1 - Extinction des feux

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 Je venais de recevoir la balle après m'être démarqué et m’élançais désormais en direction du cercle. J'étais pareil à un fauve à la poursuite de sa proie.

 Vif et sans pitié.

 D’une feinte, j’esquivais le premier défenseur. Puis le second. Le panier n'était plus qu'à quelques mètres de moi, planant au dessus de sol, et d'une impulsion je me propulsai dans les airs pour marquer un « lay-up ». Mais alors que le cercle s'ouvrait à moi, une poigne féroce me ramena brusquement au sol.

 Sur la touche, Damien Geraton recracha son sifflet comme s'il se servait d'une sarbacane et sermonna mon coéquipier avec de grands gestes qu’il était assez difficile d’interpréter. En deux secondes, notre coach était devenu rouge écarlate et d’énormes veines bleues serpentaient le long de ses tempes. Il nous ordonna ensuite de nous placer autour de la raquette puis se positionna sous le panier et me lança le ballon.

 L’entraînement n’était vraiment pas glorieux ce soir, ça me faisait mal de le dire mais même les gosses insupportables en minimes auraient fait mieux. Et je n'étais pas le seul, la frustration était générale, surtout avec le premier match qui approchait. Démarrer la saison par une défaite serait un vrai coup dur, en particulier pour Dam qui s’impliquait presque plus que nous lorsqu’il était sur le bord du terrain. Il était hors de question de le décevoir et surtout de lui donner une raison de nous sanctionner sur le prochain entraînement.

 Je m’apprêtais à shooter mon premier lancer quand soudain, nous fûmes plongés dans le noir le plus total. Seules les petites balises accrochées au-dessus des sorties de secours luisaient faiblement. Un grondement féroce retentit et fit trembler la salle toute entière qui ne parut pas si solide que cela sur le moment.

 La foudre avait dû tomber tout près.

  • OK, restez-là les gars je vais aller voir le disjoncteur ! nous indiqua Damien.
  • Tu veux que quelqu’un vienne avec toi ? demanda gentiment l’un de mes coéquipiers. Je ne pus cependant pas identifier qui précisément mais je me doutais que ce devait être Charles.

 Je connaissais Charles Persson depuis la maternelle – comme à peu près tous les membres de mon équipe – et en plus de quinze ans je ne l’avais jamais vu s’énerver ou se plaindre de quoi que ce soit. Pas une seule fois. C’était le mec que tout le monde appréciait pour sa simplicité et sa capacité presque inhumaine à positiver dans n’importe quelle situation, aussi désespérée soit-elle.

  • Non, ça va aller, lui répondit simplement notre coach. Je compte sur vous pour ne pas faire de conneries, je ne serai pas long.

 Á ces mots il sortit son téléphone et se dirigea vers le couloir où se trouvait la porte qui menait à la cave. La bulle de lumière autour de lui disparut peu à peu, entièrement engloutie par les ténèbres.

 Dehors, le vent s’était levé brusquement et soufflait maintenant avec force à en juger par les craquements sinistres qui retentissaient au-dessus de nos têtes. Tout le bâtiment semblait gémir de douleur sous le poids de l’âge, où chaque mouvement résonnait comme un râle depuis les profondeurs de sa vieille carcasse.

 Á chaque nouvel éclair, d’immenses silhouettes noires et lugubres apparaissaient sur les vitres du gymnase, se tortillant discrètement dans l'espoir d'arriver à s'insinuer à l’intérieur.

 Pendant plusieurs minutes, plus personne n’osa bouger ni parler, nous étions comme figés au milieu du terrain dans l’attente désespérée de voir les lampes se rallumer. Pour ma part, je n'étais pas rassuré, l'orage me rendais toujours un peu nerveux. Je reconnus finalement la voix de Marco, mon meilleur ami, que j’avais abandonné un peu plus loin.

  • Léo ! T’es où ? murmura-t-il comme s’il ne voulait pas être repéré.
  • Là, ici ! lui répondis-je en levant machinalement la main.

 Ce ne fut finalement pas très utile compte tenu de la situation.

