Troisième Partie :

7 minutes de lecture

C'est avec une excitation palpable que l'homme aux trois visages tire sur la corde qui enserre les poignets de sa victime. Après une dernière vérification, il sourit de satisfaction.

Tout est prêt pour sa prochaine attaque, les liens sont suffisamment serrés, les nœuds solides et les ustensiles sont propres et étalés sur une desserte qui traîne près d'un lit en ferraille. Dans un rire rauque et dément, Sergueï vide une petite quantité de javel sur un torchon poussiéreux. Avec attention, il passe la serviette humidifiée sur une lame d'environs quinze centimètres. Bien que l'objet soit dans un état déplorable, il s'agit pourtant de l'arme fétiche du meurtrier. C'est avec celle-ci qu'il achève chacune de ses proies, qu'il les mène vers une mort lente et douloureuse. Le couteau à l'acier noirci et au manche déformé est celui qui a tué sa première victime, il y a de cela bien longtemps. Une femme d'une trentaine d'années qu'il avait égorgé dans une ruelle obscure, à l'arrière du bar dans lequel il l'avait charmée quelques heures plus tôt. Il s'était instantanément vu fasciné par l'épais liquide pourpre, si bien qu'il avait léché ses doigts ensanglantés avec délectation.

C'est elle, la jolie Marjorie, qui lui a fait découvrir la genèse du vice, ces plaisirs sanguinaires desquels il se repaît désormais.


Installé sur un tabouret, Sergueï contemple Hakeem avec attention. Ses yeux suivent les contours des lèvres pleines de l'homme avec un certain dégoût, puis il retrace les lignes de ses sourcils sombres et broussailleux en se demandant quand viendra le moment où il ouvrira les paupières. Cela fait plusieurs heures qu'il est inconscient, perdu dans un sommeil causé par une seringue plantée dans son cou. Malgré l'état d'ébriété de ce dernier, Sergueï a favorisé la sûreté, voulant s'assurer que son animal égaré n'émette aucune plainte susceptible d'alarmer qui que ce soit. C'est avec une facilité déconcertante qu'il avait trimbalé sa victime sur son épaule, se montrant affable face aux quelques personnes qu'il avait croisé, tout en prétextant que son ami, en pleine dépression depuis des semaines, avait abusé de la bouteille, pour passer entre les mailles du filet. La naïveté des gens l'avait fait ricaner derrière son masque alors qu'il jetait Hakeem sur la banquette arrière d'une vieille voiture à la carrosserie rayée.

L'impatience fait désormais trembler les membres de Sergueï. Les minutes défilent et les yeux d'Hakeem restent résolument clos. Le moment de passer à l'action approche grandement, fait saliver l'homme aux trois visages qui frotte son menton du revers de la main. Si Hakeem ne se réveille pas d'ici peu, il se verra dans l'obligation de le sortir du sommeil en lacérant sa peau. Comme souvent, il frémit d'envie de passer à l'acte, jonglant entre le visage de sa victime et sa montre qui lui indique les minutes restantes avant que ne vienne l'heure fatidique.


En un soupir, il se remémore ses précédentes tortures, trace ensuite le plan qu'il a méticuleusement monté pour soulager son besoin de cris de douleurs et de suppliques remplies d'effroi. Ses doigts caressent distraitement la tête de lit alors que le corps d'Hakeem se crispe brusquement. Le cœur de Sergueï s'enrage dans sa poitrine, l'excitation s'accroît, fait durcir son membre d'une atroce manière. D'un geste lent, il retrousse les manches de son hoodie, tout en admirant les cils papillonner de sa proie savamment attachée. Un sourire macabre ourle sa bouche esquintée alors qu'avec une poigne calculée, il laisse la lame du couteau glisser sur ses avant-bras aux veines gonflées. D'épaisses gouttes rougeâtres perlent de l'entaille alors que son corps se tend dans un râle de contentement. Le besoin de se faire du mal fait battre son cœur par saccades. S'il sait qu'il n'usera pas de son corps pour atteindre sa cible, il ressent tout de même l'urgence de se blesser pour se punir de ses envies prohibées et malsaines.


Hagard, Hakeem cligne plusieurs des paupières dans l'idée de quitter ses sombres songes, pourtant l'odeur qui lui pique les narines n'a pas l'air de vouloir le lâcher. Son corps se contracte douloureusement quand des grognements obscènes lui parviennent. Dans un mouvement de tête, il tente de reconnaître le lieu dans lequel il se trouve, désormais certain de ne pas être dans sa chambre aux murs jaunis par le temps, cherchant également d'où proviennent les vulgaires sons qu'il écoute avec frayeur et anticipation. Un cri de stupeur lui échappe, lui fait perdre le peu de fierté qu'il espérait posséder lorsque son regard se pose sur l'homme assis près de lui, les bras mutilés et étalant son propre sang sur son épiderme aux marques repoussantes. La terreur enserre la gorge d'Hakeem alors qu'il détaille avec crainte ce type à l'allure démentielle, jouer avec l'éther comme pourraient s'amuser des gosses avec l'eau d'une piscine.

