Le système...

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Quelques mois plus tard, Marc inaugurait une exposition montrant des tableaux, images de guerre terribles, avec des séries sur les enfants, éventrés, décapités et des morceaux de corps déchiquetés par des bombes. Il était accompagné de cette grande femme blonde, élancée jusqu’aux cieux. En s’approchant d’un tableau, il put entendre l’échange entre de deux clients de la galerie qui venaient de se retrouver.

_ Salut enfoiré comment tu vas ?

_Salut fils de chien, ça va bien et toi ?

_ Pareil, gros enculé.

Ils eurent un sourire et commencèrent à commenter le tableau devant lequel ils se trouvaient. Il représentait une petite fille de quatre ou cinq ans, debout devant son bras qu’elle venait de perdre. Elle avait un air triste et étonnée, paradoxalement sans expression de la moindre souffrance.

_ T’as vue cette chiure avec son bras en moins, elle n’a même pas l’air de morfler.

_ C’est bizarre mais c’est toujours comme cela avec ce putain d’artiste de merde, il adore l’ambiguïté.

Marc restait sidéré après avoir entendu cela. Il commença alors à déambuler parmi les visiteurs de la galerie et ce n’était qu’un flot constant d’injures et de grossièretés. Il se serait cru lors d’une caméra cachée. Ce qui était étrange c'est que toutes ces personnes s’injuriaient sans s'énerver et même en riaient beaucoup. Il se tourna vers sa compagne et lui adressa un visage d’incompréhension totale, un balancement de tète exprimant que tout cela n’avait aucun sens.

_ C’est ça quand on reste trop loin du monde, coupé des medias et des mondanités, on perd parfois le fil ! Ironisa-t-elle en souriant.

_ Et bien dites-moi alors, parce que là, je ne comprends rien. Non seulement ces gens font n’importe quoi mais ils paraissent s’amuser devant les horreurs de la guerre. Effectivement, je ne comprends pas…

_ J’aurais peut-être du vous prévenir avant, mais on ne se voit jamais, grand sauvage que vous êtes! En fait, cela fait plusieurs mois que cela a commencé et pris peu à peu de l’ampleur. Après votre exposition sur la vulgarité en fait. La mode a décrété que votre exposition signifiait que nous étions tous des machines à grossièretés. C’est surtout une vidéo virale sur internet qui a lancé ce phénomène. On y voyait une parodie des visiteurs de l’exposition qui passaient leur temps à s’insulter. Peu à peu, les gens se sont mis à faire pareil. Sur le ton de l’humour, ils se divertissaient de ce qui était pour eux une transgression des codes de politesse et des normes de bienséance. Et voilà où on en est aujourd’hui... Lamentable n’est-ce pas ?

_ Putain je suis dégouté là, alors c’est ma faute en fait ? Mais tout ça c’est de la merde totale ! Ils sont tous devenus fous ou quoi ? Ils n’ont donc rien compris, la vulgarité c’était pour les mettre en face de l’obscénité de leur statut social. Et ils en ont fait quoi de ce symbole de la contestation ? Et maintenant, ils s’amusent avec et cela les empêche de voir le message sur l’atrocité de la guerre ! C’est de la pure folie, comment a-t-on pu en arriver là ? Ce manque d’intelligence, ce manque de sensibilité, ce manque d’humanité ? Comment la vulgarité tout en étant la forme la plus contestataire, la plus subversive, la plus opposée au système a-t-elle pu permettre de faire que ces gens soient encore moins critiques et moins sensibles à la contestation ?

_ Peut-être parce que tu as agi au centre du système, au sein même de la classe bourgeoise. Peut-être parce que le système s’introduit partout même dans tes créations subversives ? Peut-être parce que le système est là, en chacune de tes œuvres, en chacune des galeries qui te permettent d’exposer. Peut-être parce que le système est partout… Peut-être parce qu’il est aussi…en moi.

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