Chapitre 15 : Démons du passé

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Keen’an s’approcha de l’ombre. La silhouette frémit. Curieux, Vyrian changea l’angle de la caméra et reconnut Axan. Indécis, le villageois observait Keen’an s’approcher. Pas après pas, la distance entre les deux hommes se réduisait. Pourtant, malgré ses muscles tendus prêts à bondir, Axan ne bougea pas.

Le mage, modélisa son arme avec l’air ambiant, le chercheur vit les particules en suspension être entrainée par le processus et assombrir la faux que Keen’an venait de former. D’un ample mouvement de bras, il faucha l’air s’arrêtant à quelques centimètres de la nuque d’Axan. A présent, piégé, il ne pouvait plus fuir. Keen’an le rejoignit, l’arme oscillant à quelques centimètres de la tête de sa cible.

— Que me veux-tu ?

— Te prévenir.

— De quoi donc ?

— Une délégation de la Confrérie des Sages ne va pas tarder à venir à Alteryx. Faric veut renforcer sa position. Tu es dans sa ligne de mire, j’ignore de quoi tu es accusé mais il a prévu de t’offrir en guise de bonnes relations.

— C’était donc toi qui nous espionnais durant tout ce temps. Pourquoi ?

— Parce que je veux connaitre la vérité, faire ce qui est juste non ce qui est dicté par la politique et les querelles personnelles.

— Pourquoi t’être joint à Faric dans ce cas ?

Aucune réponse ne vint. L’homme se contenta de jeter un coup d’œil vers le ciel. Vyrian se rappela la capacité de certaines personnes de ce monde à voir et diffuser des informations sur des lieux alors qu’ils ne s’y trouvaient pas. Si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, ils s’agissaient des Visionnaires. Le chercheur constata avec soulagement que Keen’an partageait son raisonnement.

— Je suis surement surveillé. Venir à moi est déjà une forme de trahison envers Faric. Les Visionnaires ne manqueront pas de lui faire parvenir.

— Je sais bien. Malgré tout, je veux comprendre. Est-ce vrai ce qui s’est dit dans les cachots ?

— Pourquoi ne pas le vérifier ?

— Comment ?

Keen’an pointa du doigt une sombre forêt. Axan s’étonna de son choix.

— La Confrérie.

— Tout juste.

— Mais tu y es recherché !

— Raison de plus, il est temps de résoudre cette histoire.

Vyrian enviait la capacité du jeune mage à assumer ainsi son passé. Lui-même en était incapable. Les remords l’entravaient. Prisonnier de ses souvenirs, il ne parvenait à s’en défaire. La Télépathie lui avait offert dans un premier temps une échappatoire. Mais peu à peu, elle était devenue son calvaire. La lassitude l’avait envahi. Pour se maintenir hors de ce flux psychique, il n’avait eu d’autres choix que de décortiquer les pensées des uns et des autres. A présent, cette époque était révolue. Pour autant, il ne se sentait pas capable de faire face à ses erreurs. Elles étaient une partie intégrante de lui, pourtant, il n’osait leur faire face.

Le scientifique haïssait sa faiblesse, il se méprisait pour cela. Malgré sa piètre image de lui-même, inlassablement, il fuyait. Pitoyable, il écouta le récit du jeune mage. Une notification lui apprit que la page de description était prête. Il hésita à l’ouvrir. Pouvait-il lui faire confiance ? N’avait-il réellement rien à cacher ? Vyrian en doutait, chacun avait son jardin secret.

Le biologiste se sentit coupable de telles pensées, pourtant cela n’interféra pas dans son geste, il ouvrit l’onglet. Son regard alterna entre la discussion qui se tenait devant lui et la fiche descriptive.

Keen’an, Axan et Pitchi qui suivait en retrait commençaient à se rapprocher de cette lugubre forêt. Le mage marchait en tête d’un pas assuré, une fois de plus Vyrian lui envia cette confiance. Envieux, il écouta son histoire.

— Je suis, enfin j’étais le pupille du doyen de la Confrérie des Sages. Il m’a trouvé bébé devant l’entrée de l’académie. Il m’a élevé, m’a enseigné les rudiments de la magie. Les années ont passé, j’en suis venu à considérer cet homme comme mon père. Il a fait de moi, ce que je suis.

Peu avant la cérémonie, je l’ai trouvé affaibli dans sa chambre, j’ai tenté d’appeler des soigneurs, il m’en a empêché. Au lieu de ça, je l’ai vu s’affaiblir, il n’en avait que faire, il voulait absolument me parler.

