ZELZAL - La terre tremble

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Agadir – Côte Ouest du Maroc, littoral Atlantique.


Vendredi 8 septembre 2023, 23h10.

Soirée chill en pyj’ léger devant un reportage. Dehors, la nuit est calme. Ciel clair, parsemé d’étoiles. Pas un souffle de vent, température clémente.


23h11 – 30 secondes… une éternité.

Une douce torpeur plane dans la chambre. Ma petite épagneule se gratte au pied du lit, faisant légèrement trembler le sommier.

Bizarre, elle se gratte vraiment fort ! Elle doit avoir des puces.

La vibration du lit s’accentue encore un peu plus. Soudain, il se met à bouger davantage, latéralement cette fois. Un grondement sourd enfle à l’extérieur.

« Tremblement de terre ! » sont les seuls mots que je parviens à articuler à l’attention de ma moitié.

D’un regard entendu, nous nous éloignons de la fenêtre jouxtant le lit. L’intensité de la secousse ne fait qu’augmenter à mesure que le grondement devient assourdissant. L’immeuble commence à tanguer dangereusement. Tout n’est que vibrations. Trop tard pour quitter les lieux.

Et notre fils qui est chez son grand-père ce soir… qu’advient-il de lui ? S’est-il mis à l’abri ?

Nous nous réfugions sous le chambranle de la porte, nos deux chiens tremblants à nos pieds. La puissance du séisme augmente encore et encore.

Ça ne s’arrêtera donc jamais ?

Le mur contre lequel nous sommes appuyés cogne contre nos épaules. Il semble vouloir nous mettre à terre. Les coups se répercutent dans chacun de nos muscles.

Des objets tombent un peu partout dans l’appartement. Des cris résonnent sur le parking. Un enfant hurle sa terreur. La secousse gagne encore en puissance…

Tout à coup, alors que nous nous attendions à ce qu’un mur ou l’autre s’écroule, plus rien.

Plus de lumière. Plus de bruit. Plus de chocs. Le vide.

Quelques secondes de flottement. Puis, dans le noir, nous enfilons à la hâte vestes et pantalons. Nous nous saisissons de nos téléphones, pièces d’identité et clés de voiture. Bien sûr, nos chiens nous accompagnent. Nous descendons les escaliers précipitamment, à tâtons, sans penser un seul instant à utiliser la torche du téléphone.


23h15

Le parking est plein. Nos voisins paniqués se soutiennent mutuellement, se rassurent. Nous choisissons de nous diriger à l’arrière de la résidence où se trouve un terrain vague. Nos compagnons à quatre pattes pourront ainsi évacuer leur anxiété sans être au milieu de la foule.

Le réseau est surchargé. Impossible de joindre notre fils. Alors que l’inquiétude me ronge, une nouvelle priorité s’impose à nous : connaître la localisation de l’épicentre. S’il est dans les terres, nous pourrons rentrer chez nous après avoir attendu raisonnablement une éventuelle réplique. S’il est en mer, nous devons prendre la voiture sans attendre, récupérer fiston et grand-père pour aller nous mettre à l’abri dans les collines avoisinantes… risque de tsunami oblige.


23h20

« Alors, les parents, comment avez-vous vécu cette secousse sismique ? Moi, j’ai trouvé que c’était une expérience intéressante. »

Ah, ce gosse ! Imperturbable ! Même son message reflète son flegme habituel. Étrangement, je ne suis même pas étonnée.

Nous parvenons à le joindre de vive voix. Les nouvelles sont rassurantes. Nous réussissons également à obtenir l’information cruciale de l’épicentre. Il est dans les terres. Dans un moment, nous serons en mesure de regagner notre appartement.


Samedi 9 septembre 2023, au petit matin.

L’horreur nous frappe de plein fouet. Aux infos, vidéos et témoignages se succèdent, tous plus alarmants les uns que les autres. Étrangement, la plupart sont centrés sur Marrakech. Cependant, il y a pire. Des centaines de villages de montagne ont été détruits. Ils sont à peine mentionnés. Forcément, c’est moins glamour que Marrakech, les people n’y mettent pas les pieds ! Pourtant, la plupart des victimes se trouvent sous les décombres de ces douars. Des gens qui habitaient des maisons de pierres, de briques, de pisé. Chez eux, pas de béton armé. Dans certains endroits, il ne reste plus rien. Même les chemins d’accès se sont effondrés. Les quelques survivants se retrouvent démunis et les secours ne sont pas près d’arriver jusqu’à eux.

