Vous vous acharnez contre lui

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La porte de la salle d’interrogatoire s’ouvrit et Karim entra à moitié en lui faisant un signe de tête vers le couloir.

- Elle est là ? demanda Elena.

- Oui.

- Très bien, faites-la patienter, je finis ici et j’arrive.

Devant elle, un couple, Aniel et Erika Gaudin, les voisins habitant l’appartement en dessous du professeur Laval. Lui, grand, mince, presque chauve, rasé de près, grands yeux noisette qui regardaient Karim incrédule. Elle, pâle avec des cheveux longs fragiles et des yeux bleus délavés sur un visage fermé.

- Vous dites qu’il y avait souvent des bruits suspects dans l’appartement du professeur ? reprit Elena lorsque Karim ferma la porte.

- Monsieur Laval n’est pas quelqu’un de très discret, répondit Erika irritée.

- Vous voulez dire des bruits d’ébats sexuels ? demanda Jérôme pour finalement avancer.

Faire cet interrogatoire avec Elena ne le réjouissait guère, surtout qu’elle l’avait désigné à l’improviste sans lui laisser le temps de se préparer.

- Exact, répondit Erika avec le même ton, c’est très pénible.

- Vous avez une idée qui était sa… ou ses partenaires ? continua Jérôme.

- Vous savez qu’il consultait dans son appartement, fit Aniel avec un geste impatient. Et qu’il y a eu des plaintes contre lui ? Mais c’est comme ça chez nous, plus t’es connu, moins la justice t’inquiète !

Si son épouse parlait avec une voix à peine audible derrière son irritation, lui il criait ses réponses haut et fort en regardant Jérôme dans les yeux.

- Et le 8 juin ? demanda Elena plus par conscience professionnelle, ce couple ne parait pas d’un grand aide à l’enquête.

Mais Aniel semblait avoir attendu cette question depuis le début de l’entretien. Il répondit vivement en regardant toujours Jérôme.

- Le matin je l’ai croisé en bas de l’immeuble, il y avait le concierge, Franck Ricci ou je ne sais plus comment il s’appelle…

- Frédéric ? fit Jérôme.

- …qui avait trouvé un oiseau mort à l’entrée. Il a commencé à lui reprocher qu’il laisse son chat partout.

- Et le professeur ?

- Personne n’a le droit de le critiquer, ce cher monsieur ! répondit Aniel énervé. Mais je lui ai dit moi ce que je pense, ce que je pense sur son cabinet médical déjà dans l’appartement. Je ne crois même pas que c’est légal ça !

- Il a berné tout le monde avec ses grands airs de je-sais-mieux-que-vous, rajouta Erika, mais qui dit qu’il n’a pas agressé ces pauvres filles dans son appartement ?

- Qu’est-ce que c’est passé ce 8 juin ?

La question était posée avec une pointe de pédagogie, Elena avait gardé le calme jusque-là, mais décidément ils commençaient à l’irriter.

- Rien, il m’a dit que je suis personne et il est parti, ça ne m’étonne pas qu’il soit de mèche avec des gens pas très nets.

- Pourquoi vous dites cela ? vous avez vu des personnes suspectes entrer dans son appartement ?

- Il y av… commença Erika.

- Avec tous les gens qu’il consultait ? répondit Aniel en claquant la main sur la table, excusez-moi, se ressaisit-il.

- ..avait eu ce jeune qui rôdait avec un caméra, continua son épouse imperturbable.

- Quel jeune ?

- Tu te rappelles, le petit blond qui voulait louer notre appart ? dit Erika en se tournant vers son mari.

- Alexander ?

- Voilà. Il est venu plusieurs fois après, chaque fois il se cachait quand on passait. Je pense que c’est lui qui volait dans les boîtes aux lettres !

- Ils étaient de mèche ceux deux-là, Aniel répondit avec dégoût, je les ai vu discuter devant l’ascenseur pas plus loin que lundi, tiens, le 7 juin !

Il avait arrêté de transpirer sur le front et tempes, mais la chemise montrait des taches d’humidité qui commençaient à sentir.

- Alexander comment ?

- Tu te rappelles comment il s’appelait ? Erika se tourna de nouveau vers son mari.

- Alexander Ian ! J’ai dû lui demander son nom deux fois, il ne voulait pas me le dire en plus !

- Comment il a eu votre adresse ? tenta Elena.

- L’appart n’est pas à louer ! coupa court Aniel. Il rôdait dans l’immeuble, je vous le dis.

- Vous avez entendu de quoi ils discutaient ? demanda Jérôme, l’interrogatoire prenait finalement une tournure intéressante.

- Ce n’était pas mon problème ! répondu Aniel irrité.

- Tout détail peut être utile à l’enquête, monsieur Gaudin, lui dit Elena en masquant à peine son énervement.

- Je n’ai pas entendu de quoi ils parlaient, mais ils semblaient de mèche, répondit-il en regardant obstinément vers Jérôme.

- Et le reste de la journée du 8 juin ? Vous avez entendu quelque chose ?

- Nous n’étions pas à la maison, répondit Erika.

- On est passé pour rien à l’EHPAD voir grand-maman, ce n’était même pas elle qui avait appelé ! pouffa Aniel.

- Non, ça c’était le lendemain, le corrigea Erika, le 8 on était chez ton cousin. Vous pouvez vérifier, fit-elle en se tournant vers les policiers, c’était l’anniversaire de son cousin.

- Vous vous rappelez autre chose qui pourrait nous aider ?

Ils haussèrent les épaules, Aniel avec le zeste d’irritation toujours dans les yeux, Erika avec un air absent.

