Le texte de Mika ici https://www.scribay.com/text/1935586657/themes-hasardeux/chapter/344837  

Thème principal : Vidéo.

Thème secondaire : Ukulélé.

Mot récurrent pour le(s) personnage(s) : Travers de porc.

*

La remise sentait un mélange de travers de porc et de caoutchouc brûlé. La première odeur venait d’Hugo, les doigts graisseux et dégoulinant de sauce, qui grignotait la viande avec appétit sans prendre la peine d’y mettre les formes.

Aucun des cinq enfants secrètement rassemblés autour d’un gros carton posé à même le sol n’aurait su identifier la seconde fragrance, beaucoup moins agréable. Sans doute était-ce là l’œuvre du père d’Élodie, qui pratiquait le bricolage à ses heures perdues. Julien haussa les épaules en se faisant cette réflexion. Peu importe !

D’un air conspirateur, il fit signe à ses copains de se rapprocher. Élodie vérifia que la porte de la remise était bien fermée avant de rejoindre le petit groupe. Bras dessus bras dessous avec Maya et Hugo, qui, eux-mêmes, entouraient les épaules de Julien et de Mathieu, ils se penchèrent d’un même mouvement par-dessus le gros carton.

— Bon, souffla Julien d’un air sérieux. Faut faire vite avant que les parents d’Elo nous cherchent ! Mathieu, t’avais une idée.

Le petit rouquin acquiesça alors que tous les regards se tournaient vers lui.

— J’ai piqué Cacahuète à mon frère.

Des exclamations choquées s’élevèrent de la petite assemblée. Hugo en fit tomber le morceau de travers de porc qu’il mâchonnait encore.

— Il va te casser la figure ! chuchota Maya, les yeux écarquillés, ses sourcils haussés tellement haut qu’ils avaient disparu sous son épaisse frange blonde.

Une vague de panique traversa les enfants, manquant de rompre le cercle secret.

— Il saura pas, déclara Mathieu, confiant. Faut pas qu’on traîne, j’ai dit à ma mère que je serai rentré à la maison après le goûter, mon frère sera encore au skatepark !

— T’es sûr de ton coup, Mathieu ? s’enquit Julien, qui prenait toujours son rôle de leader très à cœur.

— Arrête de stresser, Juju, s’énerva Élodie. On avait pas d’autres idées de toute façon !

— Moi j’en avais une ! rétorqua Hugo.

Ses amis soupirèrent avec humeur.

— T’as mangé toute ton idée, j’te signale ! répondit Maya. Et de toute façon qu’est-ce que tu veux qu’on fasse avec des travers de porc ?

— Bah j’sais pas moi, on aurait pu faire un concours de dégustation en sketch !

— Ça va intéresser personne, lâcha Julien. Cacahuète est notre seule option. Elo, tu sais comment ça marche ?

En disant cela, il désigna le carton d’un hochement de tête. Ses lunettes rondes glissèrent dangereusement sur son nez sans qu’il n’y prête attention, mais fronçant tout de même ce dernier comme pour les retenir avant la chute.

— Ouais, j’ai vu mon père l’utiliser.

— Ok, alors on le fait maintenant ! Mathieu, amène Cacahuète, et Elo, prépare le reste.

— Et moi ?

— Toi Hugo, tu touches à rien, tu vas laisser tes empreintes pleines de sauce partout et les parents vont direct savoir que c’est nous qui avons utilisé le caméscope du père d’Elo !

Le garçon gourmand marmonna son mécontentement tandis que les cinq amis se séparaient.

Avec autant de délicatesse possible, Maya et Élodie ouvrirent le gros carton pour en récupérer le précieux appareil. Julien se rapprocha, fasciné. C’était le premier caméscope qu’il voyait en vrai, et il avait hâte de pouvoir l’utiliser. D’une main fébrile, il fouilla dans son cartable qu’il avait gardé sur le dos depuis son arrivée chez Élodie, et se saisit d'une cassette vierge que le copain du copain de Kevin de la deuxième classe de CM1 lui avait filée en douce.

Les apprentis cinéastes s’installèrent en toute discrétion. Mathieu, qui était parti récupérer Cacahuète, planqué dans les fourrées à côté du jardin de chez Élodie le matin même, revint dans la remise en brandissant son bien avec une fierté non dissimulée.

Il se plaça devant la caméra tenue par sa camarade de classe, s’entourant de la sangle du Ukulélé de son grand-frère.

— Tu sais jouer quoi ? s’enquit Julien, posté aux côtés d’Élodie.

— On se croirait sur un plateau de tournage, s’amusa Maya en sautillant d’excitation.

— Euh… j’sais pas, répondit Mathieu. J’ai qu’à faire semblant et on enregistrera de la musique par-dessus comme si c’était moi qui jouais ! Et après c’est chacun son tour comme si on faisait un casting !

Ses amis exprimèrent leur enthousiasme par de joyeux éclats de voix. Mathieu joua les rockeurs en grattant sur les cordes de Cacahuète, sous les rires des quatre autres. Lorsqu’Élodie cria « Coupez ! » sans pour autant éteindre le caméscope, les enfants proposèrent diverses idées de mise en scène, portés par l’attrait amusant de cette caméra enregistrant leurs pitreries.

— A mon tour, maintenant ! s’exclama Hugo en s’élançant vers Mathieu, mains graisseuses tendues vers le ukulélé.

Tout se passa alors très vite. Ce fut Maya qui sentit la première la catastrophe arriver. Élodie, qui filmait toujours, capta à travers l’objectif les câbles serpentant sur le sol de la remise, ainsi que les baskets d’Hugo s’y emmêlant presque avec grâce.

Julien n’eut pas le temps de prévenir Mathieu. Ce dernier se tourna, un sourire radieux sur le visage, au moment où Hugo tombait de tout son poids sur lui – sur eux. Cacahuète, pris en sandwich entre les deux garçons, se brisa dans un sinistre craquement tandis qu’ils s’affalaient lourdement sur le sol frais et poussiéreux de la remise.

Les cinq enfants retinrent leur respiration durant de longues secondes. Dans les mains d’Élodie, la caméra filmait toujours le désastre et la promesse de longues semaines de punition.

— Les gars… On est morts, couina Maya.

— J’vous avais dit qu’on aurait dû faire un sketch sur les travers de porc, pleurnicha Hugo, toujours étalé sur Cacahuète et Mathieu.

Cet incident marqua la fin de l’embryon de carrière des jeunes prodiges du cinéma.