Chapitre 2

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Le lendemain, je suis de service mais le soir. Il y a plus de monde que dans la journée et beaucoup plus de bruits. Je sais déjà que je vais avoir mal à la tête et aux pieds en rentrant mais j'ai l'habitude. Aujourd'hui, j'oublie un peu tout ça. Je pense à mon futur départ et je me sens très triste surtout lorsque je suis avec mes collègues. Pendant un an, je les ai côtoyé, j'ai ris avec eux. Ils m'ont fait découvrir la ville, leurs habitudes et ce que c'est de vivre libre et indépendant. J'y ai pris vite goût, j'aime ça mais je sais que je peux toujours recommencer et vivre de nouvelles choses ailleurs alors d'une certaine manière, je suis pressée également.

Que penseront-ils de mon départ ?


La veille, j'ai trouvé un petit village assez loin d'ici, certes, mais assez pour être introuvable. Je dois m'éparpiller un peu partout. Pour l'instant, voyager à l'étranger est encore trop dangereux, je n'ai pas encore trouvé un moyen de le faire sans craindre d'être repérée. Je dois voyager avec la vieille voiture que j'ai réussi à dénicher en arrivant ici et faire attention aux stations d'essence sur la route. Je ne dois parler à personne et modifier rapidement mon apparence, mon nom également. Je connais quelqu'un qui pourra m'aider pour cela. Je lui ai déjà demandé.


Au revoir Emma James. J'aime bien ce nom, ce n'est pas le mien, qui fait déjà parti du passé mais cela correspond à la nouvelle personne que je suis devenue. Celle d'avant est morte, toujours prisonnière. Au fond, je suis toujours celle que j'étais avant de débarquer dans ce pays, bien évidemment, mais certains événements m'ont marquée depuis. Ce pays m'a réservée des surprises mais j'ai surmonté tout ça. Enfin je pense. Je dois constamment me battre pour être celle que je veux être.
Pourquoi moi ?


Les heures passent et je n'ai que mon départ en tête. Je fais tout par automatisme : prendre les commandes et les apporter avec ce même sourire. La pluie finit par se rajouter au décor et nous pouvons oublier les places en terrasse, ce qui n'empêche pas au restaurant d'être complet, ce qui enchante mon patron, présent ce soir.


– Emma, me hèle doucement Amanda, avant de s'arrêter derrière moi alors que je sers des clients. Le type au bar a l'air de s'intéresser à toi, tu as un ticket, ajoute-t-elle toute émoustillée.


J'ai un ticket ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Je termine de déposer ma commande, alors qu'elle continue sa route, et avant de me tourner vers le bar. Il y a effectivement, assis là, un type avec de larges épaules. Il me tourne le dos alors je ne peux pas voir sa tête mais il a des cheveux bruns mi-longs et porte une grande veste en cuir. Je me méfie un peu, par habitude et par précaution, mais je ne le reconnais pas, et personne ne peut savoir que je suis ici.


Je zieute rapidement mes tables pour voir si on a besoin de moi mais je constate que non, alors j'en profite pour me rapprocher du bar pour tenter d'apercevoir son visage. C'est à ce moment-là qu'Amanda rebrousse chemin pour venir vers moi et attrape mes épaules pour susurrer à mon oreille :


– Il n'a pas arrêté de te reluquer et il m'a demandée ton nom. Ce n'est pas vraiment mon genre, il est un peu trop vieux mais peut-être qu'il te plaira, dit-elle en me faisant un clin d’œil.


Je saisis alors sa main pour l'empêcher de partir.


– Tu lui as donné mon nom ? lui demandé-je en fronçant légèrement les sourcils.


Ma réaction la surprend.


– Je lui ai dit que tu t'appelles Emma c'est tout, dit-elle en secouant la tête, perplexe. Que se passe-t-il ? C'est quoi le problème ?


Je la relâche immédiatement, comprenant que ma réaction est disproportionnée. Elle ne peut pas savoir, elle ne sait pas. Je dois sûrement m'inquiéter pour rien. Je me sens soudainement mal face à elle.


– Non, excuse-moi, ris-je pour détendre l'atmosphère, c'est juste qu'il y a pleins de tarés dans ce monde.


Elle sourit.


– Oh oui je te comprends, il y en a énormément même mais il a l'air plutôt sympa, ne t'en fais pas, tente-t-elle de me rassurer avant de filer vers les cuisines.


