2 - Une absente qui manque

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 Le bus se trouvait à quelques dizaines de mètres de moi et éclairait la pénombre faiblissante de son regard éblouissant. Lorsqu’il ouvrit ses portes, Jean Mouvier, le chauffeur, m’accueillit joyeusement comme il le faisait tous les matins depuis de nombreuses années. Á l’intérieur, les quelques ados présents étaient soit profondément endormis afin de rattraper les heures de sommeil qu’ils avaient perdues devant leur portable, soit plongés dans leurs pensées avec les écouteurs vissés aux oreilles. Je me dirigeai vers le fond du car où Marco m’attendait en compagnie de Julie. Mes deux amis regardaient une vidéo semble-t-il marrante puisqu’ils ne pouvaient s’empêcher de pouffer bêtement. Il fallut que je prenne place sur le siège juste derrière eux et que je les fasse sursauter avec un « bouh » pour qu’enfin ils remarquent ma présence.

  • Ça va pas bien de me faire une peur pareille de bon matin ! Tu veux que je fasse une attaque ! s’exclama Julie qui avait une main posée sur sa poitrine.
  • Je voulais être certain que tu ne dormais pas, lui répondis-je avec un clin d’œil. Vous étiez en train de regarder quoi ?
  • Oh c’est juste un best of des meilleures chûtes de l’année, la plupart sont hilarantes à voir mais certaines sont vraiment impressionnantes ! Sinon toi comment ça va bro, l’orage ne t’as pas empêché de dormir ?

 Je le remerciai d’un sourire forcé pour cette petite vanne matinale.

  • C’est aujourd’hui que le remplaçant de Sarbier arrive non ? J’espère qu’il est cool, j’aimerais pas louper mon bac de français à cause de lui ! dis-je pour changer de sujet.
  • Déjà il ne peut pas être pire que cette vieille greluche ! Quand je pense qu’elle m’a obligée à porter ce pantalon ignoble juste parce qu’elle trouvait ma tenue provocante ! J’étais PROVOCANTE selon vous ?

 Nous fîmes tous les deux un timide « non » de la tête car il était bien trop tôt pour se confronter à son courroux. Le fameux jour en question, elle était venue en cours avec un pantalon qui comptait plus de trous que de tissu et la prof n’avait pas dû supporter la vue de ses genoux. C’était son style à Julie, elle était un peu rock dans son genre et elle aimait les fringues qui attiraient l’œil même si cette fois-ci, elles l’attiraient un peu trop. Il fallait quand même reconnaître que son jean était border line mais on préférait garder cet avis pour nous, il valait mieux éviter de trop froisser mon amie, elle avait un côté légèrement susceptible.

 Vingt bonnes minutes plus tard, le bus s’arrêta sur le bord de la rue pour nous laisser descendre. Dehors, l’air était frais et encore humide de la veille. Une journée d’octobre classique avec son ciel gris et ses teintes tantôt marron tantôt orangées tapissant les rares arbres qui ponctuaient l’épaisse couche de goudron.

 Le lycée Antoine Lavoisier était à une centaine de mètres de nous, une imposante demeure, froide et recouverte de vieilles pierres moussues au regard terne. De longues lances noires aux pointes aiguisées parcouraient l’enceinte du bâtiment afin d’empêcher tout intrus de pénétrer dans la cour – mais surtout tout élève d’en sortir. L’endroit me faisait l’impression d’une prison où, le temps d’une journée, les pions devenaient nos gardiens et les salles de classe nos cellules.

 Á peine la grille franchie, la sonnerie retentit et les centaines de détenus que nous étions commencèrent à se mouvoir pour retourner s’isoler entre nos quatre murs devenus si familiers.

 Á 8h précises, Sylvie Vonge nous fit entrer dans le labo et s’assura que plus personne n’attendait à l’extérieur avant de refermer la porte. Âgée d’une trentaine d’années, ses longs cheveux flamboyants, son nez fin parsemé de tâches de rousseur et ses yeux bleu saphir ne laissaient aucun garçon indifférent, que ce soit parmi les élèves ou parmi les enseignants.

