9 mai 2020 (Le premier jour du reste de ta vie)

5 minutes de lecture

Que reste-t-il du confinement ? 1ère non-fin

Elle : « On a l’air de boiter bas aujourd’hui.

Moi : - Je me suis fait une entorse il y a une semaine et ça ne va pas mieux.

Elle : - C’est ballot, ça. Dans deux jours tu auras le droit de courir et sauter partout pendant des heures, et c’est maintenant que tu adoptes une démarche de mémé arthritique. (Elle pouffe)

L’autre : - Tu verses dans la Schadenfreude, mon amie.

Elle : - La quoi ?

L’autre : - Ou si tu préfères l’epichairekakia, chère à Aristote…

Elle : - Et en clair ?

L’autre : - Un sentiment un peu particulier, quand ce qu’il faut pour nous sentir bien, ça n’est pas seulement être heureux, c’est aussi et surtout savoir que les autres sont malheureux.

Moi : - Super. Quand les voitures sont un minimum cultivées, voilà ce que ça donne… De toute façon, Météo France nous signale une semaine pas fameuse avec chute des températures, pluie, grêle et autres joyeusetés. On a eu du beau temps pendant deux mois, et maintenant qu’on va pouvoir faire des photos dans les cimetières militaires de l’Artois – un exemple parmi tant d’autres –, il va faire un temps dégueu. Pollinette, c’est pas maintenant qu’on va bouger.

Elle (sarcastique) : - Pas de chance, hein, on ne va pas pouvoir aller dans l’Artois. Ah là là.

Moi : - Je te tirerais bien les essuie-glace pour insolence, moi !

L’autre : - Ho, dites ! On ne va pas terminer le confinement par une petite dose de violence ?

Moi : - Ce serait en effet bête d’aller grossir les statistiques des violences à deux jours du déconfinement ! D’ailleurs, si on devait faire le bilan de ces deux derniers mois, il y a eu quand même pas mal de tensions entre nous. Il y a deux jours à peine par exemple, nous nous engueulions ardemment sur des questions économico-politiques. Et il n’y a pas eu que ce moment-là.

Elle : - Ouais, ça n’a pas été facile tous les jours. ″Le confinement a mis à nu toutes les failles dans les familles et les couples″, qu’ils disent à la radio.

Moi : - Pourtant, il n’y avait pas de problème de tour de vaisselle ou de contrôle de la télécommande entre nous.

L’autre : - Mais on ne pouvait pas s’isoler non plus, sauf vous qui aviez la possibilité de nous éviter.

Moi : - Ce que je n’ai pas fait.

Elle : - Tu tenais trop à la conversation.

Moi : - C’est vrai, je ne vais pas le nier. Ça va changer, ça. Je vais bientôt revoir des humains à qui je vais pouvoir parler.

Elle : - Qui ça ? Tes amis ?

Moi : - Les premiers à qui je vais rendre visite, ça va être mes parents. Qui ne sont sont pas morts, hein !

Elle : - C’est quoi, ce sous-entendu ? J’ai rien dit !

Moi : - Eh bien continue… Sache qu’aux dernières nouvelles, ils avaient l’air d’aller bien.

Elle : - Eh ben tant mieux. Ton père, lui, saura bien trouver cinq minutes pour me laver. Il dit toujours que ça l’occupe.

Moi : - C’est vrai.

L’autre : - La routine va reprendre, quoi.

Moi : - Oui et non. Ce monde n’est déjà plus comme avant.

L’autre : - Ah oui ?

Moi : - Il y a déjà des changements patents. Le temps d’attente à la caisse des supermarchés a terriblement augmenté, comme celui à la poste. Soit on est retraité et on a beaucoup de temps devant soi, soit ça va être une source de stress infinie si on veut faire juste un saut pour affranchir une lettre ou pour acheter un paquet de sucre.

L’autre : - C’est peut-être une piste intéressante pour employer les futurs chômeurs que la crise va produire : faire la queue à la place des autres.

