Nantes, 20 septembre 2016 (suite)

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A quel moment un homme perd-il son humanité pour être réduit au rang d’une marchandise ? Quelle folie pousse les hommes depuis toujours qui sont capables de mettre l’appât du gain, la haine ou le désir de puissance au-dessus de tout autre raison de vivre ? J’ai pensé à la machine nazie qui avait transformé les juifs en numéros afin de mieux les déshumaniser et rendre acceptable l’inacceptable comme le dit Primo LEVI dans « Si C’est un Homme ».

J’ai pensé aussi à toi, Clara, qui m’avais emmené à Gorée en face de Dakar pour voir un autre mémorial. A seulement quelques minutes en bateau de la dureté coupante et de l’agitation bruyante, désordonnée de la capitale sénégalaise, nous avions débarqué dans un autre monde, paisible, hors du temps. Une ile minuscule avec ses maisons ocre et safran, perlées d’hibiscus et de bougainvilliers aux couleurs tendres, rose, orange, mauve, qui avait le charme et la douceur d’un songe. C’était le jour de Noël, les habitants en boubou de fête sortaient de l’église jaune devant laquelle était installée une crèche colorée avec des personnages stylisés grandeur nature vêtus de mousseline rouge, bleu roi, violet, qui voletait doucement au vent. Les enfants jouaient au football sur la place aux flamboyants rouge écarlate. Plus loin, au détour des ruelles étroites et ombragées, une autre place, un autre terrain de sport improvisé au milieu duquel trônait un baobab que les joueurs devaient sans cesse contourner. Les pêcheurs n’étaient pas de sortie et réparaient leurs filets en discutant, le linge pendait aux fenêtres. Il se dégageait de cette petite perle pastel, de ce décor de carte postale une langueur d’île lointaine, un calme surréel.

Cette allégorie d’île, figée dans le temps ne peut pas être plus éloignée de la grisaille humide de ta ville, Clara, que je tentais de saisir et qui se dérobait sans cesse. Mais qui peut comprendre les méandres de la mémoire ? Ce lieu nodal d’une autre mémoire avec ses couleurs lumineuses et sa douceur apparente se heurtait brutalement contre l’état de rêve éveillé qu’avait fait naître les brumes du fleuve. Ce dernier m’emmenait à présent loin, très loin vers un passé de souffrance, un voyage meurtrier, une traversée sans retour contée par un griot conteur, musicien du verbe, maitre de la langue et mémoire vivante d’un peuple.

Au bout de la maison prison, entourée de palmiers, avec ses murs rouges et son célèbre escalier à double volée, une porte étroite, ouverte sur l’infini de l’océan. A côté, une inscription manuscrite : « De cette porte, pour un voyage sans retour, ils allaient les yeux fixés sur l'infini de la souffrance ».

Te souviens-tu, Clara, de ta tristesse ce jour-là ? Tu étais restée longtemps devant cette porte, silencieuse, frissonnante. Tu nous avais oubliés. Le soleil sénégalais peinait à te réchauffer. Le retour à Dakar avait refermé brutalement cette parenthèse dans le temps. Nous retrouvions la frénésie de la ville, la foule, les klaxons, les cris des vendeurs d’arachides et autres marchands ambulants, toute cette effervescence, ce bouillonnement de vie que l’on avait presque oublié sur l’ile.

C’est une longue lecture que je t’impose aujourd’hui ! Je vais donc stopper là. A bientôt pour la suite.

Tendrement,

Yann

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