 J’entendis ensuite deux de mes compagnons jurer sur ma gauche et je compris aussitôt pourquoi lorsqu’il écrasa mes orteils de tout son poids.

  • Oups, pardon ! Alors, besoin d'un petit câlin pour te rassurer ? me taquina-t-il d’un coup de coude.

 Il avait récemment appris, un soir où il dormait chez moi, que petit j'allais systématiquement me réfugier dans le lit de mes parents à chaque fois qu'il y avait de l'orage. Et même si aujourd'hui j'avais heureusement dépassé ce cap, ma mère avait eu le malheur de lui raconter que je gardais encore la porte ouverte pour me rassurer. Alors forcément, il ne pouvait pas s'empêcher de me le rappeler dès que l'occasion se présentait.

  • T’es vraiment…

 Il y eut un nouveau coup de tonnerre, probablement le plus fort jusqu’ici, à tel point qu’il nous fit tous sursauter de surprise. La situation n’avait pas l’air de s’arranger dehors et le gymnase qui d’ordinaire ne payait déjà pas de mine semblait maintenant sur le point de s’écrouler. J’espérais que l’électricité n’était pas aussi coupée à la maison car si je ne pouvais pas me laver au gymnase faute d’eau chaude, ce n’était sûrement pas pour terminer avec une douche froide chez moi. D’ailleurs, cela faisait maintenant dix bonnes minutes que nous étions plongés dans l’obscurité et le courant n’était toujours pas revenu, pas plus que Dam. Qu'est-ce qu'il pouvait bien fabriquer ? La cave n’était pourtant pas si grande !

 Nouvel éclair.

 Un bruit sourd retentit soudain à l’entrée du gymnase. Les portes n'avaient pas résisté à la puissance des violentes bourrasques et elles s’étaient ouvertes avec le même fracas que si quelqu'un les avaient enfoncé. Les dégâts allaient être considérables.

 Même si nous ne pouvions pas nous voir, chacun pouvait deviner aux respirations saccadées de son voisin le pic d’adrénaline généré par cette frayeur générale.

  • Quelqu’un va refermer la porte ? demanda soudain Benji, un peu hésitant.

 Evidemment, les volontaires ne se bousculaient pas au portillon.

  • Pourquoi tu n’y vas pas ? C’est toi le plus proche de l’entrée ! lui répondit Charles.

 C’était en réalité un ordre mais de sa bouche cela ressemblait plus à une invitation cordiale. Fidèle à lui-même ce Charles !

 Face à cet argument imparable, Benji n’eut d’autre choix que de s’exécuter, et je devinais à ses bougonnements que ce n'était pas sans une certaine réticence.

 Au même moment, je sentis les poils de mes bras et de mes jambes se dresser sans raison apparente. Je voulais bien admettre que je n'étais pas totalement serein mais je ne paniquais pas au point d'avoir la chaire de poule. Je n'avais pas spécialement froid non plus, c'était même plutôt l'inverse.

 En voulant les rabattre, je pris une décharge qui me fit grincer des dents et j’en repris une seconde lors de ma deuxième tentative. Même chose en passant ma main dans mes cheveux mi-longs trempés par la sueur.

 L’air était saturé en électricité statique. C'était la première fois que j'en percevait autant d'un coup.

 C'était au final assez ironique car d'une certaine manière elle n’était simplement pas au bon endroit, personnellement j’aurais préféré qu’elle alimente de nouveau le gymnase au lieu de jouer avec ma pilosité.

 Benjamin revint soudain vers nous d'un pas rapide. Je n'étais apparemment pas le seul à craindre l'orage. Comme la situation n'évoluait toujours pas, il fut décidé d’un commun accord de descendre filer un coup de main à Dam qui devait se sentir perdu au milieu de tous les câbles et branchements divers. Nous avions perdu suffisamment de temps et ce n’était pas en restant dans le noir que nous allions nous préparer pour le match de samedi. Puis cela nous occuperait.