Moi : - C’est votre côté Volkswagen canal historique qui parle ?

L’autre : - …

Moi : - N’insistons pas. (Après un silence) L’un des plus gros changements, ce sont toutes nos habitudes sociales qui sont complètement bouleversées.

Elle : - Comme certains humains ont pris du poids, se trimballent une hygiène douteuse depuis deux mois, ou ont le teint maladif à n’être pas sortis des semaines durant, tu vas voir que ne pas pouvoir faire la bise va être plutôt un avantage.

Moi : - C’est pas faux. Au niveau du boulot, nous sommes aussi entrés dans une autre époque. Avec le télétravail et surtout les visioconférences, on tolère désormais les réunions avec des cris d’enfants en fond sonore ou on a la joie de découvrir son supérieur en survêtement dans un décor de tapisserie à fleurs. Inimaginable il y a encore quatre mois.

L’autre : - Et on laisse les voitures au garage.

Elle : - Et ça, c’est pas juste ! Bouhouhou…

Moi : - Non mais arrête, les gens vont avoir peur des prendre les transports en public… Avant, on craignait la venue d’un contrôleur quand on avait oublié de biper sa carte d’abonnement, maintenant on va se méfier de toute personne qui s’approchera à moins d’un mètre. T’en fais pas, les gens vont reprendre leur voiture.

Elle : - Ou se mettre au vélo, et ça c’est franchement la cata, bouhâââ…

Moi : - Un temps pourri avec orages et grêlons pendant quinze jours va calmer les vélocipédistes en puissance.

L’autre : - Pourvu que la météo soit avec nous ! Pourvu que les gens comprennent que rien ne vaut le confort d’une conduite intérieure allié à un certain degré de pollution !

Moi : - En ces temps de dérèglement climatique, on ne peut plus hélas jurer de rien… En tout cas, ce fut un moment que beaucoup de gens ont utilisé pour réfléchir à ce qui compte vraiment pour eux et à ce qui est essentiel à leurs yeux. Et vous, vous y avez pensé ?

L’autre : - À quoi ? À l’essentiel pour une voiture ? Mmm, attendez… À mon avis, l’essentiel pour une voiture, c’est un peu de mouvement pour éviter que la batterie ne se décharge.

Elle : - L’essentiel, c’est un bon bain.

L’autre : - L’allumage. Le système d’allumage est très important pour une voiture.

Moi : - Ouais ! On n’est jamais déçu avec vous.

Elle : - Ben quoi ? Et toi, tu as réfléchi à tout ça ? Tu as appris des trucs pendant le confinement ?

Moi : - Difficile à dire… Ou alors… Ah oui, j’ai appris quelque chose de génial : la fonction "silence" dans les logiciels de visioconférence en ligne. Dès qu’il y a un étudiant un peu trop bruyant ou qui commence à lâcher des conneries, je le mets sur mute. Si ça pouvait exister dans la vraie vie, ce serait le panard ! Un étudiant un peu trop agité en cours ? Je coupe le son, voire l’image. Le rêve de tout prof !

L’autre : - Et à part ça ?

Moi : - Eh bien, sur un plan un peu plus philosophique… Je suis tombée l’autre jour sur une citation que l’on attribue à Alexandre le Grand, célèbre conquérant de l’Antiquité, qui mourut jeune, terrassé justement par une bactérie. À mon avis, c’est un bon début de réflexion : "Je veux que […] les médecins comprennent que face à la mort, ils n’ont pas le pouvoir de guérir, que tous puissent voir que les biens matériels ici acquis, restent ici-bas, et que les gens puissent voir que les mains vides nous arrivons dans ce monde et les mains vides nous en repartons quand s’épuise pour nous le trésor le plus précieux de tous : le temps." Le temps, voilà un bien précieux, que l’on a un peu retrouvé récemment.

Elle : - Ah ?

Moi : - Et que je vais récupérer désormais.

Elle : - C’est la conclusion ?

Moi : - Oui. Pour le moment. »

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