Un beau jambon !

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L'’endroit n’étant pas dans les rues les plus touristiques de la ville, les clients sont soit des habitués, soit des perdus.

Un couple d’une trentaine d’année, très amoureux à en voir la façon dont ils contemplent leurs yeux plutôt que leurs plats, un vieux monsieur plongé dans son journal presqu’autant que dans son verre, une tablée de trois hommes d’affaires et nous deux ; voilà ce qui compose le menu du jour.

- Vous avez choisi messieurs ?

Franck et moi étions tellement pris dans notre conversation à propos de notre réunion du lendemain que nous n’avons pas vu le retour de la sirène.

- Vous avez un joli jambon !

La serveuse aux jolies jambes rougit autant qu’un crabe que l’on aurait plongé dans l’eau bouillante. Elle lance, d’un air malicieux :

- Merci, c’est gentil monsieur !

- Je ne parlais pas que de vos très jolies jambes mademoiselle, je n’aurais pas osé les nommer ainsi. En louer la grâce sans doute, mais de là à les comparer à des jambons…
Le monsieur de la table là-bas me paraît en manger un bien délicieux, j’y goûterais volontiers également.

- Du mien ou du sien ?

- Vous servez les deux ?

- Celui que vous voyez sur la table de ces messieurs est plus facile à obtenir que le mien qui vous fait plus d’effet encore… répond-elle avec malice.

- Cela ne répond pas à ma question mademoiselle ! dis-je d’un air complice.

Elle est tout à fait charmante mais pas du tout ignorante de sa beauté et moins encore de l’effet qu’elle peut produire sur la gent masculine.

- Si celui que je ne peux vous servir ici, sur cette table, vous intéresse, il faudrait déjà me séduire… Tout aussi charmant que vous soyez monsieur, d’autres s’y sont déjà essayés et s’y sont cassé les dents.

- N’auraient-ils pas su y faire ? Moi, j’avoue sans complexe aucun, que ce que je vois me mets en appétit et que j’aime manger bien accompagné, partager les plaisirs, de la table et d’ailleurs… N’est-ce pas Franck ?

Mon cher ami est lui aussi visiblement ravi de la beauté de cette jeune serveuse. Du haut de ses trente ans, trente-cinq peut-être, nul doute qu’elle a vécu quelques aventures et est de celles qui savourent la vie et ses plaisirs.

- Nous adorons les beaux et appétissants jambons ainsi que le reste, nous serions ravis de gouter tout cela. Les bons moments, c’est essentiel !

Nous observons la serveuse. Sa façon de nous regarder ne laisse rien paraitre de ce qu’elle pense de nous, de cette proposition à peine voilée. Un très léger et étrange sourire semble éclairer son visage, à tel point que l’on pourrait la penser cousine de la Joconde.
Elle tend sa main pour récupérer les menus et repart en direction du bar pour disparaître en cuisine.

- Elle est super sexy celle-là ! Je la boufferais volontiers ce soir !

- Je te comprends Franck, elle ferait un très bon dessert.

- Vu le regard qu’elle a fait, c’est mort. C’est le genre à causer mais pas trop à agir ou alors avec son p’tit copain, qu’en dis-tu René ?

- Tu n’as sans doute pas tort, après tu sais comme moi que certaines fois l’on peut être très surpris, rappelle-toi la fois où nous étions à Sarrebourg…

- Tu as raison, je n’y pensais plus à celle-là, comment elle s’appelait déjà ?

- Jeanne, on l’avait rencontrée au musée, toute sage avec sa classe de sixièmes mais le lendemain, elle n’avait pas été sage du tout !

- Tu m’étonnes René, elle avait adoré devenir notre petite écolière désobéissante et la façon que le « principal » avait eu de la punir…

- Tu avais su te montrer un pro-fesseur féroce dans son rôle !

- J’aime donner la fessée, tu as su me montrer comment bien s’y prendre et la faire apprécier.

- C’est un de mes vices préférés, mais toutes n’en sont pas fan, souvent par ignorance ou difficulté à comprendre par quel ressort l’on peut aimer « souffrir ».

- Souffrir, souffrir… C’est une notion particulièrement compliquée en BDSM car elle se mêle au plaisir et, de fait, l’un et l’autre se confondent au bout d’un moment.

- Pas simple quand on en a trop peur ou quand on n’ose pas le véritable lâcher-prise…

- Vos jambons, messieurs ! Votre conversation est très intéressante, mes chers ! Concernant la douleur c’est vrai qu’il faut savoir lâcher prise, oublier ses préjugés pour s’en détacher et la percevoir comme un moyen d’atteindre autre chose.
Perso la fessée j’adore ça ! Bon appétit hein !

Nous sommes estomaqués ! Franck me regarde la bouche grande ouverte comme un boxeur qui viendrait de prendre un uppercut dans le menton. Je ne dois pas avoir l’air plus détaché car elle nous a sacrément surpris la bougresse. Nous l’avions deviné pas si innocente, mais de là à oser avouer quelque habitude dans le BDSM, même léger, il y a un pas que nous n’aurions osé franchir !

Nous dinons sagement, parlant des dossiers du lendemain, de ce qui nous attendrait comme difficultés mais évitons de parler de nos frasques et de miss jolies gambettes.
Ni Franck ni moi ne tenons à ce que les choses n’aillent plus loin, jamais au travail c’est une règle pour laisser bien loin les problèmes… et nous ne voulions pas que cette serveuse ait des soucis !
Licenciements, gestion catastrophique des congés, manager qui se permet des remarques misogynes, stocks gérés n’importe comment sont du coup au menu de nos échanges.

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