Chapitre 3

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Ne jamais perdre espoir, ne jamais abandonner et toujours se battre : c'est ce que mon père m'a toujours enseigné. Enfin, le père de Nina. Je pensais pouvoir fuir, me réinventer mais maintenant, je n'ai plus aucun espoir. J'ai commis une erreur, mais laquelle ?


Plongée dans le noir depuis je ne sais combien de temps, j'écoute attentivement tout ce qu'il se passe autour de moi. Je me suis réveillée allongée sur le ventre, les yeux bandés, les mains et les pieds attachés par une corde. Après inspection, je me trouve sur un sol lisse, je ressens des vibrations mais toujours sonnée par le produit qu'Alexander m'a injecté, je ne peux pas savoir si j'hallucine encore ou non. Parfois, je sens la fatigue s'emparer de moi à nouveau mais tente tant bien que mal de rester éveillée. Je me répète sans cesse les paroles de mon père. Depuis un an, je ne fais que cela et des larmes commencent à inonder mes yeux lorsque je constate que tous ces sacrifices, toute la peine éprouvée depuis ce temps, sont vains.


Je n'avais qu'une seule et unique occasion d'échapper à la vie de Nina et j'ai échoué. Plus jamais plus je ne pourrais recommencer alors, rien qu'un instant, je laisse tomber mes barrières et pleure mon espoir perdu.


Pleurer, c'est être faible : c'est ainsi que l'on m'avait élevé mais pleurer c'est aussi éviter de devenir fou. Comme il l'est lui et je refuse de ressembler à ça.


Très bientôt, je reverrai son visage, je le sais, cela ne risque pas d'être de joyeuses retrouvailles. La peur commence alors à s'emparer de moi.


Je sors immédiatement de mes pensées lorsque je sens un liquide rencontrer le haut de ma joue. Par réflexe, je relève et secoue la tête en lâchant une plainte.


– Je savais bien que tu étais réveillée, entends-je alors au dessus de moi.


Alexander.


Je ne l'ai pas entendu s'approcher de moi et regrette d'avoir été si stupide.
Puis, j'entends des vêtements se froisser, il souffle longuement par le nez et je comprends qu'il vient de s'agenouiller. Je tire alors sur mes liens, effrayée.


– Désolée ma petite Nina mais tu dois refaire un petit somme.


À ses mots, je sens une nouvelle fois une aiguille s'enfoncer dans ma peau.


– NON !, m'exclamé-je en me dégageant de toutes mes forces mais c'est trop tard et le sommeil me rattrape.


***


Nina, 5 ans...


Par la vitre de la voiture, j'aperçois de grands bâtiments très moches. Il pleut aujourd'hui alors je suis aussi les gouttes, de cette dernière, glisser sur le carreau. On roule depuis trop longtemps. Je m'ennuie. Mon père ne me parle presque pas et depuis que je suis montée dans la voiture, plus du tout. Il est concentré. La radio n'est même pas allumée.


D'habitude, on essaye de chanter les chansons russes qui y passent. On n'est pas très doués alors c'est amusant. Il ne m'a appris que quelques mots en russe seulement et un peu de français. C'est la langue de ma mère je crois. Lui, il m'a dit qu'il était américain. C'est ma langue à moi aussi. Quelque chose comme ça. Je ne sais plus. On est qu'à deux. Pour toujours, il me l'a promis. Je vais partout avec lui. Comme aujourd'hui. Je ne sais pas où on va mais il a l'air triste. Je me demande si c'est à cause de moi : il m'a fait un chignon ce matin et il tirait trop sur mes cheveux. J'ai encore mal.


Mes yeux commencent à se fermer mais d'un seul coup, la voiture s'arrête. Je me redresse immédiatement et regarde mon père. Lui se détache et descend tout de suite de la voiture alors je l'imite.
Je remarque qu'ici il ne pleut pas et aussi le nombre de personnes présentes autour de nous. Elles sont toutes habillées en noir. Plusieurs voitures passent devant moi et je sens qu'on tire mon bras: mon père.

Nina, suis-moi, me dit-il légèrement en colère.


Je suis bien obligée de le suivre puisqu'il me broie le poignet. Qu'est-ce que j'ai pu faire ?
Je fais de mon mieux pour avancer sans trébucher. Il me tire trop fort. Mes pieds rencontrent des graviers et en relevant enfin la tête du sol, j'ouvre grand les yeux en voyant les tombes devant nous.


Mon père m'a déjà emmené dans un lieu comme ça. Il m'a expliqué qu'on y mettait les personnes décédées et qu'on devait se taire, être respectueux. Je garde donc le silence, perplexe.
Puis, mon père s'arrête et me tire face à lui avant de s'agenouiller.


Reste bien sage, hein ?, susurre-t-il en lissant ma robe et mon manteau noir.

Je le regarde faire en hochant de la tête, beaucoup trop impressionnée par les lieux.


On est dans un endroit privé ici, chez les Baranovski, tu te souviens ?, continue-t-il en me faisant un léger sourire. Alors ne parle à personne, reste à côté de moi, d'accord Nina ?

Oui, papa, dis-je doucement.


Je ne veux pas le décevoir. Je n'aime pas ça. Je le regarde se redresser avant de se retourner vers la foule déjà amassée. Je ne vois rien du tout mais décide d'obéir à mon père et de rester à côté de lui. Puis, j'entends au loin la voix d'un homme. Personne d'autre ne parle et semble tous l'écouter lui. Je n'y comprends rien.


