Chapitre 31 : Zones d'ombre (2)

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Le cœur tambourinant dans sa poitrine, il écouta le Capitaine féliciter la jeune fille.

— Tu t’es bien battue, petite guerrière. Tu devras encore faire mieux la prochaine fois, j’ai de grands projets pour toi.

Xenaya ne répondit pas. Le Capitaine s’éloigna, la laissant seule devant son adversaire gémissant. Elle demeura immobile, le regard rivé sur le corps de Zaïk. Des mèches de cheveux noirs s’échappèrent de sa queue-de-cheval lui masquant les yeux. Vyrian crut voir des larmes silencieuses s’écouler sur les joues de la jeune Régisseuse.

L’extrait s’arrêta et un autre lui succéda.

Xenaya et Zaïk avaient grandi. Les deux jeunes adolescents se tenaient dans une salle de musculation. Le Matéria prit la parole.

— A ton avis, pourquoi nous considère-t-il comme ses enfants ?

— Parce que nous lui sommes utiles. En obtenant notre garde, il est sûr de disposer de nous comme il le souhaite.

— Ça ne te fait pas peur ?

— Lui ou un autre, qu’importe.

Zaïk médita quelques instants ces propos, avant de poursuivre ses interrogations.

— Que penses-tu de la Résistance ? Joy les a récemment rejoints. Que ferons-nous si nous le croisons ? Te sens-tu capable de le tuer ?

— Nous sommes des soldats. Nous nous entraînons dans ce but.

— J’aimerais pas me retrouver à la place de Dinaïn. Trahis par son propre mentor.

— Ça tombe bien, tu n’y es pas !

La scène s’arrêta et un nouveau fichier s’ouvrit. Peu de temps semblait s’être écoulé depuis le précédent enregistrement. Bien que n’ayant pas obtenu les réponses à ses questions, Vyrian continuait son visionnage. Il connaissait peu de choses au sujet des Régisseurs et de la Résistance.

Xenaya se tenait dos contre le mur du couloir, un pied négligemment posé à sa surface. Vyrian reconnut Dinaïn plus jeune passer à proximité, elle le suivit. Le jeune soldat se laissa rattraper.

— Peur que je change de camp, princesse ?

— Simple précaution.

— J’en suis touché.

— Trêve de bavardages !

Vyrian sourit aux propos de Dinaïn. Même plus jeune, il possédait cette répartie teintée d’humour. Ce qui n’était pas le cas de l’adolescente, bien plus sanguine.

Xenaya lui empoigna le bras, l’attira à elle avant d’attraper son blaser et de pivoter les hanches. Elle fit basculer le corps de Dinaïn avec fluidité. Elle ne semblait pas avoir fourni d’effort pour projeter le soldat qui mesurait facilement une bonne dizaine de centimètres de plus qu’elle. Le jeune homme amorti sa chute d’une roulade et se releva souplement.

— Quelle agressivité ! On dirait que le Capitaine a finalement déteint sur toi. Mais je ne comprends pas, pourquoi m’attaquer ? Ma place n’est pas à envier, qu’y gagnes-tu ?

— Je ne me bats pas pour éliminer les concurrents !

— Vraiment ? Dans ce cas, pourquoi t’entraînes-tu sans relâche ? N’est-ce pas pour plaire au Capitaine ? Lui montrer que tu as assimilé ses méthodes : un mort, une place vacante. Que tu es la meilleure de ses enfants ?

— Je me fous de son avis !

— Bien. Dans ce cas, tu ne vois aucun problème à remettre en question sa stratégie. A ton avis, comment a-t-il atteint son poste ? Tu sais ce que l’on raconte ? Certains vieux soldats se souviennent de lui comme instructeur. Pourtant, il ne fait même pas trente ans. Le peuple s’interroge. Tu ne trouves pas étrange d’éloigner les anciens dans des vaisseaux périphériques ? N’est-ce pas une façon de les faire taire ? Qui sait ce qu’il se passe là-bas ?

— Ce ne sont que des bruits de couloir !

