L'exposition

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Quelques mois plus tard, tout est prêt. Auparavant, la campagne de pub dans la presse avait déjà fait son travail de préparation des esprits. Accompagnée par la polémique sur l’œuvre elle-même, la polémique sur la tentative d’incendie dont elle avait été l’objet (qui n’était qu’un montage complice) et les sempiternelles controverses sur la liberté d’expression. Les déclarations outrageantes de quelques personnalités d’extrême droite et les réponses outragées de la gauche et de l’establishment politique avaient ravivé le feu médiatique juste avant l’inauguration. Tout avait parfaitement fonctionné, même le changement de nom de l’évènement : au départ on avait laissé fuité qu’il se nommerait « Ta mère, la pute » pour finalement expliquer, après l‘indignation des groupes de défense de la famille et de quelques féministes, qu’il n’avait jamais été question de ces termes et qu’il s’appellerait « Ta gueule, connard !». Ce terme était le seul qui avait fait l’objet d’une énorme discussion. On voulait bien un terme provoquant et insultant mais pas au point de révulser les possibles visiteurs et entrainer une possible baisse de la fréquentation. Le sujet était délicat et il fallait trancher entre la volonté de provocation de l’artiste et les intérêts, surtout financiers, des producteurs, organisateurs et investisseurs. La grande femme blonde qui finalement avait été pleinement associée au projet, avait fini par avoir raison de l’artiste.

On avait préparé le public. Il s’agissait de leur faire croire en une sorte de challenge. Allez-vous résister aux insultes pour accepter de franchir les limites de la liberté artistique, transgresser votre propre culture bourgeoise pour accéder à l‘art véritablement subversif ? Dès l’accueil à l’entrée de l’exposition, le ton était donné.

_Bonjour je voudrais 2 entrées dont une tarif éudiant s’il vous plait.

_ Salut connard tu viens te faire défoncer pendant 2 heures et en plus tu vas raquer pour cela répondait l’hôtesse d’accueil.

_ Euh, ben, oui exactement !

_ 18 euros, tête de nœud.

_ Alors euh, Merci …

_ Va te faire foutre toi et ta famille de merde. Finissait l’hôtesse toute en finesse.

L’ambiance était étrange voire malsaine. Le pire se déchainait lorsque certains visiteurs voulaient donner le change en étant aussi grossiers que l’hôtesse d’accueil. Dans ce cas-là les insultes redoublaient d’intensité et le ton devenait extrmement agressif, l’hôtesse jouant le registre de l’offensée par le visiteur sous prétexte qu’il ne la respectait pas, alors qu’elle n’était en rien responsable de ce qu’on lui avait dit de faire. Le visiteur était en général déstabilisé et abandonnait ses insultes voire s’excusait devant l’hôtesse lorsqu’elle le rendait coupable de s’attaquer à elle « alors qu’elle ne faisait que son travail ! ». Quand le client abandonnait et s’excusait alors l’hôtesse redoublait d’insultes gratuites pour finir de rendre cette situation illisible au niveau de l’identification de qui était réellement grossier où qui jouait un jeu.

A l’intérieur on trouvait tout un tas de machines à insulte qui s’actionnaient à l’aide de boutons ou de manivelles, de tableaux comportant des grossièretés ou des images symboles d’insultes courantes. La première œuvre vendue fut un tableau de 17000 euros représentant un visage de très jolie femme regardant vers le haut, la bouche légèrement ouverte de par la position en arrière de sa tête, avec un cul lui déféquant dans la bouche, intitulé « je te chie à la gueule ».

A la fin du parcours le spectateur pouvait lire un panneau explicatif :

« Tu n’es qu’un sale bourgeois de merde. Cette exposition n’est pas là pour te faire réagir, ni pour que tu ressentes quoi que ce soit vis-à-vis de l’art. Elle est faite pour t’insulter, toi et les tiens qui au regard du reste du monde sont des obscénités. Ton fric puant s’étale devant ce monde de misère et de pauvreté, conséquence de l’exploitation sans aucun remord que les tiens font subir à tout ceux qui sont trop faibles pour résister à ta technologie et tes machines de guerre. Le sang de l’Afrique et d’une grande partie de l’Asie a taché l’argent qui te permet d’entrer dans cette expo. Tu n’es qu’une merde, une sale merde qui pue la violence à l’origine de ton confort. Tu ne vaux rien, tu es un moins que rien. Ta mère est bien une pute car c’est elle qui t’a ainsi éduqué. »

Ce texte portant trop à polémique, la grande blonde, amincie des doigts de pieds au sommet du crane, arriva à convaincre Marc de l’ enlever à peine quelques jours après l'inauguration. L’exposition a ainsi pu retrouver tout son sens… Un simple et authentique divertissement artistique.

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