Mais tout était déjà trop tard

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La fenêtre était toujours fermée, les volets baissés, mais la chaleur restait étouffante. Elena l’ouvrit avec précaution. La journée s’étiolait petit à petit et une légère sensation de fraicheur commençait à se faire sentir. Des klaxons retentirent jusque dans la chambre. Elle haussa les épaules, résignée, et ouvrit largement les fenêtres.

Derrière elle, dans la pièce qui servait de chambre, salle à manger et bureau, des papiers avaient pris possession de tous les recoins, alors que les autres occupants de cette pièce, habits divers, chaussures, assiettes et tasses sales, oreillers et draps, n’avaient pas encore été rangés.

Elena retourna sur le canapé convertible qui lui servait de lit. Devant elle, étalées sur le drap blanc, plusieurs photos d’une scène de crime et pages d’un dossier de police. Elle enquêtait toujours sur la disparition du professeur Laval, pire encore, cette disparition l’intriguait au point d’y avoir passé toute la journée. Car des éléments nouveaux venaient à s’ajouter à ceux déjà en place.

A commencer par les photos d’un crime vieux de onze ans, déniché par Clémence dans les archives, un cambriolage qui avait mal tourné, et dont la victime, poignardée à plusieurs reprises et laissée se vider de son sang, était Marcel Fournier, le mari de Géraldine Fournier. Les cambrioleurs, trois jeunes à peine majeurs et un quatrième plus âgé, multirécidivistes dans des affaires de vols dans les beaux quartiers, avaient nié en bloc le meurtre tout en avouant le cambriolage. Pire, ils soutenaient tous que l’appartement était vide.

Mais il y avait quelque chose dans les photos de la scène de crime qui avait tout de suite troublé Elena : l’appartement était saccagé méthodiquement. Chaises renversées, bibelots jetés et cassés au milieu du salon avec quelques livres, un vase en verre bleu jeté près de la porte, les couverts renversés sur le sol de la cuisine, à la recherche, sans doute, du couteau de viande qui avait servi au meurtre, hélas, laissé sans empreintes, les papiers administratifs du couple éparpillés partout sur le sol de la chambre à la recherche des titres que Marcel Fournier détenait de longue date chez Renault, les vêtements sortis de l’armoire et des chemises militaires jetées en boule sous le lit…

Les ressemblances avec le saccage de l’appartement du professeur Laval étaient évidentes. Mais si dans l’appartement de Laval il n’y avait aucune logique dans la destruction, même pas celle de la mise en scène d’un enlèvement, dans le cas de Marcel Fournier, tout avait un sens : la victime qui se débat, les cachettes des objets de valeurs, l’arme du crime…

Et un autre détail encore : Géraldine Fournier, qui n’était pas en ville lors du cambriolage, venait de s’enfuir du domicile conjugal avec le visage tuméfié, plusieurs bleus sur les bras, et deux côtes cassées. D’après le témoignage des voisins, ce n’était pas la première fois qu’une dispute éclatait dans l’appartement des époux Fournier. Et Marcel Fournier, ancien officier de l’armée de terre, avait eu des difficultés à retrouver et maintenir un emploi dans la vie civile.

Tout cela pourrait expliquer la frustration de la vieille dame par rapport aux différentes institutions. Mais pourquoi essayer de refaire la scène du meurtre de son époux violent onze ans après, dans l’appartement du professeur Laval ? Alors qu’aucun signe de lutte ou aucune trace de sang ne portait cette similitude jusqu’au bout ? Est-ce que le professeur a été agressé ? Pire peut-être ? Ou est-ce qu’il a été complice à cette mise en scène ? Avec quel but ?

Camille leurs avait envoyé un long message pour le profil de Géraldine, Elena relit les dernières phrases :

« N’oublions pas que Géraldine Fournier n’a pas eu d’enfants, et qu’elle a exercé seulement quelques petits boulots de temps en temps. Elle a gâché sa vie dans l'ombre d'un homme qui l'a maltraitée. En même temps, Marcel Fournier est mort en étant convaincu que l'état n’a pas apprécié à sa vraie valeur son sacrifice lors des années de service - et elle a hérité de cette haine.

Le professeur Laval est une cause pour elle, il est persécuté, rabaissé par le système malveillant, tout comme Marcel Fournier a été délaissé par l’état.

Soit elle vit l’enquête sur le professeur Laval et le fait qu’il doit s’enfuir comme un deuxième meurtre et le saccage de l’appartement est une façon de revivre les événements d’il y a onze ans, sans préméditation… mais la mise en scène chez Laval est tout sauf spontanée… soit vous devez vous demander qui a tué Marcel Fournier et qu’est-ce que s’est réellement passé il y a onze ans. »

Au lieu d’éclaircir des faits plus qu’opaques, les explications du psy semaient encore plus le doute. Elena avait tourné autour de ces derniers points toute la journée sans trouver une explication satisfaisante.

Les fadettes correspondant au numéro du professeur avaient permis de confirmer juste que son cercle de correspondants n’était pas si étoffé. Celles de Géraldine, en enlevant le démarchage téléphonique, contenaient quelques appels à peine. L’entretien avec la secrétaire médicale de Laval, d’après le rapport de Karim, n’avait pas fourni non plus des pistes sérieuses.

Et les courriers, possible des fans parmi ceux que la police a interrogé, et qui connaissaient donc les noms des policiers sur l’enquête. Elena ne pensait pas que les courriers pourraient les amener quelque part, mais Jérôme s’était emparé du sujet.

Il restait ces étranges dons faits vers une association d’anciens combattants, Les frères verts, alors que Hugo Laval n’avait pas fait de service militaire… comme si le professeur avait eu un étrange intérêt pour Marcel Fournier, mais était-ce possible ?

Clémence avait trouvé que Marcel Fournier avait eu une cabane dans la forêt, pas loin de la ville. Ça aurait pu relancer l’enquête. Mais tout était déjà trop tard, le commandant Meyer leurs avait demandé de boucler les conclusions pour la presse lundi et d’arrêter les recherches actives sur ce cas.

Il était temps de passer à autre chose… pourtant elle ne se sentait pas encore prête à abandonner.

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