 Rejoindre l’escalier fut cependant une toute autre histoire sans l’aide de nos téléphones, rangés bien au chaud dans nos sacs quelque part sur le côté du terrain. C’était impressionnant de voir à quel point nous étions perdus sans nos yeux pour nous repérer. C'était d'autant plus troublant de réaliser à quel point, en comparaison, nos autres sens étaient peu exploités au quotidien. Désormais, j'avais l'impression que tous les sons étaient amplifiés pour compenser ma cécité.

 Une fois devant la grande couche froide et métallique qui barrait le sous-sol – non sans quelques difficultés – un de mes amis partit en éclaireur. Après lui, nous descendîmes une à une les marches bétonnées et biscornues en tapotant le mur afin de ne pas tomber. Le passage était particulièrement étroit, ou peut-être était-ce l’absence de lumière qui donnait cette impression ? Toujours est-il qu’en arrivant en bas, notre coach fut accueilli par une horde d’ados qui déboulèrent avec fracas en l'appelant désespérement.

 Mais ce fut un grand silence qui nous répondit. Juste le silence froid, et impassible.

 Où était-il passé ?

 Un de mes amis tenta une nouvelle fois sa chance et fort heureusement, cette fois-ci il eut une réponse.

  • Je suis là ! Attendez juste une seconde… voilà ! cria-t-il enfin depuis le fond de la cave.

 Soudain, la lumière fut ! Mes yeux s’étaient tellement habitués à l’obscurité qu’il me fallut plusieurs secondes avant de pouvoir regarder l’ampoule en face qui se balançait de droite à gauche à la manière d’un pendule, suspendue au bout d’un câble rouge.

 Les choses sérieuses allaient enfin pouvoir reprendre.

***

 Á la fin de la séance, comme à chaque fois, toute l'équipe se plaça en rond autour de Damien pour écouter ses consignes concernant le match de samedi. Il n’y avait rien de bien nouveau par rapport à d’habitude, son discours tournait toujours autour de la motivation, de l’engagement et de l’esprit d’équipe. Comme il disait, l’objectif était de démarrer fort et de s’imposer dès le début. Surtout, ne pas baisser la garde pour ne pas se faire remonter à deux minutes de la fin comme cela nous était si souvent arrivé.

 Nous poussâmes ensuite notre cri de guerre qui, pour être honnête, n’avait rien de terrifiant, puis nous pûmes enfin aller nous doucher. Dans le vestiaire, je m’affalai sur le banc en posant ma tête contre le mur, épuisé malgré ma piètre performance de ce soir. Je n’avais qu’une hâte : sentir la chaleur de l’eau sur mon corps, détendre peu à peu mes muscles, et observer la crasse glisser le long de mes jambes puis disparaître dans le caniveau, aspirée comme un long spaghetti.

 Effectivement, je me sentis bien mieux après même si mes cuisses et mes triceps commençaient déjà à me lancer. En sortant du vestiaire, je saluai Marco ainsi que les autres et fit un « check » à Damien avant de quitter la salle. Il ne me restait plus qu’à rentrer pour me glisser sous ma couette, idée qui me réjouissait au plus haut point.

 Une fois dehors, je fis face à la fraicheur nocturne qui avait désormais remplacé le violent orage de tout à l’heure. Trois lampadaires luisaient non loin et donnaient au paysage d’automne un air de nature morte dont l’odeur de gazon humide était le coup de pinceau final.

 Mes yeux furent alors attirés par quelque chose d’assez étrange. Sur la parcelle de verdure qui bordait le gymnase trônait un petit îlot solitaire constitué de terre boueuse.

 En son centre, deux empreintes de pas me faisaient face. Je n'étais pas bien sûr mais compte tenu de leur taille, elles devaient appartenir à un homme. Elles semblaient partir en direction de la forêt.

 Mais en regardant derrière moi, la curiosité fit place à une légère inquiétude. Une inquiétude plus proche de la perplexité que de la peur cela dit.

 Les traces sortaient tout droit du hall du gymnase. Et j'en étais certain, elles n’y étaient pas à mon arrivée. Qui plus est, nous étions les seuls à venir au gymnase le jeudi soir.

 Quelqu’un était donc rentré pendant l'entraînement, puis était ressorti en direction du bois.

 Quelqu’un que nous n’avions pas vu.

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