Le câlin du Yoshi IV.

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Ma correspondance était en retard. Le texte défilant qui dansait en rouge sur une des vitres de l'abri était formel : cinq minutes d'attente supplémentaires. Je me réjouissais d'avoir Amanda et ses conseils. Je pouvais prendre cet imprévu de la meilleure manière qui soit, avec le sourire, celui qui ne me quittait jamais. Ce n'était étrangement pas le cas de mon seul voisin. Où l'avait-il perdu ? Il vint après moi et pourtant il gardait ses distances. Il était immobile et concentré, comme pour un projet. M'avait-il seulement vu ? Cet écart était insupportable. Une nouvelle annonce venait de faire son apparition : deux minutes de retard supplémentaires. L'indicateur câlin brillait de son beau vert. Bras ouverts vers mon voisin, je le pris en étau, brisant par là même cet insupportable périmètre qui était entre nous. Il n'eut aucune réaction perceptible. Il semblait seulement frisonner comme sous l'effet d'une fièvre. Était-il souffrant ? À cette idée mon emprise se resserra davantage afin, peut-être, de conjurer son mal. Ce mutisme ne pouvait être qu'un symptôme à l'instar de ses crispations. Mais rien n'y faisait. Son apathie était injurieuse. Je le lâchai libérant ce corps sans résistance, inerte. Le voyant d'un beau vert s'était éteint. Notre transport n'allait pas tarder à mettre fin à cette gêne qui s'était immiscée entre nous. J'étais resté tout près. Peut-être allait-il changer de comportement et éventuellement se montrer plus avenant. Nous entendîmes ensemble les frictions du rail qui entonnaient l'arrivée imminente de la navette. Elle courait au loin d'une vive allure mouchetée de jaune : quel spectacle grandiose se jouait devant nos yeux. Si beau que mon ami immobile tendit vers lui un index joyeux :

"Il est là! Il arrive !"

Il reprenait vie sous mon regard amical. Pouvait-il être la même personne ? Nous nous précipitâmes de concert vers le bord de toutes nos jambes et de nos rires sincères. Nous étions si pressés, si euphoriques, si impatients de contribuer à ce projet. Poussés par cette excitation commune, je lui demandai son prénom entre deux rires :

"Je suis Joshua ! Joshua ! me répondit-il sans freiner sa course."

Je m'arrêtai un instant comme si j'hésitai sur la réponse à donner. Cette réciprocité qui veut qu'on dise son prénom en retour m'était pourtant facile d'habitude. Dans un éclat de voix je parvins à lui pouffer le mien. Le temps d'en rire, Joshua était déjà entré dans une valse improvisée avec notre train. Je n'avais pas remarqué sa robe vermillon ni sa drôle de façon qu'il avait de mouvoir ses bras et ses jambes. Les portes s'ouvrirent sous une aubade de freins qui craquaient sous l'urgence. J'entrai dans l'unique voiture. Une voix mécanique crépita :

"Nous tenons à informer nos chers usagers que cette navette aura deux minutes de retard supplémentaires sur le temps prévu. Nous vous remercions de votre tranquillité.".

Je pris ma place sereinement. Après tout, ma risette et moi-même avions vingt minutes d'avance.

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