Le monde réel des virus

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L’amphithéâtre était plein, pourtant le cours, Elena vérifia ses notes, « La fixation des capsides tubulaires hélicoïdales en milieu pH neutre », semblait parfaitement opaque. D’ailleurs, après les premières 10 minutes passées dans la salle, elle n’avait toujours pas compris de quoi il s’agissait.

Et pour ne rien gâcher, la voix du professeur Jean-Raoul Boyer, éminent spécialiste en virologie de l’Ecole de médecine, restait parfaitement monocorde, y compris lors des blagues, s’il s’agissait vraiment de blagues…

Mais elle n’était pas là pour le professeur Boyer. La secrétaire de la chaire d’épidémiologie où activait le professeur Laval lui avait indiqué que ses trois assistants étaient venus suivre le cours du professeur Boyer. La secrétaire, cheveux grisonnants dans un chignon défait et lunettes particulièrement sales, avait prononcé ces maigres renseignements avec un tel dépit, qu’Elena ne put se demander si c’était pour elle en tant que fonctionnaire de police ou pour le professeur Boyer et l’occupation des jeunes assistants…

Du haut de l’amphithéâtre, au fond de la salle, Elena pouvait balayer du regard l’ensemble de l’audience. La plupart très jeunes, surement des étudiants en pharmacie et médecine, de ce qu’elle avait compris dans la présentation du cours, mais aussi quelques têtes blanches et sûrement plusieurs assistants… Où est-ce qu’ils pourraient être ? Dans les premières places ?

Elle vérifia les photos : Moïse Kâ, peau très foncée, pas si jeune, un sourire de cinéma dans la photo, Arnault Marchant, cheveux blonds et déjà une calvitie très visible, yeux bleus perçants et regard carnassier, et Viviane Lopez, une belle fille probablement mais photo complètement ratée, des yeux écarquillés et sourire forcé. Pas grand-chose sur eux, si ce n’était leur parcours académique. Viviane était la plus ancienne dans l’équipe du professeur, presque dix ans, alors que les autres l’étaient depuis trois et un an. Ça pourrait donner quelques pistes…

Elena les chercha dans la foule et les vit effectivement tous les trois dans le premier rang, Viviane entre Moïse et Arnault, mais comme si cette proximité était due au hasard : Moïse tourné légèrement vers son voisin à gauche, et Arnault de l’autre côté, tournant pratiquement le dos vers Viviane, échangeait des regards avec sa voisine de droite.

Le professeur Boyer, qui depuis qu’Elena était arrivée ne montrait aucune attention particulière aux réactions des personnes présentes dans la salle, s’arrêta brusquement et répondit à quelqu’un au milieu de l’amphithéâtre. Plutôt agacé, se dit Elena. Pourtant la personne répliqua, inaudible, et de nouveau le professeur dut s’interrompre, encore plus énervé, et cette fois sa réponse retentit dans la salle.

- Nous parlons de virus, Monsieur, c’est tout ce qui est de plus réel, si vous voulez des contes de fées, je vous suggère le cours de mon confrère.

L’échange s’arrêta là, et le professeur Boyer reprit sa phrase. Elena se tourna vers l’étudiante à sa droite :

- Vous savez de qui il parle ?

- Du professeur Laval, sourit-elle, ils ne se supportent pas.

- Pourquoi cela ?

L’étudiante haussa les épaules :

- C’est comme ça entre profs. Vieilles histoires.

- Vous venez souvent à ses cours ?

- Oui, malheureusement, j’ai dû me transférer de la classe du professeur Laval, grosse déception.

- Pourquoi ?

- Le cours de Laval est brillant ! Et là…, fit-elle avec un soupir.

- Et pourquoi êtes-vous partie ?

- Impossible de l’avoir pour la thèse de fin d’études… il aurait fallu m’inscrire depuis le collège vu le temps d’attente... Du coup, c’est monsieur Boyer mon coordinateur de thèse.

Elena la regarda avec sympathie, les talents du professeur Boyer n’étaient pas vraiment du côté de sa prestation d’orateur.

Le cours prit fin sans qu’elle s’en aperçoive et les étudiants se levèrent d’un bond partout dans la salle, dans un bruit devenu d’un seul coup insupportable. Elena tenta de s’approcher péniblement des trois assistants, mais le passage était engorgé. Un large groupe de personnes bloquaient la sortie de l’amphithéâtre. Le professeur Boyer fut pris à partie.

- Vous avez engagé quelqu’un !

- Mais non… protestait faiblement Boyer avec un regard incrédule.

- Pas vous ! cria un jeune homme mince, à peine visible d’entre ses camarades, si ce n’était pour ses cheveux blonds presque lumineux dans l’encadrement de la porte. Pas vous ! Vos patrons ! Vous vous acharnez contre lui !

- Oui, c’est ça, il a raison ! Vos patrons ! crièrent plusieurs voix.

Le professeur leur répondit en regardant le jeune homme un instant et puis fit un mouvement pour sortir. Les étudiants s’écartèrent sans un mot.

Quand Elena arriva près du groupe ils étaient en train de partir.

- Alexander, tu m’as déçu, lui siffla Arnault Marchant en passant à côté d’eux.

- Vous êtes des lâches, lui répondit-il en le fixant avec une expression de dégoût triomphant.

- Parle pas pour moi, lui lança Moïse Kâ, c’est lui qui nous a jetés comme des vieilles chaussettes.

- Je parie que Mademoiselle Lopez viendra nous parler du monde réel des virus ! cria Alexander, mais Viviane était déjà loin.

Elena accéléra le pas.

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