  • Bonjour tout le monde, j’espère que vous êtes en forme ! Allez, courage c’est le dernier jour de la semaine ! ajouta-t-elle en voyant nos mines dépitées. Avant qu’on reprenne le cours, je voudrais que quelqu’un m’explique ce qu’est un gène et de quoi il est constitué ?

 Dans ces moments-là, chacun utilisait la bonne vieille technique consistant à baisser la tête pour ne surtout pas croiser son regard. Le moindre contact visuel se révélerait fatal.

 Seulement, cette stratégie était loin d’être infaillible.

  • Léo, tu veux bien répondre ?

 Evidemment, il fallait que ça tombe sur moi. Il y avait vraiment des jours où les astres n’étaient pas de mon côté !

  • Oui, bien sûr… euh… un gène est une portion d’ADN qui code pour une protéine. Et il est constitué de… nucléotides ?

 Le dernier mot était sorti avec la même intonation qu’une question même si en réalité c’était plus une manière de me rassurer en me détachant de la réponse, donner la sensation qu’elle ne venait pas vraiment de moi, au cas où elle serait fausse. C’était un peu lâche, je voulais bien l’admettre. Mais qui ne l’avait jamais fait ?

  • Parfait ! Et puisque tu es sur ta lancée, tu te souviens de ce qu’on obtient après l’étape de transcription ?

 Là il fallait pas déconner ! J’avais beau avoir une bonne mémoire, il n’était pas marqué « Docteur » sur mon front !

  • Non, je ne me souviens pas… répondis-je simplement.

 Mieux valait ne pas répondre mot pour mot ce que je pensais, elle n’apprécierait probablement pas.

  • Ce n’est pas grave, Estelle tu as une idée ?

 Estelle Foisson avait la main levée depuis cinq minutes et montrait la même impatience pour répondre que moi pour aller aux toilettes après m’être retenu une heure entière. Elle trépignait sur sa chaise de peur que quelqu’un d’autre soit interrogé à sa place à tel point qu’elle était presque débout.

 Il y en avait vraiment qui vivaient sur une autre planète !

  • ON OBTIENT DE L’ARN ! cria-t-elle.

 J’espérais qu’elle se sentait mieux maintenant que c’était sorti parce que mes tympans, eux, ne pouvaient pas en dire autant.

  • Tout à fait ! Et nous allons donc voir aujourd’hui ce que devient cet ARN une fois synthétisé et à quoi il sert. Maintenant, sortez vos livres page 119 et je vous laisse lire les figures puis répondre aux trois premières questions.

 Au moment où je me penchai pour attraper mon livre, mes yeux s’attardèrent sur un bureau à quelques pas, sur ma gauche, dont la chaise était vide.

 J’ignorais pourquoi Manon Fauret était absente, ça ne lui arrivait pas souvent.

 Depuis le début de l’année qu’elle était à cette place, j’avais pris l’habitude de la contempler discrètement durant les cours, j’étais totalement hypnotisé. J’avais cependant acquis le réflexe de baisser les yeux dès qu’elle tournait la tête de peur qu’elle me trouve bizarre à la fixer avec autant d’insistance. Je me rendais compte que sa présence me manquait, j’aimais me noyer dans sa chevelure brune en imaginant ce que notre relation pourrait être, et mine de rien, cela faisait passer l’heure beaucoup plus vite.

 Á la pause j’irai me renseigner auprès d’Eva Chalamand, sa meilleure amie. Elle connaissait peut-être la raison de son absence même s'il y avait des chances que Manon soit simplement malade.

 Si seulement je pouvais passer chez elle après les cours pour lui donner mes notes. Elle aurait pu me proposer de rester un peu et nous nous serions allongés tous les deux sur son lit, elle aurait alors écouté les battements de mon cœur pendant que j’aurais pu m’enivrer de sa respiration fraîche et parfumée.

  • Léo tu es avec nous ? Tu peux répondre à la question deux s’il te plaît ? Qu’est-ce qui semble faire le lien entre l’ARN messager et la protéine dans le cytoplasme d’après le document trois ?

 Décidément elle n’allait pas me lâcher avec son ARN ! En plein milieu d’une pensée si agréable en plus !

