L'arbre planté

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J’avais fini par demander comment fonctionnait le taille-bordure. J’étais décidée à remettre en valeur ces petites perles de lumière, de leur ciseler un bel écrin pour essayer de rallumer ses yeux. Un peu. C’était une activité solitaire et de patience. Comme de faire un puzzle. Ça m’allait tout à fait, j’allais à mon rythme. Le ronronnement du petit moteur m’enveloppait et m’isolait, permettant à mes pensées de vagabonder librement. De temps en temps, une poule ou un chat ébouriffé venait jeter un œil curieux, avant de repartir en se dandinant ou de se couler souplement vers d’autres spectacles tout aussi intéressants et inhabituels dans leur jungle familière.

Un peu plus tard, j’avais contourné l’édifice étrange en pierres de taille noircies par le temps, planté dans un coin du terrain, envahi par les ronces et les plantes grimpantes. Un mini temple inca, une fontaine miraculeuse, un mausolée pour les fées échappées de Brocéliande, un reste de tour de guet ? Pour guetter quoi, quel danger venu du fond du Moyen-Âge ou d’une légende celtique ? Il voulait en faire sa cave à vin, je m’en souviens. En attendant, le lieu était encore imprégné des chuchotements de tous les enfants venus s’y cacher, s’inventant des rôles de chevaliers ou de sorciers. Derrière, s’étendait un pré que les hommes avaient entrepris de défricher. Des branchages s’amoncelaient au bout du terrain qui ressemblait à présent à une taupinière, un drôle de village minuscule de huttes de terre triangulaires dressées à la mode indienne. Non les taupes n’y étaient pour rien. Mais ces petits tipis terreux m’avaient fait penser à ce qu’on disait de ses peintures. Il aimait les formes simples, le carré représentant l’humain, le rond la vie et le triangle, la tente du nomade libre qui voyage avec sa famille-tribu sous le bras, suivant le vent.

Les hommes avaient en effet creusé, bêché, pelleté, afin de planter les arbres fruitiers qui formeraient un verger de vie. Les jeunes plants étaient là, déchargés de la remorque, sagement alignés près des trous avec leur étiquette portant leur nom. Pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers. Si petits, si frêles. Nous avions formé un cercle pour planter le premier, qui symboliserait la renaissance ou la continuité. Un arbre de vie pour celui qui les aimait tant, véhicule sacré entre la lumière du ciel et les ténèbres du sol. Un dernier salut à celui qui était parti trop tôt, dont le voyage s’était arrêté là et qui était le lien unissant cette assemblée disparate.

Le moment était un peu solennel, lourd d’émotion, chacun se recueillant à sa façon, entré en lui-même, silencieux. Soudain le chaton hirsute avait joyeusement déboulé, poursuivant le chat roux furieux, suivi de la foulée plus lente et maladroite du vieux chien dont la queue fouettait nos jambes. Les poules sont arrivées à leur tour, nonchalantes, suivies du pigeon qui les avait adoptées. Que se passe-t-il ici ? On peut participer ? C’est alors que le bébé, à présent bien au chaud sur le ventre maternel, enfoui dans un châle frangé, s’était réveillé. Sur son petit visage lisse et rond comme une pomme, sa bouche cerise s’était mise à roucouler des petits a-a-a-a, tandis que son regard myope cherchait à accrocher celui de sa mère. Cet enchaînement inattendu de manifestation de vie puissante, jaillissante, avait agi sur nous comme un signe et un signal. Nous nous sommes alors tous mis à rire et à danser autour du rameau si prometteur. Je me souviendrai longtemps de ce moment de grâce incroyable. C’était il y a trois ans.

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