24 mars 2021 (La chose d’un autre monde)

4 minutes de lecture

Lui : « OùestcequejesuismaismonDieuoùestcequonmemmènecestpaspossible

ouhlàlàlmonDieuoùestcequejesuisouhlàlàquelquunpourmesauversilvousplaît…

Elle : - Non mais qu’est-ce que c’est que ce machin ?

Moi : - Tu vois bien !

Elle : - Et tu me le colles sous le nez, en plus !

Moi : - Ce machin, comme tu dis, n’a pas vocation à rester sur le parking. Souffre donc que je le pose deux minutes.

Lui : - Ohlàlàcestpasdutoutcommejemimaginaismaisoùestcequejaiatterri…

Elle : - Et quel geignard !

Moi : - Il faut qu’il s’habitue.

Elle : - T’as besoin de ça ?

Moi : - J’y pense depuis environ un an. C’était l’une de mes grandes frustrations au printemps dernier. C’est corrélé au télétravail, à l’inertie que ça a engendré.

Lui : - Ausecoursyatilquelquunpourmaideretmesortirdelààààà…

Elle : - Vraiment ? C’est ça l’objet de tes rêves ? Mais tu l’entends gémir ?

Moi : - Il se trouvait ailleurs, dans une autre famille… Il faut le comprendre, un peu…

Elle : - Quelle chochotte ! (S’adressant à lui) Hé, lapin ! C’est pas la casse, ici ! Tu vas être bien !

Lui : - Ahouahjeveuxjustemenalleretrentrerchezmouaaaaaah…

Elle : - Tu l’emmènes chez toi ?

Moi : - Bien sûr, je ne vais pas le laisser là.

Elle : - Hé, t’entends ? En plus, tu vas être à l’abri ! T’as une chance que tout le monde n’a pas !

Lui : - Ben encore heureux, je suis un vélo d’appartement, tout de même ! Moi, l’extérieur, c’est pas mon truc !

Elle : - Ah, il sait proférer autre chose que des jérémiades, apparemment !

Lui : - Ouilleouilleouillecommentlesgensparlenticivafalloiryallermollochuisfragile…

Elle : - À ce que je vois, c’est pas gagné, pour la conversation ! Tu vas pas t’emmerder avec lui !

Moi : - Mais enfin ! On n’achète pas un vélo pour faire la causette !

Elle : - Oh, avec toi, on ne sait jamais ! Je suis sûre qu’avec un petit effort, tu serais capable de tenir le crachoir à un frigo.

Moi : - Tu te trompes, les armoires à glace ne sont pas trop mon type, mais pour être tout à fait franche, j’insulte souvent mon ordinateur.

Elle (s’adressant à lui) : - Hé, coco ! Va falloir varier les sujets !

Lui : - Mais madame, on ne m’achète pas pour la causette.

Moi : - C’est ce que je viens de dire. Ce serait un vélo perroquet ?

Lui : - Perroquet ?

Elle : - Tu vas vraiment te marrer, là ! (S’adressant à lui) Ce n’est pas pour me vanter, mais perso, je viens de terminer un roman de George Sand et je viens de m’attaquer à ″La recherche du temps perdu″. Question discussion, moâ, je commence à avoir du fond.

Moi : - Ne plastronne pas trop. Tu écoutes seulement des extraits.

Elle : - Quoi ? T’as pas été fichue de me trouver toute ″La recherche du temps perdu″ en livre audio ?

Moi : - Non, aucun comédien n’a voulu enregistrer l’intégrale de ″La recherche″, c’est trop long. À moins d’être un marathonien de la prose ou terriblement en manque d’argent, je ne vois aucun acteur s’épuiser à lire toute l’œuvre de Proust.

Elle : - M’enfin ! Ce monument ? Ce chef d’œuvre de la littérature française que le monde entier nous envie, cette pierre angulaire dans l’étoffe de laquelle on taille les meilleurs romans ? Le livre de chevet de tous les Français ?

Moi : - N’en fais pas trop, quand même… Tout le monde n’a pas lu Proust. Tiens, moi, par exemple…

Elle : - Tu n’as pas lu Proust, toi ? Et qu’est-ce que tu me racontais il y a un an ? Oh, la honte !

Moi : - Non, tout d’abord ce n’est pas la honte, et ensuite, j’ai une excellente raison pour ça : quand j’étais étudiante, un de mes profs à la fac nous a fait traduire en anglais une page de Proust. Je me suis alors dit ″Plus jamais ça, on ne m’infligera plus jamais cet auteur-là″. Et puis zut, Proust est également l’un des rares auteurs qu’on ne peut pas lire dans son bain à cause du poids des volumes.

Lui : - Moi, je connais Proust.

Elle : - Han ! Le minot connaît Proust ! Tu vois, même lui connaît les bouquins de Marcel !

Lui : - Marcel ? Non, moi, c’est Daniel que je connais.

Elle et moi : - Hein ?

Lui : - Ben oui, Daniel Proust, ancien coureur cycliste, champion d’Île-de-France 1969, inventeur de la selle Proust, l’appui fessier tout confort.

Elle : - C’est bien ce que j’annonçais il y a deux minutes : tu vas te poiler avec… avec… Hé, tu as un nom, au moins ?

Lui : - On m’appelle Essentiel.

Elle : - Comme les commerces du même nom ? Pourquoi ? Tu vends des légumes ? Tu coupes les cheveux ?

Moi : - Fiche-lui la paix, un peu. Déjà qu’il est désorienté…

Elle : - Je vois ça. C’est Increvable qu’on aurait dû l’appeler, le nom idéal pour un vélo d’appartement. L’est pas un peu simplet ?

Moi : - Je crois que c’est juste le changement d’air. Il était dans une autre maison avant. C’est un de mes stagiaires qui voulait s’en débarrasser, et j’ai sauté sur l’occasion, dans tous les sens du terme.

Lui : - Non-non, il ne faut pas me sauter dessus ! Je ne suis pas fait pour !

Moi : - Si tu savais comme je suis contente ! Ça ne va pas remplacer la piscine, mais je dois faire marcher mes muscles. Je m’en vais t’ascensionner le Tourmalet sous abri, moi, tu vas voir !

Elle : - C’est peut-être plus prudent de commencer par l’équivalent du plat…

Moi : - Je dois absolument me remettre en forme. Tu sais que c’est comme ça que s’exerce physiquement le nouveau président des États-Unis, Joe Biden ? Ça me fait un point commun avec lui.

Elle : - Avec l’âge, aussi ? »

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