La voix de Keen’an se brisa. Vyrian se sentit coupable. Il avait mentalement dénigré le choix de Keen’an de se confier. Il avait estimé à tort que s’il faisait cela c’était parce que son traumatisme était moins grand que le sien. De quel droit c’était-il permis un tel jugement ?

Tout comme lui, le jeune homme avait perdu un membre de sa famille. Cette similitude raviva de vieilles douleurs. Le biologiste sentit son cœur se comprimer, sa cage thoracique s’élever, des sanglots déformèrent son image mentale.

Keen’an quant à lui, renifla, se racla la gorge. Et montra le symbole sur sa main à Axan. Il reprit le cours de ses pensées.

— Il voulait me parler de ça. A ses yeux, j’étais quelqu’un d’exceptionnel, destiné à accomplir de grandes choses. Au lieu de quoi, je l’ai regardé mourir. Par peur, par lâcheté, par déni, j’ai fui, depuis je suis accusé de son meurtre.

Axan mit quelques temps à réagir à ses aveux.

— T’a-t-il dit à quoi correspond ce symbole ?

— Pas vraiment. Il m’a juste demandé si j’étais prêt à entrer dans la légende.

— Numyrhis ? Mais alors ce que j’ai entendu dans les cachots ?

— Il semblerait que ce soit juste.

Vyrian ferma l’onglet. A part quelques détails sur son enfance, Keen’an avait dit la vérité. Toujours larmoyant, face à cette confession, le chercheur eut envie de faire la sienne. Seulement, une fois de plus ses souvenirs prirent le dessus.

Le scientifique se revit plus jeune. Il pique-niquait en présence de Clana, la jeune femme resplendissait. Sa surprise la comblait. Il lui avait dégoté un endroit épargné, un Eden. Malgré la joie que cela lui procurait d’être en sa présence, il avait dû s’excuser. Sa radio émettait, il devait répondre. Vyrian se vit se redresser maladroitement, il ressentit le mélange d’euphorie et de honte qu’il avait éprouvé à ce moment même.

Gourd, il s’était dirigé vers son véhicule, avait augmenter le volume de la radio. Sa bonne humeur s’envola au fur et mesure de l’écoute des pronostics. Ils ne pouvaient rester là, une tempête se préparait. Blême, il s’apprêtait à rejoindre celle qu’il aimait, mais sous ses pieds, le sol avait commencé à se craqueler. Il vit au loin Clana se redresser, elle le fixait. Il monta dans son véhicule, tenta de démarrer, impossible. Il espérait pouvoir lui envoyer le treuil. Mais les commandes de la voiture ne répondaient pas, la radio ne crachait qu’un amas de grésillements.

Il prit conscience de la fin qui les attendait, pourtant il se refusait à perdre espoir. Il sortit du véhicule dans le but d’encourager Clana, seulement nulle trace d’elle. Leur paradis s’était désagrégé.

Il lui avait tourné le dos, il l’avait abandonné, comme elle avait dû se sentir seule. Ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’il était parvenu à retrouver son corps. Malgré cela, il n’était parvenu à faire son deuil.

Ce fut Pitchi qui le sortit de ses souvenirs, la petite créature pépiait à tout va. L’air s’était de nouveau mis à onduler arrêtant les deux hommes dans leur avancée. Ils s’approchèrent, un portail s’ouvrit. Vyrian aperçu pour la seconde fois le désert de cendres. La main de Keen’an irradia, la boussole apparue, elle était formelle. Un point clignotait dans cette direction. Qu’est-ce qui l’attendait au bout ?

Vyrian prit peur. Contrairement à la fois précédente où il avait observé le portail, cette fois, il lui semblait différent : nocif, corrompu. Un frisson lui parcourut l’échine. Il voulut crier aux deux hommes de fuir, mais déjà ils étaient aspirés.

Pitchi tenta de sauver son compagnon, fermement accrochée à son col, elle essayait de le tirer en arrière. La détresse de la petite créature était palpable. Vyrian se tourna vers Mère dans l’intention de lui intimer d’agir. Il savait qu’elle était en mesure de le faire. Pourtant, pour la première fois, elle lui semblait distante, les images défilaient toujours devant ses yeux, mais quelque chose semblait avoir été rompu. Il ne parvenait à la contacter.

Paniqué, il observa les deux Mysticys être engloutis laissant seule la Textys.

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