Fille-mère.

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Après avoir traversé les turbulences de deux guerres, tu es toujours célibataire. Aujourd'hui, nous dirions célibataire endurcie. Cela te sied à merveille. Dure à l'extérieur, dure à l'intérieur, comme l'acier. Surtout ne pas se fier à tes yeux bleus. Ton fils en a hérité, pas ta fille. C'est un signe.

Te voilà à plus de trente-cinq ans maman de jumeaux. Un garçon et une fille. Le petit Maurice porte des robes et les cheveux longs pendant trois ans avant de se différencier de sa soeur. Il est pâle. Sa sœur, mate de peau, les yeux bruns, arbore de sages nattes qui retombent sur ses épaules. Tu as dû les élever seule car le père des bébés est déjà marié... Hors de question d'ébruiter l'événement ni de fanfaronner.

Les années difficiles s'enchaînent, tu es une mère célibataire qui reçoit parfois la visite de son amant. J'imagine qu'à l'époque c'était très difficile d'assumer cela, la contraception n'étant pas encore généralisée, maîtrisée, les accidents n'étaient pas rares. Tu aurais pu avorter. Tu les as gardés.

Mamie, je me permets de te juger. Tu ne sauras jamais ce que je pense, qu'importe. J'avais envie de défendre à ma manière l'injustice flagrante que tu as imposée à tes jumeaux. Ta fille, ton garçon. Certes, les circonstances qui t'ont fait devenir mère ne furent pas faciles à assumer. Dans les années trente, tu étais la secrétaire de ton patron. Tu es devenue sa maîtresse. Femme aimante, amante cachée. Honneur à sauver. Tu avais un revenu très correct pour l'époque.
Ma mère voyait quelquefois un homme venir à la maison apporter des friandises. Il la regardait toujours gentiment. C'est tout.

Son père avait déjà une vie d'homme marié et d'autres enfants. On peut comprendre comme ce fut malaisé de gérer ces deux pans de sa vie. Pour qui était-ce le plus difficile ? Pour l'homme qui avait trompé sa femme avec son employée sans penser aux conséquences ? Ou pour la femme célibataire dont le travail était toute sa vie ?

Les conséquences humaines qui en découlent sont à prendre en considération. Ses enfants ont ignoré jusqu'à l'âge adulte l'histoire de leur conception, le nom de leur père. Au moment de l'incorporation au service militaire de son frère, ma mère a dû produire des documents attestant de leur filiation avec cet homme.

Mamie, tu fus obligée de faire cet aveu. Une ou deux phrases d'explication ont suffi.

Ses enfants ont dû s'en contenter. Vivre en ne sachant pas qui était son père, imaginais-tu plus mauvais début dans la vie ? Il leur manquait sa présence et son affection. Tu n'as pas su compenser ce manque mais tu assumais le quotidien avec courage ( et dureté ?).

Si tu avais lu Françoise Dolto, tu aurais appris comment mieux gérer cette famille bancale.
Comment as-tu pu permettre à ton fils de vivre auprès de toi tandis que ta fille vivait toute la semaine "chez les sœurs" ?

Dans quel intérêt as-tu fait ce choix qui pèsera sur ma mère durant toute sa vie ? Elle s'est sentie injustement rejetée. Tu considérais sans doute que l'éducation offerte par les soeurs était la meilleure, qu'elle correspondait à tes attentes. Ma mère a vécu dix ans d'éducation rigide, de repas servis toujours à la même heure, de levers matinaux pour aller écouter la messe.

Je n'ai pas pu venir à ton enterrement.

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