2 juin 2021 (Loin de la foule déchaînée - 1)

3 minutes de lecture

10h40

Elle : « Aaaah ! C’est quoi, ça ?

Moi : - Du calme ! C’est un âne. C’est gentil, un âne. Tu vois, il est curieux, il vient voir ce qui se passe.

Elle : - Quelque part, ça signifie qu’il ne doit pas voir grand-monde s’il s’intéresse à nous comme ça.

Moi : - Ou il a peut-être envie qu’on lui donne à manger…

Elle : - Enfin, je disais ça parce que le coin n’a pas l’air très fréquenté, hein.

Moi : - Mmm ?

Elle : - Je disais : tu nous as encore emmenées dans un endroit désertique !

Moi : - C’est pas désertique, c’est la campagne !

Elle : - Ouais ben où sont passés les autres voitures, les êtres humains, le monoxyde de carbone, les particules fines et les centres commerciaux, bref, toutes les traces de civilisation ?

Moi : - Tu plaisantes ? Pour toi, la civilisation se résume à la pollution atmosphérique et aux temples du consumérisme ? Ici, c’est aussi un lieu où l’Homme a laissé son empreinte, on n’est pas exactement dans les grands espaces inviolés !

Elle : - Désolée, mais ça ressemble assez peu au périph’ de Lille…

Moi : - Tu vas quand même pas me faire croire que le sud de l’Arrageois, c’est l’équivalent de la pampa argentine ! Et puis zut, j’ai besoin de ça pour me ressourcer de temps en temps. Regarde, il fait beau, on respire, tu vas pas ruiner le moment !

Elle : - C’est toujours ce que je dis : pourquoi ils mouraient dans des endroits improbables, les Anglais ?

Moi : - Est-ce que je sais, moi ? J’imagine que pour lancer une attaque, on choisit rarement un centre-ville, il vaut mieux faire ça où il y a de la place ! Allez, assez déblatéré, on a encore de la route à faire ! »

11h30

Moi : « Toi qui te plaignais qu’on ne voit jamais quelqu’un ! T’as vu ?

Elle : - Ouais, c’est qui ces mecs ?

Moi : - Ce sont des jardiniers. Ils travaillent pour la Commonwealth War Graves Commission.

Elle : - Et alors ? Ils étaient sympas ?

Moi : - T’as bien vu qu’ils étaient occupés à tondre le gazon. Je les ai laissés faire ce qu’ils avaient à faire.

Elle : - T’es bizarre quand même ! Pour une fois qu’on rencontre âme qui vive, t’en profites même pas !

Moi : - Je suis venue là pour faire des photos, pas spécialement pour bavarder.

Elle : - En tout cas, c’est déjà une journée exceptionnelle, on a rencontré un âne, des chevaux, des jardiniers…

Moi : - Maintenant, on va into the wild, le prochain cimetière militaire est en plein champ.

Elle : - Eh bien ça y est, on largue les amarres complètement ! On va se retaper du chemin à tracteur !

Moi : - Tiens, toi qui apprécies Proust, voici une citation qui me paraît tout à fait ad hoc : ″L’existence n’a guère d’intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique.″

Elle : - Je t’en ficherai, moi, de la poussière des réalités, on voit bien que c’est pas toi qui va t’en manger dans moins de cinq minutes ! »

12h23

Elle : « Non mais t’en as mis du temps ! Et c’était quoi ce meeting ?

Moi : - Là, c’est sûr que ça a fait beaucoup de monde ! Bon, pour commencer, tu as bien vu que l’agriculteur est descendu de son tracteur dès qu’il m’a aperçue et qu’il est venu à ma rencontre ?

Elle : - Oui, j’ai vu ça. Qu’est-ce qu’il te voulait ?

Moi : - Il m’a demandé si je venais pour les semences et j’ai répondu que je venais pour les Anglais.

Elle : - Il a dû être déçu. Mais pourquoi il a cru que tu venais pour ça ?

Moi : - Il a dit que nous étions garées à la limite des semences.

Elle : - Quand je te dis que tu me fais rouler n’importe où ! Et les autres, c’était qui ?

Moi : - Eh bien, c’étaient des jardiniers de la Commonwealth War Graves Commission.

Elle : - Nooon ! Deux équipes en deux fois ! Et alors là, tu as décidé de leur parler ? Comme ça, sur l’inspiration du moment ?

Moi : - Si j’ai bien compris, ils se sont arrêtés là pour leur pause repas – ils n’étaient donc pas en plein travail – et puis je leur ai dit que j’avais rencontré des collègues à eux à Douchy. Ils m’ont dit que ce devaient être Gautier et son stagiaire. On a d’ailleurs bien rigolé de la coïncidence. Très sympa, le type qui m’a tenu la jambe. On sent le mec investi.

Elle : - En tout cas, ça a duré votre petite conversation !

Moi : - Il voulait savoir ce que je faisais dans le coin, si je travaillais pour une association, tout ça.

Elle : - Et moi qui attendais en plein soleil, pendant tout ce temps-là…

Moi : - T’as raison, on va tâcher de se trouver un cimetière à l’ombre pour manger tranquille. Le type m’a indiqué l’endroit qu’ils viennent de toiletter à Bucquoy, let’s go ! »

À suivre…

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