Je m'approche finalement du bar, en prenant un air décontracté. Bientôt, je ne serai plus ici. Je recommencerai tout alors je ne dois pas paniquer parce qu'un type me reluque dans un restaurant. Je ne le regarde pas tout de suite après avoir contourné le comptoir et dépose mon plateau. Je replace quelques verres, légèrement nerveuse mais relève la tête vers lui : ce qu'Amanda appelle un type « vieux » c'est un homme d'une cinquantaine d'années, une légère barbe, des yeux marrons très foncés, les cheveux mouillés par la pluie. Il paraît grincheux et ne me voit pas immédiatement, trop concentré sur la bière qu'il est en train de boire. Puis, il sent qu'on le regarde et ses yeux pivotent vers moi. Lorsqu'il voit que je le fixe également, il me reluque de long en large avant d'afficher un regard de pervers.


– Excusez-moi, on se connaît ? m'exclamé-je en me penchant dans sa direction.


– Oh non pas du tout, rit-il en déposant sa bière pour se tourner vers moi. Disons que je vous trouve très jolie. Apparemment votre collègue vous a parlée de moi.


Sa voix grave et sa façon de parler me déstabilisent. Je ne peux pas m'empêcher d'être suspicieuse.


– Elle m'a simplement dit que vous avez demandé mon nom, dis-je en saisissant quelques bouteilles pour les remettre à leur place.


– Une fille telle que vous, comment rester indifférent ? continue-t-il mais j'ignore cette remarque. Alors vous vous appelez Emma ?


Je plonge mon regard dans le sien, me positionnant face à lui.


– C'est exact.


– On m'a beaucoup parlé de vous, dit-il en gardant ce même sourire.


Je fronce soudainement les sourcils.


– Qu'est-ce que ma collègue vous a dit d'autre ?


Amanda n'a mentionné que mon prénom. Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ?


– Je ne parle pas de votre collègue.


Son sourire a disparu. Je refuse de croire qu'on est pu me retrouver mais je veux savoir ce que ce type sait sur moi.


– Qu'est-ce qu'on vous a dit sur moi ? enchaîné-je en gardant mon sang-froid.


Il garde un instant le silence mais remarquant mon air inquiet, il se mit à sourire à pleines dents et avant qu'il ne puisse me répondre, l'un de mes collègues me crie :


– Emma, tu peux apporter le dessert à la table 2 ?


Je ne détourne toujours pas le regard de cet homme mais je comprends qu'il gardera le silence. Je n'ai pas le choix et dois le laisser-là. Je me dépêche donc de ramasser les couverts sales à la table 2 et file en cuisines chercher leur dessert. Je garde néanmoins un œil sur l'homme. Notre conversation n'est pas terminée.


Que sait-il de moi ?


Je me sens de plus en plus stressée, comme-ci je crains de revoir surgir mon passé. D'être tout simplement en danger.


Si jamais je me trompe, je dois quand même partir ce soir, décidé-je.


– Vos glaces, vous les faites vous-même ?, m'interroge un client lorsque je leur apporte leur dessert, me détournant une minute du type.


– Oui parfaitement, monsieur, affirmé-je en hochant de la tête, le sourire aux lèvres.


Je le perds soudainement lorsque je m'aperçois en pivotant rapidement la tête qu'il a disparu. Je me mets à le chercher dans tout le restaurant mais ne le vois nulle part.
Comment a-t-il fait ? Que dois-je faire ?


L'étau se resserre autour de moi et j'ai du mal à respirer et à savoir où aller, quoi faire.


Emma, reprends-toi !


Ce n'est rien : je termine mon service, je file à mon appartement et prends mes affaires. Tout se passera bien. Ils ne peuvent pas te retrouver. Aucun des deux. C'est impossible.



Par chance, les heures ont défilé assez rapidement et après avoir salué une dernière fois mes collègues, je sors du restaurant. Je ne remettrai plus les pieds ici et cela me fait un pincement au cœur, j'aime vraiment cet endroit mais je suis restée beaucoup trop longtemps. Je ne peux pas donner ma démission, je n'ai plus le temps.


Dehors, il pleut toujours. Je suis venue à pieds, comme chaque jours, puisque mon appartement n'est pas très loin mais j'ai emporté avec moi mon parapluie, par chance également. Pourtant, lorsque je veux l'ouvrir, mon regard est attiré par le trottoir d'en face. Là, dans la nuit, éclairé par les lampadaires et sous la pluie, l'homme du bar me regarde. Je stoppe tout mouvement. Ma respiration se bloque une seconde et je ne cligne point des yeux de peur de le voir se volatiliser encore une fois.


Il m'attend. On m'a retrouvé.


J'abandonne donc mon parapluie, tant pis pour ça, détourne le regard et prends la direction de chez moi. Je presse forcément le pas, m'engouffrant dans les rues sans jamais regarder en arrière. Il y a encore quelques passants malgré la pluie et l'heure tardive mais cela est une bonne chose pour moi. Il ne fera rien s'il y a des témoins. Par contre, une fois chez moi, je devrais me dépêcher.


