ZELZAL – Partie 2

4 minutes de lecture

Région de Taroudant – Massif de l’Atlas.

Samedi 16 septembre 2023.

Presque trois heures de route entre Agadir et notre destination, le petit village de Tilkent. Plus nous approchons, plus les conséquences du séisme sont visibles. Peu avant d’entrer dans Taroudant, nous remarquons quelques murs effondrés, le long des champs. Une fois dans la ville, ce sont des scènes poignantes qui nous attendent. Çà et là, des habitants se sont installés sous des tentes, à même le trottoir. D’autres, sur des places, ont étendu tapis et couvertures. Les remparts de la ville sont éventrés, les maisons lézardées de crevasses.

À mesure que nous poursuivons notre route, nous constatons que les mosquées ont été durement touchées. Les minarets, souvent décapités, penchent dangereusement. Plus loin, d’énormes blocs de roche échoués sur l’asphalte, gênent la circulation. Ces routes, habituellement peu fréquentées, sont parcourues par une quantité incroyable de véhicules hétéroclites, surchargés de nourriture, eau, couvertures, vêtements, médicaments… Camions, triporteurs, motos, voitures sillonnent la montagne sans discontinuer, depuis une semaine maintenant.

Notre contact, un jeune homme originaire de Tilkent, vient nous retrouver sur le goudron en mobylette, afin de nous guider jusqu’à la piste menant à son village. Il s’inquiète pour son niveau d’essence mais nous mène tout de même à travers le relief aride parsemé d’arganiers. En d’autres circonstances, nous nous serions extasiés face à cette nature à la fois grandiose et inhospitalière.

L’accès à Tilkent est étroit, jalonné d’éboulements. Nous garons finalement notre convoi composé de quatre véhicules tout-terrains sur ce qui semble avoir été la place principale du village. De ce douar, il ne reste pratiquement rien. Une mosquée éventrée et trois ou quatre maisons fissurées devenues trop instables pour abriter qui que ce soit. Les constructions de terre, pierre et briques se sont effondrées comme des châteaux de cartes.

Au loin, sur un plateau, une douzaine de tentes bleues envoyées en urgence par le gouvernement. Trop peu pour loger les deux cents personnes qui vivent ici. Le drame dans ce village n’est pas le nombre de victimes. Hormis la destruction quasi-totale des habitations, ces gens ont perdu cinq enfants, piégés dans leur sommeil. Certains d’entre eux ont essayé de fuir mais les portes se sont bloquées, les laissant seuls face à leur funeste destin.

Nous sommes accueillis par les hommes du douar. Ils nous saluent chaleureusement, masquant leur peine sous de discrets sourires reconnaissants. L’un d’eux nous explique que le corps de son fils gît toujours sous les décombres, à quelques mètres de là. Nous retenons nos larmes, ce serait indécent d’afficher notre peine. La gorge nouée, nous visitons le village. Les hommes nous racontent comment ils tentent de s’organiser au quotidien. Les familles d’un côté, les célibataires (masculins) rassemblés sous une tente servant également de lieu de prière, les dons distribués équitablement ou par tirage au sort quand cela est nécessaire, les animaux survivants parqués en sécurité, le puits à retaper, les repas préparés en commun…

Quelques enfants nous tournent autour, courent, jouent. Nous leur avons apporté des ballons. À leur réaction, on pourrait croire que c’est devenu leur bien le plus précieux.

Alors que nous nous apprêtons à vider les voitures, nous sommes entraînés un peu plus loin, sur un autre petit plateau où trône une grande tente composée d’un patchwork de tissus récupérés dans les décombres. Nous n’avons pas le droit de protester, c’est l’heure des remerciements : thé à la menthe, dattes, fruits secs, gâteau maison, pain maison, huiles d’olives et d’argan. Tout a été préparé avec les moyens du bord. Un monsieur parcheminé, boiteux et souriant nous installe sous un abri. Une table et des chaises en plastique nous attendent. Nous sommes hésitants, pourtant, il serait mal venu de refuser cette invitation.

« Maman, me souffle mon fils, je ne peux pas manger.

— Pourquoi ?

— Ces gens ont tout perdu, on ne va pas leur prendre leur nourriture !

— Il serait malpoli de refuser. C’est le seul moyen qu’ils ont de nous remercier. »

Nous picorons du bout des lèvres tout en discutant avec celui qui doit être le « chef » du village. Il nous donne davantage de détails sur cette nuit du 8 septembre. Notre souhait de les aider ne fait que croître.

Nous rejoignons nos véhicules afin d’en extraire tout ce que nous leur avons apporté. En quelques secondes une bâche recouvre le sol. Les hommes nous interdisent de faire quoi que ce soit. Les voitures sont vidées en moins de cinq minutes. Tentes, vêtements, médicaments, réchauds, matériel de cuisine, lampes solaires, tables basses et paquets de thé sont agencés sur la bâche avec une efficacité et une rigueur exemplaires. Bien que conséquents, nos dons paraissent bien peu en comparaison de tout ce qui a été perdu.

L’heure de repartir approche. Nous nous attardons encore un peu dans le village, discutons avec les uns et les autres, faisons la liste de ce que nous pourrions encore apporter afin de leur rendre la vie plus douce. Enfin, nous prenons congé, le cœur gros.

Nous étions venus pour apporter notre aide… finalement, nous repartons riches d’une leçon de vie incroyable. Nous, qui sommes à l’abri, qui avons de quoi manger, nous habiller, nous soigner… nous qui passons notre temps à nous plaindre pour des broutilles… nous ferions mieux de prendre exemple sur ces gens formidables.

Merci Tilkent… Ta force et ton courage m’accompagnent désormais chaque jour.

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