— Vraiment ! Pourtant, tu vis à ses côtés tous les jours. En seize ans, t-a-t-il eut l’air de prendre un coup de vieux, ne serait-ce qu’une ride ? Comment se fait-il que nous ne connaissions notre histoire que depuis son accession au pouvoir ? Qu’y avait-il avant ?

La scène s’arrêta. Il s’agissait du dernier fichier. Deux années s’étaient écoulées depuis. Xenaya avait rejoint la Résistance, Zaïk ne cessait d’être malmené et Dinaïn s’était fait incarcérer. Ils étaient à présent libres.

Vyrian pensa aux tournants qu’avaient pris leurs vies en peu de temps. Ils négociaient encore un nouveau virage. Xenaya de par son statut d’Exilée, Dinaïn d’alchimiste, Zaïk suite à son partenariat avec Kaeronn. Vyrian lui-même amorçait de nouveaux changements.

Avec les nouveaux éléments en sa possession, Vyrian tenta de reconstituer le parcours des trois jeunes Numériciens. Il commença par s'intéresser aux informations acquisent sur Xenaya. Dans les extraits, elle n'était pas tatouée. Y avait-il un rapport avec son adhésion à la résistance ? Etait-ce une forme de rébellion supplémentaire face au Capitaine ?

Ne trouvant pas de réponse à ses questions, le scientifique, changea d'angle d'attaque et s'intéressa au passé de Dinaïn. Son mentor étant membre de la résistance, il y avait de grande chance, qu'il ait suivi ses traces. En partant de ce principe, Vyrian bifuqua sur le passif de Xenaya. D'après la scène qu'il venait de voir, elle avait pu tenter de l'empêcher de se joindre à l'ennemi et s'était finalement raliée à leur cause. Quant à Zaïk, il avait pu se rendre compte de l'attitude de la jeune femme et avait tenté de la raisonner, ne parvenant pas à trouver un terrain d'entente, elle lui avait supprimé ses pouvoirs ?

Plus Vyrian y réfléchissait, plus ses déductions lui semblaient logiques. Lorsque le Matéria s’était jeté sur la jeune femme, Dinaïn n’avait pas hésité à se poster entre eux deux. Pourtant, au vu des scènes auxquelles il venait d’assister l’Exilée était loin d’être sans défense.

Le scientifique mit de côté ses interrogations et s’intéressa au Capitaine. Aucun des fichiers ne traitait réellement de son identité, il ’apparaissait toujours en second plan. Ce manque d’informations directes et sa longévité inquiétèrent Vyrian.

Mère lui avait avoué que l’état de Télépathie protégeait leur métabolisme du temps, mais le scientifique savait également qu’une civilisation ne se reconstruisait pas en un jour. Le dispositif avait été conçu pour rester dans leur organisme après leur réveil, afin de leur donner le temps de bâtir de nouvelles générations. Sa longévité n’était pas le seul détail qui orientait le biologiste vers cette hypothèse. Kearonn, l’ancien dirigeant des cinq clans, ne possédait pas d’information à son sujet. En tant qu’étranger, cela s’expliquait. Mais si le Capitaine venait de son monde, pourquoi ne s’en souvenait-il pas ? Pourquoi Mère ne disposait-elle d’aucune donnée à son sujet ? Les avait-il supprimées ?

Vyrian repensa à la rapidité avec laquelle Mère avait été piratée. Cette performance devenait moins impressionnante s’il considérait le fait que le Capitaine pouvait être son créateur.

En tant que concepteur, il pouvait sélectionner les données que Mère partageait. Il se pouvait que le Capitaine ait découvert les autres mondes bien avant que Mère ne révèle leur existence aux scientifiques.

Mais pourquoi les informer de la création de ces mondes dans ce cas ? Mère lui avait dit que c’était pour éviter que ces nouveaux peuples ne fassent les mêmes erreurs qu’eux. C’est ce qui s’était finalement produit. La magie du Monde Mythique était corrompue, le Monde Historique pollué et le Monde Numérique n’était que cendres. Mère aurait-elle rejeté son créateur lorsqu’il avait pris part à la guerre, infligeant des dégâts à la planète et ne respectant plus ses propres convictions ?

