secrète son existence. J’espère que je peux te faire confiance.

 Il avait dit cela avec sérieux, et Lyssia put comprendre qu’il l’était réellement. La manière dont il parlait de cet elfe marquait un profond respect pour le personnage et ses volontés. Elle hocha la tête.

 — Je comprends, bien sûr. Et… où puis-je le trouver dans ce cas ?

 — Il se fait appeler Croc-Noir. Il habite une ruine à quelques kilomètres d’ici, mais demande à ce qu’on ne vienne pas le voir, sauf en cas de nécessité. C’est notre doyen, Solon Tueur-d’Ours, qui lui rend visite lorsqu’il veut lui parler. Sinon, c’est lui qui vient à nous, parfois.

 Lyssia assimilait les informations en hochant la tête, mais ne put retenir un bâillement dans sa gorge. Il était tard et elle avait marché toute la journée. Son corps commençait à se rappeler à elle. Jankol ne manqua pas ce détail lui sourit :

 — Allons, ne te préoccupe pas de ça ce soir. Je peux t’avoir une chambre pour 10 pièces d’argent ce soir. 8 à prix d’ami !

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