J'atteins enfin ce dernier, totalement trempée, déverrouille l'entrée et monte les escaliers le plus vite possible. J'entre chez moi, verrouille la porte, essoufflée, le cœur battant la chamade. Je ne tiens même plus compte de mes vêtements qui collent et de mes cheveux mouillés qui dégoulinent. Je fonce directement chercher la valise que j'ai déjà préparé en cas de besoin et là j'en ai besoin. Je récupère également l'argent que j'ai économisé et le fourre dans mon sac.


Tout est calme autour de moi, je n'entends que le bruit de ma respiration affolée. Je tente de percevoir des sons dans le couloir mais rien. Il n'est pas encore là. Il me reste encore quelques secondes peut-être. Je termine mon bagage en emportant la teinture de cheveux et les ciseaux achetés la veille. J'en aurais besoin sur la route. Si jamais j'y arrive.


En sortant de ma chambre, j'entends soudainement la poignée de la porte se baisser. Je stoppe net et ne fais plus aucun bruit. Après un moment de silence, quelqu'un se met à tambouriner fortement sur la porte. Je ne perds pas de temps, ramasse mon sac et fais demi-tour dans ma chambre pour atteindre la fenêtre. L'avantage de mon minuscule appartement c'est qu'il possède un escalier extérieur de secours accessible par cette fenêtre. Je m'y presse, me retrouve, de nouveau, dehors, sous la pluie et dévale les marches en priant de ne pas glisser. Je ne regarde toujours pas en arrière et une fois dans la ruelle, je cours rapidement vers la rue principale.


– NINA !, entendis-je hurler depuis mon appartement.


Je ne relève pas la tête, ne m'arrête pas non plus et continue ma route. Je ne sais pas où je vais. Je ne peux pas prendre ma voiture, cela doit faire un moment qu'il m'observe et il a sûrement dû prendre ma plaque d'immatriculation. Je n'ai pas le choix, il faut que je trouve un autre moyen mais pour l'instant, je dois le semer.


Dans la rue principale, je tente de la traverser mais remarque une voiture noire garée juste à côté de mon immeuble. Les phares s'allument immédiatement et je comprends que ma course n'est pas terminée. Je fonce sur le trottoir d'en face alors qu'elle démarre en trombe, les pneus crissants sur la route.


Je m'engouffre alors dans une autre ruelle pour lui échapper, retraverse une grande rue, essayant de zigzaguer entre plusieurs immeubles. Les personnes se retournent vers moi et je tente de les éviter comme je peux. Puis, j'emprunte une dernière ruelle et me cache derrière une poubelle. Ainsi dans l'obscurité, impossible de me repérer.


Je n'ai plus de souffle, je n'entends que mon cœur résonner dans ma poitrine. Je n'en peux plus, je suis à bout de force. Après avoir travaillé toute la soirée et après cette course, ce n'est pas étonnant. La nausée me vient, je suis à deux doigts de m'évanouir mais l'adrénaline m'en empêche.
Comment m'ont-ils retrouvée ? Qui sont-ils ?


Ma respiration se calme après plusieurs minutes mais je commence à trembler de tout mon corps à cause de mes vêtements trempés et de la peur également. Je pense que je les ai semés mais ils doivent sûrement fouiller chaque recoins maintenant.


Or, en me penchant légèrement vers la rue, pour savoir si la voie est libre, une silhouette est postée juste à l'entrée de la ruelle. Je ne peux voir son visage mais remarque qu'elle est tournée vers moi.
Merde !


Je me relève précipitamment, en abandonnant mon sac et fonce vers l'autre extrémité mais alors que je l'atteins presque, la voiture noire de tout à l'heure surgit et barre complètement mon échappatoire. Je m'arrête net en essayant de ne pas perdre l'équilibre et fais immédiatement demi-tour. Or, la silhouette est en fait un homme et celui-ci m'a poursuivie avant de me pousser d'une violence telle que je suis projetée en arrière. Mon dos et ma tête percutent le sol. Ma respiration se bloque et je suis légèrement sonnée. Avant que je ne puisse réagir, deux hommes attrapent mes bras et me relèvent vers mon agresseur.


Ce dernier s'agenouille et je le vois se pencher légèrement pour que je vois son visage. Je le reconnais tout de suite et mon monde s'effondre :


– Nikolai va être heureux de savoir ce que je viens de dénicher à côté d'une poubelle, se félicite Alexander avant de plonger sa main dans sa veste.


Je ne vois pas ce qu'il y prend, la vision toujours floue. Le choc à ma tête a été assez violent, mon corps ne réagit plus.


– Nina, c'est un plaisir de te revoir, dit-il le sourire aux lèvres avant que sa main n'approche de ma gorge.


Je sens une légère douleur avant que tout ne devienne noir autour de moi.

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