Un visage divisé, barré en longueur par une large cicatrice, voilà ce qu'il guette avec horreur. Un profil recouvert de diverses marques disgracieuses, boursouflées et d'une couleur qui se dégrade d'un rouge vif à un rose étonnamment clair. Un regard aux iris diamétralement différents, un œil d'un bleu profond pour un second aussi sombre qu'une nuit sans astres. Puis, ce qui attire davantage son attention, c'est l'énorme cicatrice qui creuse la joue de Sergueï, à tel point que l'on aperçoit sans mal les gencives écarlates de l'homme au visage ravagé. Un haut-le-cœur secoue Hakeem, l'incitant à se redresser pour régurgiter l'alcool qu'il a ingéré. C'est à cet instant qu'il découvre, horrifié, qu'il est cloué au matelas, retenu à l'armature d'un lit qui grince atrocement à chacun de ses mouvements, pieds et mains liés. Les vomissures jaillissent d'entre ses lèvres, dégoulinent dans son cou et souillent ses vêtements qui empestent désormais d'une odeur nauséabonde.


Les paupières fermées au point que cela en devienne douloureux, le pauvre type à la peau basanée tente de se sortir du sommeil, persuadé d'être en plein cauchemar. C'est vrai, des rêves étranges, il en fait chaque fois qu'il s'endort, à tel point qu'il boude Morphée pour se détruire en traçant des lignes de cocaïne dès que l'occasion se présente. Pourtant, ce songe semble bien trop réel et le fait frissonner d'une terrible façon.

Sergueï, le visage badigeonné d'hémoglobine, quitte son siège pour lentement s'approcher de sa proie à l'apparence terrifiée. Avec lenteur, il s'incline vers le visage aux traits tirés de sa nouvelle distraction, expire doucement puis récupère une goutte de sang sur son poignet qu'il étale ensuite sur la joue d'Hakeem.


— Putain, ne me touche pas ! grince-t-il entre ses dents serrées.


Dans un geste désespéré, Hakeem tente une nouvelle fois de se relever, tire sur ses liens avec acharnement tout en criant de toutes ses forces. Les sons résonnent, se réverbèrent contre les murs en toles de l'usine désaffectée tandis que Sergueï éclate d'un rire rauque et empreint d'une folie furieuse.


— Mais où sont passées tes bonnes manières ? s'amuse le tortionnaire en jouant avec la pointe de son couteau contre le matelas aux ressorts visibles. Tu ne me laisses pas le temps de me présenter ?


Hakeem n'en croit pas ses yeux, les lèvres entrouvertes face à l'effroi, il guette chaque geste de l'homme aux trois visages. Alors qu'il s'apprête à rétorquer, l'envoyer promener d'une façon qui ne lui ressemble pas, il s'interrompt brusquement quand Sergueï délaisse son arme pour en récupérer une autre. C'est avec un tournevis qu'il s'approche lentement de sa victime, un sourire espiègle sur son visage déformé.


Le cœur battant sauvagement, Hakeem se tasse contre le matelas. Sa tête est lourde, ses idées sont embrumées et ses esprits en ébullition. Il ne comprend pas ce qu'il se joue face à lui, ne parvient pas à discerner s'il s'agit d'une terrible réalité ou d'une chimère vaporeuse que son cerveau fatigué fait apparaître sous son regard effrayé. Qu'importe que cela soit une obscure rêverie ou un présent horrifique, il sait qu'il ne sortira pas indemne de cette situation. Son courage, déjà peu existant, s'est fait la malle et son mental, trop faible, ne parviendra pas à emmagasiner de pareilles images sans y laisser un bout de son âme atrophiée.


— Mon nom est Sergueï, fanfaronne ce dernier en tendant une main.


Un rire sarcastique s'élève tandis que le regard d'Hakeem jongle entre les yeux hétérochromes et la paume levée de Sergueï. Celui-ci avance d'un pas de plus, se penche davantage vers sa proie qui commence à suer de terreur puis laisse retomber sa main à quelques centimètres du visage à la peau tannée. Un sursaut secoue la poitrine de la victime alors qu'un couinement de peur lui échappe.


— Tu n'as pas l'intention de me dévoiler ton identité ? s'enquiert l'homme à trois facettes.


En un grognement étouffé, Hakeem émet son refus, ce qui provoque en Sergueï une certaine exaspération. Dans un sourire se voulant charmant, il hausse les épaules, pointe le tournevis vers Hakeem qui écarquille les yeux.


— Ce n'est pas bien grave, je sais déjà qui tu es, Hakeem Lancaster.


Sans attendre une quelconque réaction de la part de sa délicieuse proie, Sergueï enfonce puissamment l'arme dans la cuisse d'Hakeem qui hurle de douleur. C'est avec un plaisir non feint qu'il joue du poignet afin d'élargir la blessure et provoquer davantage de souffrances. Enhardi par les gémissements qui baignent la pièce, l'homme aux trois visages retire le tournevis pour insérer son doigt dans la plaie béante.

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0