C’est vous l’insulte pour la science

6 minutes de lecture

Ils étaient tous dans la salle de debrief, Elena assistée par Karim devant le tableau en refaisant le schéma de leurs découvertes, Jérôme un pas en arrière pour compléter ou plutôt corriger, Clémence à peine arrivée, assise devant une pile de documents saisis dans l’appartement du professeur. Jusqu’à maintenant ils n’avaient reconstitué que quelques heures de la journée du 8 juin, journée de la disparition présumée du professeur Laval, et aucune trace du moment de la disparition.

- Si on reprend, dit Elena devant le tableau finalisé : Hugo Laval vit seul dans un appartement centre-ville où il a emménagé il y a douze ans, n’a plus de famille en vie, enfant unique, jamais marié, pas d’enfants, une ancienne petite amie qui n’avait plus de ses nouvelles depuis quelques années… Il est professeur d’épidémiologie à l’université, une belle carrière, reconnu à l’étranger, mais des écarts avec ses assistantes, plusieurs soupçons d’harcèlement, les victimes ne déposent pas de plaintes ou les retirent. Il se retrouve enquêté pour l’utilisation des fonds de recherche à la suite d’une étude ratée et il disparait. C’est sa voisine, Géraldine Fournier, qui appelle la police deux jours après sa disparition présumée.

- C’est plus que présumé, intervint Jérôme, aucune trace de lui après ce jour, impossible de le joindre, téléphone éteint, dernier bornage à l’université en fin de matinée, pas d’utilisation de ses comptes, pas de contact avec son doyen...

- C’est donc un mardi, reprit Elena, le professeur part vers l’université entre 7h- 7h30, il parle avec le concierge à la sortie du bâtiment et il est vu par le joggeur juste après, au coin du parc. Il prend le métro.

- Nous l’avons sur les caméras du métro à 7h15, donc le joggeur l’avait vu un peu avant, en marchant normalement ça prend 5 minutes du coin du parc jusqu’au métro, compléta Karim. D’habitude il venait en voiture, or sa voiture est toujours dans le garage souterrain de sa résidence.

- On n’a pas son retour, par contre.

- On n’a aucune preuve qu’il soit revenu à son appart, rajouta Jérôme.

- Et une réponse sur pourquoi il n’avait pas pris sa voiture ? Une panne ?

- Non, ou non signalée en tout cas, son garagiste habituel était très étonné, il avait vérifié la voiture vendredi dernier. Le professeur lui avait demandé de vérifier en particulier les suspensions.

- Ok, continuons les suppositions. Il arrive à l’université très tôt et ouvre le laboratoire. D’ailleurs la secrétaire, qui arrive à 7h45 le trouve déjà là, mais c’était à son habitude.

- Les assistants arrivent vers 8h, continua Karim, Moïse Kâ en premier, les autres à une-deux minutes d’intervalle. Le professeur est déjà de mauvaise humeur. Arnault Marchant lui tend une enveloppe à son nom qui venait d’arriver.

- C’est le courrier de l’AFA, enchaina Jérôme.

- Le professeur pète un plomb, il leur crie dessus, il jette la faute de l’article foireux sur eux et il les vire. A 9h il a un cours dans l’amphithéâtre Pasteur, de l’autre côté du bâtiment, il y est à l’heure et il est tout aussi brillant que d’habitude.

- Et pendant son absence les assistants se disputent.

Les enquêteurs se tournent étonnés vers Clémence, qui était restée silencieuse jusque-là.

- Ça a du sens, mais comment tu le sais ?

- Ils ont publié des messages incendiaires sur les médias sociaux. D’abord Arnault Marchant, avec un tweet où il parle de l’incompétence des gens qui rentrent sur les quotas, puis Moïse Kâ qui lui répond et publie sur Instagram une étude sur le taux de réussite des étudiants racisés versus blancs (en faveur des premiers), et Viviane Lopez avec un commentaire acide sur Facebook sur le compte d’Arnault et un sur l’article de Moïse, et ça continue depuis, avec les partisans de chacun dans la dispute. Pas évident qui a foiré, ils s’accusent réciproquement.

- Il y a quelque chose de pas net avec cette étude, reprit Elena. Mais continuons avec la journée. A midi, le professeur Boyer croise le professeur Laval dans les couloirs de l’université et lui demande comment avance l’investigation. Le professeur Laval le corrige en disant la recherche, l’autre réenchérit en précisant l’investigation de l’AFA qui met l’université et tout le département de microbiologie dans l’embarras, la discussion dégénère et c’est le professeur Anselme, le doyen, qui y met un terme.