Quant à Xenaya, sa ressemblance avec le Capitaine était frappante. La jeune femme devait se douter de leurs liens de sang. Elle était plus qu’un enfant recueilli dans le but de tuer, elle était sa fille. Lui avait-il avoué ses origines ? Vyrian écarta cette possibilité, la jeune femme ne semblait pas avoir conscience des enjeux du projet trimondes, elle avait l’air sincèrement étonnée lorsqu’il leur avait présenté.

Vyrian ne doutait pas que ce soit le cas du Capitaine, il se rappelait les encouragements du Capitaine à l’égard de la jeune fille : « j’ai de grands projets pour toi ». Xenaya l’avait pourtant trahi, elle avait rejoint la Résistance et Joy. Etait-ce une stratégie de la part du Capitaine, ou une volonté de la part de la jeune femme de défier l’autorité de son père ?

Vyrian l’ignorait. Les données de Mère ne pouvaient l’aider à résoudre ce mystère.

Ce n’était pas la seule zone d’ombre. Comment l’avait-il équipée du tatouage, si Xenaya ne faisait pas partie des enfants sélectionnés pour le Projet Trimondes ? Comment s’était-il approprié cette technologie ?

L’image d’Yvias s’imposa à son esprit. Si l’on ne pouvait obtenir quelque chose, Yvias était la personne à contacter. Le scientifique renégat avait les connaissances et les moyens nécessaires pour reproduire le tatouage créé par ses anciens collègues.

Vyrian repensa à la boîte qu’il avait confiée à Nick, boîte à présent dans le territoire des Régisseurs. Et s’il s’agissait bien plus que d’une boîte de localisation ? Si le fait que les deux Historians se retrouvent séparer avait été prit en compte, si le but n'était pas de cartographier un endroit, mais d'apporter l'objet à un endroit indiquer dans la boîte ? Au fond Yvias, avait juste besoin de reconnaître un signal dans un autre monde pour reconnaître son existence, pas d'en connaître la géographie.

Vyrian se sentit suffoquer. Il était effrayé par l'enchaînement de suppositions qui découlaient de ses premières hypothèses. S'il voyait juste, pourquoi le Capitaine avait-il fait de sa fille l'une des Exilés ? Pour lui offrir un avenir meilleur, ou bien était-ce pour lui garantir une chance d'accéder à la vérité se cachant derrière la légende de Numyrhis.

Vyrian développa sa pensée. La légende reposait sur l'interaction entre les mondes. En partant de ce principe, il était possible d'espérer en obtenir le contrôle, voire même de créer un nouveau monde.

Si tout cela était prémédités, pour quelle raison le Capitaine les attaquait-il ? Pour récupérer les Exilés manquants ? Etait-ce pour cela qu'il s'en était pris aux Mysticiens passant la Cérémonie ?

Vyrian était fâtigué de toutes ces interrogations, chacune soulevait de nouvelles suppositions et il ne pouvait les vérifier. Mais, quoiqu'il en soit, le mystère autour du Capitaine restait entier. Alors que Vyrian sentait la fatigue l'envahir, il repensa aux dires de Kaeronn et à la substance inconnue qui avait été retrouvé dans son organisme. Le Capitaine en était-il responsable ? Avait-il tué son fils ? Etait-ce de cette manière qu'il était devenu le chef des Régisseurs ?

Alors que ses pensées s'embrumaient, de nouvelles questions surgirent de son esprit : "Si tout cela avait bien été prémédité, qu'elle en était la finalité ?"

Un brusque courant d'air pénétra dans la chambre, Vyrian s'en étonna. Il s’était habitué à la chaleur des cendres. Ce détail l’intrigua. Il voulut ouvrir les yeux, mais une main se plaqua sur son visage. Il tenta de lutter lorsqu’une aiguille pénétra sa peau, il entendit le cran d’arrêt se bloquer lors de l’injection.

Ce bruit déclencha une nouvelle série de visions.

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