Ici, à Agadir, beaucoup ont dormi dehors. Dans les jardins, les voitures. Les terrains vagues se sont transformés en camps de camping. Ils le resteront tout le week-end.

Notre ville voit ses cicatrices se rouvrir, ses souvenirs douloureux refaire surface. En 1960, une première secousse avait fragilisé les habitations. La seconde, plus d’une heure après, avait achevé la terrifiante besogne. La cité côtière fut détruite en 15 secondes, entraînant 12 000 âmes dans l’au-delà et faisant 25 000 blessés.

Ce sont probablement les réminiscences de cet événement qui sont à l’origine de l’extraordinaire mouvement de solidarité dont nous sommes témoins aujourd’hui. Dès les premières heures, des particuliers ont chargé leurs véhicules de couvertures, nourriture, eau et autres produits de première nécessité. Direction les montagnes et tous ces villages sinistrés.


Lundi 11 septembre 2023

Les aides ne cessent d’affluer, les volontaires sont légion. Il y a cette peine partagée, ce désir de prendre soin de ceux qui ont tout perdu. Nous sommes tous touchés en plein cœur. Marocains, immigrés (dont je fais partie), touristes… nous nous serrons les coudes.

En tant que responsable d’établissement scolaire, je me dois d’accueillir « mes » enfants comme il se doit ce matin. Les cours sont mis de côté durant quelques heures. Les petits loups ont besoin d’extérioriser leur ressenti, leur expérience. Beaucoup ne se sont rendu compte de rien ; ils dormaient. D’autres ont essentiellement absorbé l’anxiété de leurs parents. Tous ont raconté leur expérience avec humour.

« Notre voisin est sorti en slip. Il a oublié son pantalon mais pas son paquet de cigarettes ! »

« Ma grand-mère qui peut à peine marcher a tapé le sprint de sa vie ! »

« Nos murs se sont fendus, on est sortis mais ma mère a oublié les chats. Je lui en veux à mort ! »

« J’ai eu la trouille mais j’ai ma petite pieuvre anti-stress alors ça va mieux. »

« Je suis resté dans mon lit et j’ai analysé l’évolution de la secousse. Trop bien ! »

« Mon père a grondé ma sœur qui voulait mettre son téléphone en charge avant de sortir de l’appartement. »

« Mon père comptait son fric. Dans le jardin, la piscine a commencé à faire des vagues. On est tous sortis et tout à coup il s’est aperçu qu’il avait oublié ses billets. Il est re-rentré en speed pour tout récupérer. Comme ça, si la maison s’était écroulée, on aurait eu de quoi se racheter un appart’. »

« Je suis resté bloqué sur mon lit et après il y avait encore le tremblement de terre dans mes jambes. »

Une fois tout le monde dans de bonnes dispositions, nous avons fait un rappel des consignes de sécurité en cas de séisme et un petit exercice de mise en condition. Trop drôle de se cacher sous la table !


Vendredi 15 septembre 2023

Plus d’une centaine de secousses depuis vendredi dernier. Certaines à peine perceptibles, d’autres plus conséquentes.

Nous préparons un convoi de véhicules tout-terrain que nous allons charger de tentes, vêtements, réchauds, lampes, petites tables en plastique, médicaments et matériel de cuisine. Un village du côté de Taroudant nous attend. 42 familles dorment dehors depuis une semaine. Ils ont reçu de la nourriture mais rien d’autre. Au total, ce sont 200 personnes qui comptent sur nous.

Demain, nous partons à l’aube. Le trajet s’annonce risqué, les multiples répliques de la semaine ayant entraîné des dégradations supplémentaires sur les chemins d’accès. Mais cela n’en vaut-il pas la peine ?


***

Il y aurait encore tellement de choses à dire sur cet événement. Je pense notamment à toutes ces initiatives prises au cours de la semaine. Par exemple, les chauffeurs de taxi qui ont décidé de transporter gratuitement les personnes faisant un don de sang...

Je complèterai probablement ce chapitre dans quelques jours mais, en attendant, je tiens à remercier du fond du cœur toutes les personnes qui ont participé à notre collecte. Mon salon est plein !! Nous ne pourrons aider tous les sinistrés. Mais si chacun fait un petit geste, alors l’espoir perdurera.

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