Un instant de complicité

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Il contemplait l’obscurité tapissée d’étoiles à travers les verres épais du hublot de sa cabine. Sa journée avait été épuisante, ses horaires cycliques le déprimait, mais il évitait de s'apitoyer sur son sort et faisait avec. Ses camarades, avec qui il bossait, en faisaient de même.

— Tu m'écoutes, Ted ? Ammy a été admis en classe d’officiers.

Il se retourna, légèrement surpris. Il observa Lenna assise en tailleur sur un plateau en carbone ultra résistante scellée verticalement sur l'un des murs de sa cabine. Cette économie d'espace, pensé par les concepteurs des architectures d'intérieur d'antan, lui servait à la fois de table de cuisine et de bureau.

— Quoi ! Demanda-t-il, l’air distrait.

— J'ai dit que Ammy a été reçue en classe de sous-off.

— Elle le mérite. Vous allez être ensemble ?

— Oui et je m’en réjouis. Tu avais l'air ailleurs là ! A quoi pensais-tu ?

Au vide interstellaire de nos vies à bord de ce géant à la dérive, songea-t-il.

— À rien de génial. Il se leva de sa couchette et se dirigea vers l'emplacement fourre-tout de sa cabine. Dis-moi, que fais-tu ce soir ?

— J’ai dans l’idée de faire la même chose qu’hier, qu’avant-hier, et ainsi de suite. C’est-à-dire RIEN ! Lenna fronça exagérément ses sourcils sur la fin de sa phrase, faisant ainsi ressortir ses yeux opale d'une manière comique.

Ted sourit tout en se saisissant d'un verre. Ils avaient grandi ensemble et elle avait toujours été un peu comme la sœur qu'il n'avait jamais eu. Son humour et sa bonne humeur lui faisait supporter l’atmosphère pesante qui régnait dans leur zone depuis que le couvre-feu avait été instauré. Plus personne à cette heure-là ne se trouvait dans les coursives, les corridors, les mess ou dans les espaces détentes. Seuls les grincements du vaisseau ponctuaient l’écoulement du temps.

— Encore une belle soirée en perspective ? clamât-il en se retournant vers elle, un tantinet dramatique.

— De quoi se réjouir pour toute une éternité, répliqua Lenna sur un ton théâtrale.

Et ils se marrèrent ensemble comme ils le faisaient souvent depuis l'adolescence. Cela le détendit intérieurement.

Il la regarda saisir ses longs cheveux qui tombaient sur ses épaules, les ramener en arrière et les nouer avec l'un des élastiques en réserve constante dans ses poches. Ensuite, elle déplia lentement ses jambes et quitta sa table/bureau pour aller s’asseoir sur le bord de sa couchette tout en saisissant négligemment l'un des cahiers dont il se servait pour noter ses taches habituelles.

— Tu avais une idée en tête ? lui demanda-t-elle, l’air intriguée sans le regarder.

Ted se dirigea vers la bouilloire nichée dans une excavation du même longueur que sa table et qui se trouvait dans l'angle formé par celle-ci et le mur. L'emplacement disposait d'un chauffe-eau ainsi que d'un gadget à constituant alimentaire.

— Juste une envie de se balader sur les ponts avant.

— Hum ! Je te soupçonne d'aller traîner là où il ne faut pas, lui dit-elle d'un air soupçonneux.

— On peut voir ça comme ça. Il remplit son verre d'un liquide brunâtre. Je ne suis pas de garde ce soir et j’ai envie de marcher un peu.

— Tu sais très bien qu’ils contrôlent tous les accès, reprit Lenna sur un ton plus sérieux.

— Je sais, sauf que le couvre-feu n’est valable que pour les civils et personnels. J’ai le privilège de mon grade ainsi que celui de porter une arme de service. Tu en veux ? dit-il en lui tendant la bouilloire encore fumante en main.

— C’est quoi ce truc que tu bois ?

— À y réfléchir, je crois que tu ne vas pas apprécier.

— Allez ! Ne fais pas ton mystérieux, c’est quoi ?

— Du concentré de tis associé à des épices stimulantes.

— Ce n’est sûrement pas le genre de truc que l’on trouve dans le coin, dit Lenna en lorgnant l'étrange liqueur dans le verre de Ted. Où as-tu trouvé ça ?

— Nul part, c’est fait maison. Goûte-moi ça ?

Elle hésita quelques secondes puis se saisit d'un gobelet en plastique qu'il lui tendit avec un demi-sourire en coin.

— Pourquoi tu te marres ? C’est dégueu, c’est ça ?

— Pas du tout. Les premières gorgées sont un peu rudes, un peu comme l’alcool mais on s’y fait à la longue.

Lenna porta le gobelet à ses lèvres avec méfiance et avala lentement le liquide sombre. Elle grimaça et reposa avec dégoût son verre en le repoussant vers Ted.

— Quel horreur ton truc ! Comment tu fais pour boire ça ?

— Question d'habitude, tu y viendras toi aussi quand tu n’auras plus de zéine.

— Peu importe, je ne boirais jamais ce truc-là même si c’était la dernière chose à boire à bord. Beurk !

Il éclata de rire lorsque Lenna se leva en grimaçant pour se servir un verre d’eau.

— Viens avec moi ce soir, reprit-il enjoué, on va embêter les gardes en fractions, des collègues à moi.

— Je crois qu’il y a des choses pas claires qui se passent sur ce vaisseau depuis un bon moment, lança soudain Lenna d’un ton inquiet pendant qu'elle rinçait son gobelet. Certains transferts ne sont pas revenus, tu le savais ? N’oublie pas que bientôt on aura le niveau requis pour y bénéficier. Crois-moi, ce n’est pas du tout rassurant.

Ted cessa de rire à l’évocation des disparus dont personne ne semblait se soucier. Un peu comme s’ils n’avaient jamais existé. Il fixa son amie qui s'était retournée vers lui après s’être rincée la bouche avec de longues gorgées d'eau.

— Personne ne sait vraiment ce qu’il en est, lui dit-il tout en espérant la rassurer. Attends encore quelque temps avant d’insinuer quoi que ce soit. Notre tour n’est pas encore pour demain, vu les crédits nécessaires qu’il faut avoir pour justifier d’un voyage.

Lenna se dirigea vers la porte après lui avoir gratifié d'une grimace qui en disait long sur ce qu'elle pensait de tout ça.

— Reste encore un peu ! Dit-il d’un air surpris.

— J’aimerais bien, mais je suis fatiguée, et demain la journée sera longue pour nous deux. Repose-toi, et évite tes sorties hasardeuses. Elle lui fit une bise de sa main et sortit.

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