- Merci madame Gaudin, monsieur Gaudin, si nous avons d’autres questions…

- Vous connaissez Géraldine Fournier ? Qui habite au même étage que le professeur ? demanda Elena.

- Oui, on la connait, répondit Aniel sans enthousiasme.

- Une vraie fouine, veut tout savoir sur tout le monde, rajouta Erika.

Un court silence se laissa, mais ni Erika ni Aniel ne semblaient vouloir rajouter autres remarques.

- Merci, si nous avons d’autres questions nous pourrions vous recontacter.

L’interrogatoire était terminé. Elena se leva. Jérôme passa devant pour conduire les deux époux vers la sortie.

Arrivée dans le couloir, Elena remarqua la vieille dame qui les regardait depuis une chaise près de l’entrée. Elle tressaillit lorsque leurs regards se croisèrent. Elena l’avait déjà vue, mais impossible de dire où.

- Madame Fournier, dit Karim vers la vieille dame, vous voulez bien me suivre ?

Ils rentrèrent tous dans la petite salle d’interrogatoire. Une grande table en métal trônait au milieu de la pièce, mais la vieille dame s’approcha de la fenêtre en verre sans tain qui parcourait tout le mur droit :

- Il y a quelqu’un ? cria-t-elle vers la fenêtre.

- Madame Fournier, vous voulez bien vous assoir ? fit Elena.

Géraldine eut un rire amusé et passa à côté d’eux pour s’assoir. Elle est en train de jouer avec nous, se dit Elena surprise.

- Nous voulons vous poser quelques questions par rapport au professeur Laval, démarra-t-elle.

- Vous vous acharnez contre lui, répondit Géraldine avec un mauvais regard planté dans les yeux d’Elena.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- C’est un grand professeur, c’est pour cela que les gens comme vous veulent lui faire du mal ! cria la vieille dame, mais bizarrement avec une lueur joueuse dans les yeux.

- Il a disparu, dit doucement Elena, nous voulons nous assurer qu’il ne lui ait rien arrivé.

- C’est vous qui avez appelé pour annoncer sa disparition, rajouta Karim avec un air déconcerté.

- Il a été enlevé ! répondit Géraldine énergiquement, et vous vous faites quoi ?!

- Nous voulons mieux le connaitre, continua Elena, vous le connaissez bien ?

- Mieux que personne, mieux que ces faux-culs de l’université de mes deux où il avait essayé de leur montrer la vraie recherche. Mais vous pensez qu’ils comprennent quelque chose ces abrutis ?!

- Il vous a raconté ce qui s’est passé avec l’étude sur la grippe ? demanda Elena surprise.

Géraldine et Hugo Laval venaient de mondes si différents que l’image du professeur lui raconter des ragots sur le monde universitaire lui semblait surréaliste.

- C’est des voleurs, cria Géraldine en se levant d’un bond, menaçante.

Karim sauta debout de sa chaise, prêt à intervenir. Géraldine le regarda un instant et s’assit.

- Vous savez s’il y avait quelqu’un qui aurait pu lui faire du mal ? demanda calmement Elena.

- Tous ces vendus ! De l’université, des compagnies pharmaceutiques, de la presse ! cria Géraldine, et avant que les policiers puissent l’interrompre, Des criminels, des bandits, ils lui ont fait ce qu’ils ont fait à mon pauvre Marcel Fournier !! Ils l’ont assassiné, et il était un héros de guerre, lui ! Mais vous, ça ne vous intéresse pas les vrais assassins, vous gardez les fesses bien au chaud, hein ?!

- Nous parlons du professeur Hugo Laval, madame Fournier, essayons de revenir au sujet, reprit le fil Elena. Il vous avait annoncé qu’il partait en voyage ?

- Oui.

- Vous vous rappelez quand ?

- Aucune idée, mais quelle différence ça peut vous faire quand il m’en a parlé ? Il y a deux semaines il me semble, après le passage du postier.

Géraldine s’agaçait sur sa chaise en tapant de temps en temps avec la main sur le bord de la table. Mais malgré sa voix qui montait dans les aigus à chaque indignation, Elena avait toujours l’étrange impression que la vieille dame jouait avec eux.

- Il vous a dit où il comptait aller ?

- Me rappelle pas, répondit Géraldine en regardant Elena dans les yeux. En quoi ça aide ?

- Le jour du 8 juin, vous étiez à la maison ? continua Elena sans tenir compte de la dernière question.

- C’était quand déjà ?

- Mardi dernier, répondu Karim doucement.

- J’étais au marché.

- Et puis ? En début d’après-midi ?

- Je suis rentrée tard, c’est quoi cette question encore ?!

- Vous n’avez rien entendu ? continua Elena imperturbable.

- Suis rentrée tard, j’vous dis.

- Vous êtes rentrée vers quelle heure ? demanda Karim et sa voix était des plus sincères.

Géraldine masqua difficilement son sourire.

- T’es mignon toi, j’te réponds : suis rentrée il faisait soir déjà.

- Après le marché vous n’êtes pas rentrée ?

- Suis allée au cimetière, puis chez une copine.

A part les sauts d’humeur de la vieille dame et ses comptes non résolus avec les institutions, il n’y avait pas grand-chose à apprendre... peut-être vérifier quand même son emploi de temps de cette journée. Et malgré son sentiment que Géraldine surjouait ses colères, Elena dut après un moment mettre fin à l’interrogatoire.

En sortant de la pièce, Géraldine se tourna brusquement vers elle et lui attrapa vigoureusement le bras :

- Ça t’excite de poser toutes ces questions, hein ?

Elena se détacha d’un seul geste et lui montra énervée la porte. C’est en rigolant qu’elle sortit avec Karim, un petit rire nerveux agaçant.

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