21 mai 2021 (Tous les mêmes)

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Elle : « Quoi, tu sors encore le soir ? Tu profites que l’heure du couvre-feu ait été repoussée ?

Moi : - Non, j’avais à nouveau besoin de me changer un peu les idées. À la télé, on nous en a remis une louche copieuse avec les terrasses. Hier, on a eu droit au premier ministre et Macron sur fond de pots de fleurs, à Gabriel Attal attablé avec Cyril Hanouna, à Bruno Le Maire sirotant un café en lisant L’Équipe, à Alain Griset, ministre chargé des petites et moyennes entreprises, buvant un expresso lui aussi – d’ailleurs, au troisième ministre buvant un petit noir, j’ai fini par me demander si la télé ne diffusait pas en boucle une publicité pour El Gringo. Le secrétaire d’État chargé du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, était lui aussi en terrasse, entre deux averses. Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, et Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports, ont quant à eux été pris en photo ensemble, en pleine conversation autour de trois croissants et deux pains au chocolat. Avec tout ça, je suggère que le prochain conseil des ministres se tienne en terrasse, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Pourquoi s’emmerder à occuper une salle entière du Palais de l’Élysée quand on peut faire ça au ″Balto″ du coin ? À défaut d’avoir eu la COVID, certains ministres pourront se vanter d’avoir eu au moins une broncho-pneumonie cette année.

Elle : - Bon ! Toujours ronchon à ce que je vois !

Moi : - Et l’expression ″un dernier pour la route″ dans leur bouche deviendra délicieusement ambiguë : s’agira-t-il d’une nouvelle tournée de whisky ou de plancher sur un nouvel amendement ?

Elle : - Boire ou légiférer, il faut choisir.

Moi : - Le plus beau est arrivé ce soir, au JT de France 2. La présentatrice interviewait en direct notre vaillant astronaute Thomas Pesquet…

Elle : - Thomas Peket ? Tu me rappelles qui c’est ?

Moi : - C’est le mec qui tourne dans une station spatiale autour de la terre depuis bientôt un mois, confiné avec quelques-uns de ses potes.

Elle : - Parce qu’il faut se confiner AUSSI dans l’espace ? Purée, quelle époque ! Saleté de virus !

Moi : - Allons, il n’y a pas de virus dans l’espace ; notre Thomas Pesquet doit se protéger du vide qui l’entoure, qui est pire qu’un virus.

Elle : - Uuuuuh ! Et c’est contagieux, le vide ?

Moi : - On pourrait le croire : il y a pas mal de personnes qui sonnent creux ces temps-ci. Tiens, par exemple, à propos de vacuité, je disais donc que la journaliste qui s’entretenait ce soir avec notre superhéros de l’espace n’a pas hésité à poser la question qui tue : ″Thomas, vous avez sûrement appris depuis l’endroit où vous vous trouvez que les terrasses ont rouvert hier en France. Est-ce que vous n’avez pas un peu regretté de ne pas pouvoir assister à ces premiers moments d’une certaine forme de liberté ?″ J’étais consternée en entendant ça. Non mais tu imagines ? Le mec, il se prend des poussées de 4G sans broncher pour rejoindre son lieu de travail alors que je suis malade en voiture au bout de cinq cents mètres quand c’est pas moi qui conduis, il fait trois fois le tour de la terre le temps que j’aille aux toilettes, il est prévu qu’il aille faire du mécano dans le vide intersidéral quand ma dernière sortie extra-véhiculaire s’est résumée à la visite du Carrefour de Wasquehal, il shoote la Terre sous tous les angles grâce à son super téléobjectif et prend les photos qu’on ne fera jamais, il se congratule tous les matins en dix langues avec ses collègues de boulot, il flotte tranquillement dans sa capsule tandis que nous, on risque tous de se casser la gueule dès qu’on rate une marche à cause des effets de la gravité, et avec tout ça, il faudrait qu’il regrette de ne pas pouvoir se taper un picon-bière en plein vent à la devanture du ″Café des sports″ ? Non mais franchement !!! Le gars, il est poli, donc il a fait une gentille réponse à la présentatrice, mais je subodore qu’il doit se cogner de la réouverture des cafés comme de sa première macédoine de légumes sous vide.

Elle : - Mmm. J’ai du mal à me rendre compte. Ils ont de la place, dans leur station spatiale ? Ils peuvent y faire la fête ?

Moi : - Pas trop. Il y a intérêt à bien s’entendre avec ses colocataires, ça n’a pas l’air super grand. En plus les habitudes de vie y sont complètement chamboulées : les astronautes dorment à la verticale, ils doivent manger de la nourriture lyophilisée, ils ne peuvent pas prendre de douche et doivent se laver en se frictionnant avec un gant de toilette.

Elle : - Ils ne peuvent pas prendre de douche ? Mais ça me rappelle quelqu’un, ça ! Au fait, où en es-tu avec cette histoire ?

Moi : - On en a encore pour deux semaines sans douche.

Elle : - Eh ben ! Après ça tu pourras postuler pour aller sur Mars !

Moi : - Bof ! Pour être confinée plusieurs semaines dans une boîte de conserve aérospatiale, très peu pour moi ! Le confinement, ça suffit pour le moment. Je rêve plutôt de vivre façon Tarzan, dans la forêt, avec pour seuls compagnons les renards, les oiseaux, les pangolins vaccinés…

Elle : - Ça faisait longtemps qu’on n’avait plus entendu parler de stage de survie… »

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