Je commence à avoir froid mais l'homme ne s'arrête jamais de parler. Je m'amuse à repousser les petits cailloux sous mes pieds. Je ne fais que renifler et m'empêche d'essuyer mon nez sur ma manche car mon père dit que c'est très sale.


Je suis surprise lorsque j'entends une femme, non loin de nous, pleurer. Elle a posé ses mains sur son visage pour se cacher et un homme se met à la serrer contre lui. Je me sens immédiatement très triste. Pourquoi pleure-t-elle soudainement ? S'est-elle fait mal ? Je me rapproche davantage de mon père et attrape sa main. Il baisse les yeux sur moi avant de serrer mes petits doigts, les réchauffant avec les siens.
Au bout d'un certain moment, l'homme cesse de parler et les personnes prennent la direction de la sortie, lentement, en gardant le silence. Mon père ne semble pas vouloir les suivre et une fois la foule disparue, il se penche vers moi :


Viens, Nina.


Il garde ma main dans la sienne et je marche, à nouveau, à ses côtés mais plus lentement. Je suis surprise car il ne prend pas la même direction que les autres personnes. Je ne fais que regarder autour de moi, légèrement ailleurs. Je me pose énormément de questions mais papa m'a demandé de rester sage alors je ne dis rien et le suis.


On contourne plusieurs corps et au bout d'un moment, je vois enfin ce que les autres regardaient : un cercueil. Mon père m'a expliqué ce mot et je m'en souviendrai toute ma vie car c'est dedans que les personnes se reposent. Cela me fait un peu peur et mon regard pivote directement vers les personnes postées à côté : un homme est assis sur l'une des chaises, il a le regard baissé vers le sol. Il a l'air en colère. Je crois l'avoir déjà vu mais je ne me souviens plus trop. Puis, sur une chaise juste à côté, il y a un garçon. Il est plus vieux que moi et lui aussi il est en colère car il fronce les sourcils. Ils ne suivent pas les autres personnes, ils attendent peut-être quelque chose.


Puis, lorsque je comprends que mon père m'emmène vers eux, je me sens soudainement mal. Je n'ai pas envie d'aller les voir. Ils me font peur. Pourtant je n'ai pas le choix. Je tire sur mon bras et ralentis le pas pour qu'on ne s'approche pas trop près mais mon père ne me fait plus attention.


Maxim, dit-il en s'arrêtant à leur hauteur.


L'homme relève la tête et ses yeux foncés m'effraient encore plus. Il n'a vraiment pas l'air bien et le garçon à côté, lui, ne bouge pas d'un pouce malgré notre présence. Je reste fixée sur lui car il m'intimide un peu.


Je te présente mes sincères condoléances, à toi et à Nikolai aussi, continue mon père doucement. C'était une femme incroyable, elle ne méritait pas ça mais maintenant elle trouvera la paix, elle ne souffre plus.


L'homme ne répond rien, il regarde mon père droit dans les yeux et puis, il se met à hocher légèrement de la tête avant de se lever. Par réflexe, je fais un pas en arrière mais je suis toujours accrochée à mon père alors je ne peux pas bouger plus. Il s'approche de nous et sans que je ne m'y attende, passe un bras dans le dos de mon père pour l'enlacer. Ce dernier l'imite avant de s'éloigner un peu.


J'apprécie mon ami, lui répond finalement Maxim. Maintenant elle se repose et d'une certaine façon, cela apaise ma douleur.


Mon père hoche de la tête, à son tour.


Je ne comprends pas vraiment ce qu'il se passe. J'observe, curieuse, leur moindre faits et gestes. Je me décompose lorsque l'homme se détache de mon père pour poser les yeux sur moi. Il remarque enfin ma présence et cela me déstabilise.



C'est la petite Nina, je me trompe ? demande-t-il plus durement.


Oui, c'est elle, confirme papa en tirant sur son bras pour que je m'avance davantage mais je résiste.


Quelle âge a-t-elle ? Elle a bien grandi.


Je garde le silence, mon regard rivé dans le sien.


Elle a 5 ans.


Je te présente mon fils Nina, reprend Maxim en pointant le garçon derrière lui.


Le garçon ne bouge toujours pas alors son père s'énerve :


Nikolai ?!


Ni une ni deux, le jeune homme relève la tête et pose directement ses yeux sur moi. Ils sont encore plus sombres que ceux de son père. Je ne peux détacher les miens, j'ai l'impression que tout se met à disparaître autour : Il n'y a plus que lui et moi. Il m'effraie, énormément, mais je ne peux pas détourner les yeux.


Ah les enfants, souffle l'homme, désespéré.


Je cligne plusieurs fois des yeux avant de pouvoir pivoter la tête ailleurs.


Il a besoin de temps, reprend papa doucement.


Je vais m'en occuper, dit l'homme en regardant droit dans les yeux mon père.


Le ton de sa voix ne me rassure pas. Que va-t-il lui faire ?


Prends soin de toi, Maxim, dit finalement mon père.


On se reverra bientôt, Thomas.


Puis, l'homme se penche vers moi.


Toi aussi Nina.


Un long frisson me traverse le corps et je serre davantage la main de mon père avant que celui-ci ne m'entraîne avec lui vers la sortie. Je ne peux m'empêcher de jeter un regard derrière moi et je constate que le jeune garçon n'a toujours pas détaché ses yeux de moi. J'espère ne jamais le revoir.

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