- L’information a fuité très vite. Comment le professeur Boyer a su qu’il y a une enquête ?

- AFA l’avait interrogé lui aussi.

- La dispute a été filmée et postée sur les médias sociaux par un étudiant, rajouta Clémence, en tournant son téléphone vers eux.

Ils s’agglutinèrent devant l’écran minuscule. On y voyait et entendait le professeur Laval, décoiffé, le visage rouge d’indignation, criant à pleins poumons : « C’est vous l’insulte pour la science, Boyer, vous êtes un parasite ! Vous n’avez découvert rien, personne ne vous connait en dehors de votre petit nombril minable, vos cours mêmes sont à la solde des compagnies pharmaceutiques !!! » et devant les réponses de l’autre, inaudibles, il revenait « La honte c’est vous ! Vous êtes nul, en plus un vendu, vous avez saboté mes recherches ! Parce que ça ne va pas comme vos maîtres le veulent, ça ne va pas leur apporter du fric, hein ? Collabo ! ». Sur ce dernier cri on voyait le professeur Anselme passer devant le caméra et l’enregistrement s’arrêtait net. Sous la vidéo, plusieurs milliers de réactions et commentaires.

- Qu’est-ce qu’ils disent ? demanda Elena.

- Il y a les deux camps, et chacun très ferme sur ses positions. Mais les propos les plus violents et le fan le plus vocal du professeur Laval est un certain Alexander, ancien étudiant en pharmacie et actuellement vendeur dans une boîte d’assurance.

- Alexander Ian ? fit Elena. Il ne se lasse pas.

- Il adore le professeur, jusqu’à publier des photos privées de lui, ou à menacer une ancienne doctorante qui l’avait accusé d’harcèlement.

- Larana Thiaw ?

- Non, une autre, Myriam Laurent, un scandale d’il y a deux mois. Ça n’est pas sorti des médias sociaux, mais elle s’est pris des menaces de mort. Elle a fermé son compte depuis.

- Il faudrait la retrouver et lui parler. Poursuivons, le professeur Laval se retrouve dans le bureau du doyen et là, ce n’est pas évident ce qui s’est passé, le doyen ne veut pas nuire à la réputation de Laval…

- Ça pourrait être entrave à la justice.

- Uniquement si on peut prouver que son témoignage est essentiel à l’enquête, répondit Elena. L’avocat du professeur Anselme m’a appelé ce matin. Il affirme néanmoins que le professeur Laval est parti vers 13h avec un congé pour le reste de la semaine. D’ailleurs son cours de 14h, même jour, a été annulé.

- On ne sait pas où il a déjeuné. La secrétaire l’a vu partir à 13h30, il sortait de son laboratoire. Quand Viviane est montée à 13h45 pour vérifier s’ils sont toujours virés et s’ils peuvent quand même assister au cours, le laboratoire était ouvert et fouillé.

- Ils n’ont pas appelé la police ?! demanda Jérôme, plus comme une exclamation irritée.

- Non, juste le gardien de l’université. Mais comme il n’y avait pas de substance dangereuse, et qu’il ne manquait rien, il n’y a pas eu de plainte.

- Sur les caméras du carrefour devant le centre culturel on voit le professeur traverser à pied vers le parc derrière le centre à 13h38. Et de là… ses traces se perdent.

Ils regardèrent un moment le schéma de la journée sur le tableau. Plusieurs points d’interrogation restaient, mais celui qui aurait pu donner la réponse à plein de choses semblait en même temps le plus inaccessible : qu’est-ce qu’il y avait dans le laboratoire et à la maison pour que le professeur ou quelqu’un d’autre très proche le cherche désespérément avant de disparaître ?

- Il y a un autre nom qui revient dans les derniers commentaires, fit Clémence après un moment de silence, un certain Romain Bonneteau, inconnu des médias sociaux il y a quelques mois.

- Et ?

- Il a un podcast sur les vagues de transmission du virus de la grippe, très apprécié par les étudiants il semblerait, en plus de messages dans lesquels il dénonce l’Epidemiology review… le magazine qui a publié la recherche du professeur Laval.

- Et encore ?

- Le logiciel de profilage l’a identifié comme un avatar possible du professeur Laval.

- Etrange… il publie des commentaires après le 8 juin ?

- Il vient juste de poster un.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire bluesoll ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0