  • Euh… non désolé je n’ai pas eu le temps de répondre.

 Du coin de l’œil, je vis Marco qui me regardait d’un air amusé tandis que Julie, profondément désespérée, levait la main pour voler à mon secours.

  • Ce sont les ribosomes qui permettent de lire la séquence de l’ARN pour ensuite former la protéine correspondante.
  • Oui très juste, c’est d’ailleurs ce qu’on appelle la traduction puisque l’on traduit la séquence d’ARN en une protéine. Très bien, on peut maintenant passer à la dernière question, il me faudrait un autre volontaire !

 Le cours se poursuivit ainsi jusqu’à 9h, alternant entre les périodes de prises de notes et les périodes de questions. Et alors que je n’y croyais plus, l’heure de la libération sonna enfin, juste avant que nous ne passions à une nouvelle série d’exercices interminables. Mais Madame Vonge n’en avait pas encore totalement finit avec nous.

  • Ah oui j’allais oublier… voici vos contrôles, nous indiqua-t-elle en posant un énorme tas sur son bureau. Vous pouvez venir les chercher avant de sortir. Comme à chaque fois, vous pouvez gagner un point si vous le corrigez, cela ne sera pas du luxe pour certains.

 Tout le monde s’était aussitôt jeté sur la pile de feuilles doubles à petits carreaux comme un animal se ruerait sur un quartier de viande. Á la fin, il ne restait plus que deux copies posées de travers, à savoir la mienne et celle de Marco. Á en juger par la quantité de rouge qu’il y avait sur la première page, la note ne devait pas être très élevée. En effet, nous avions tous les deux un magnifique neuf sur vingt encerclé dans le coin en haut à droite.

 Le fameux point à gagner allait effectivement se révéler très utile.

  • Vous pourrez venir à la maison demain si vous voulez, j’ai eu seize je pourrais vous aider, nous proposa gentiment Julie.
  • Avec plaisir ! lui répondis-je avec un soupir de déception. Cela dit, ça ne te dérange pas si on fait ça en début d’après-midi ? On doit être à 18h30 au gymnase.
  • Oui parfait, comme ça je vous accompagnerai juste après, j'irai vous supporter pour votre premier match !

 Elle nous fit un clin d’œil exagéré qui laissait surtout entendre qu’elle ne venait pas pour nous mais plutôt pour Charles bien qu’elle ait toujours nié ses sentiments pour lui.

 Alors qu’elle s’impatientait sur le seuil de la porte, Madame Vonge secoua subtilement ses clés pour nous intimer l'ordre de sortir, certainement pressée d’aller boire son café en salle des profs.

 Devant la salle, j’aperçus Eva qui était en train de discuter avec une autre fille et sans me poser de questions, je laissai mes amis pour me planter devant elle.

  • Salut Eva ! Dis-moi, tu sais pourquoi Manon n’est pas là aujourd’hui ?
  • En quoi ça te regarde ? me répondit-elle sèchement sans même daigner tourner les yeux.

 Elle ne m’avait jamais vraiment apprécié et avait, je pense, un certain mépris à mon égard. J’étais d’ailleurs certain que c’était à cause d’elle que Manon m’ignorait.

  • Je me posais simplement la question, juste par curiosité. Je me suis dis que tu devais sûrement savoir pourquoi.
  • Tu n’es pas son ami à ce que je sache donc si tu n’es pas au courant c’est que tu n’as aucune raison de l’être !

 Au moins ça avait le mérite d’être clair. Je devais bien avouer que Manon et moi n’étions pas particulièrement proches bien que l’on se connaisse depuis l’école maternelle mais ça ne m’empêchait pas de vouloir prendre de ses nouvelles.

  • Non sérieusement, elle est malade ? demandais-je avec insistance.
  • Fous moi la paix c’est pas tes oignons !

 Face à son aggressivité, je décidai de laisser tomber pour rejoindre les autres. Toutefois en arrivant, Julie me tendit son téléphone et m’incita à lire le message qui y était affiché. Il était de la part de Zoé, la fille avec qui Eva discutait justement.

 Après l’avoir lu, je relevai la tête, ne sachant trop quoi penser.

 Le frère de Manon avait disparu.

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