7 mai 2020 (Violence des échanges en milieu tempéré)

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Le premier ministre E. Philippe vient d’annoncer les principales consignes d’après-confinement et quelles parties de la France seraient en zone verte ou en zone rouge.

Moi : « Bonjour ! Comment va ? Quelles nouvelles ?

Elle : - Salut ! Eh bien c’est surtout à toi de nous dire les nouvelles.

Moi : - Le déconfinement et tout ça ?

Elle et l’autre : - Ouais.

Moi : - Eh bien, que dire… C’est le changement dans la continuité. Pour moi, c’est bien ce que je pressentais : je vais continuer à exercer mes talents à distance.

Elle (à mi-voix) : - Eh Ursula, tu savais qu’elle avait des talents ?

Moi : - Et toi tu vas pouvoir continuer à remâcher sur ton parking. Les gâtés vont pouvoir continuer à regarder leurs tutos de yoga pleine conscience entre deux fabrications de pains au levain, et les autres vont retourner au travail la peur au ventre, mais pas tous en même temps s’il vous plaît pour ne pas créer d’attroupements aux heures de pointe. On est en train de vivre un grand moment dans l’histoire de la lutte des classes.

Elle : - Boah tu exagères.

Moi : - Peut-être. Ce qu’il faut surtout retenir de l’allocution de notre Premier ministre, c’est que la France est désormais coupée en deux, avec une zone verte et une zone rouge.

Elle : - Les zones vertes ? C’est comme pour le stationnement en ville ?

Moi : - Non. En zone verte, les jardins et les parcs vont rouvrir. En zone rouge, les collégiens ne pourront pas tout de suite retourner à l’école. Mais à partir du 2 juin, la distinction entre les deux couleurs pourrait être plus prononcée si nous ne sommes pas sages.

L’autre : - Les pestiférés et les autres, c’est ça ?

Moi : - Pas tout à fait, mais pas complètement faux. Cela dit, être en zone rouge – et nous sommes ici en zone rouge – signifie surtout qu’il n’y aura pas vraiment de bouleversement lundi, sauf qu’on pourra se balader plus loin et qu’il faudra relancer la consommation. À partir de lundi, on veut que nous nous précipitions dans les magasins, pour nous ruer sur le dernier vêtement ou sac à main à la mode, nous faire coiffer…

Elle : - Pour certaines, un passage chez le coiffeur frôle l’essentiel.

Moi : - Ça va, je sais, j’ai compris… Bref, on nous demande de faire redémarrer l’économie tous azimuts.

L’autre : - Je pense que votre Patrie a besoin de vous. Écoutez cet appel des restaurateurs en souffrance, ils ont besoin que vous vous empiffriez de leurs bons petits plats. Écoutez ce cri des marchands de vêtements qui n’ont pas déjà pas vraiment profité des soldes. Écoutez les sollicitations des bijoutiers qui vous invitent à aller vous couvrir d’or dès lundi. Écoutez les exhortations de votre disquaire qui voudrait que vous alliez acheter des CD en masse. Écoutez les injonctions des chefs de chantier qui souhaitent que vous investissiez fissa dans la pierre.

Moi : - Écoutez la formatrice en anglais qui a vu certains de ses cours être suspendus et dont les revenus ont baissé.

Elle : - Évidemment, si tu le prends comme ça…

Moi : - Je vais le prendre exactement comme ça, oui. L’achat compulsif comme catharsis de toute une nation, très peu pour moi. Je vais faire attention à mes sous. Et j’ai l’intuition que je ne serai pas la seule.

Elle : - Catharsis, c’est le dernier modèle de chez Toyota ?

L’autre : - Non mais quelle défaitiste !

Moi : - Hein ?

L’autre : - Ouais, défaitiste ! Fossoyeuse du capitalisme ! Consommatrice à la manque ! Ennemie du commerce ! Vérole du libre-échange ! Décroissante rampante ! Heu… heu… Intellectuelle !

Moi : - Non mais hé ! Qu’est-ce qui me vaut toutes ces insultes ?

L’autre : - Il y a que nous, les automobiles, sommes pour l’économie de marché. Pour la consommation. Pour le KO de la carte bleue.

Elle : - Ouais, à donf’. Pour les particules fines aussi.

L’autre : - Si tu pouvais t’abstenir de remarques aussi nulles, Marie-Apolline !

Elle : - Qu’est-ce que j’ai dit ?

L’autre : - Quelque chose qui n’a rien à voir avec l’économie de marché !

Elle : - Alors explique-moi ce que c’est que l’économie de marché, Ursula !!!

Moi : - Ah je vois. Le symbole du capitalisme triomphant que vous êtes ne pouvait guère produire d’autre forme de pensée. J’achète, donc je suis ? Eh bien ce n’est pas pour moi, merci.

L’autre : - Bobo de gauche !

Moi : - Ce serait gentil d’éviter les pléonasmes.

L’autre : - Ah, pardon ! Le capitalisme n’a-t-il pas permis de faire en sorte que les personnes confinées dans le monde aient toujours accès à des marchandises et de continuer à vivre comme avant ?

Moi : - Heu… oui d’accord mais enfin…

L’autre : - Il est tellement de bon ton de mépriser un système qui permet pourtant d’acheter réfrigérateurs, voitures (c’est-à-dire nous !), tablettes, iPhones…

Moi : - J’ai pas d’iPhone.

L’autre : - …et surtout d’avoir un emploi.

Elle : - Et toc ! Qu’est-ce que t’as à dire à ça, hein ?

Moi : - Que c’est toujours dans ces moments-là que je regrette de n’avoir pas une pensée plus structurée ni plus de répondant.

L’autre : - C’est tout ?

Moi : - Heu, je peux y aller moi aussi de ma petite insulte ? Valets des grands trusts ?… Hem… Suppôts du patronat ?… (Après un silence) Pollueuses ?

L’autre : - Tu vois, Marie-Apolline, on peut dormir tranquilles. Ce n’est pas ici que des révolutionnaires énervés iront brûler des voitures.

Moi : - Oh, mais vous commencez à me chauffer avec vos grands airs ! Et celle-là, ″enflure proto-nazie″, vous l’entendez ?!? C’est pas une moitié de Volkswagen qui va tenter de m’en imposer, non mais ! Et puis dis donc, toi, p’tite tête !!! L’autre jour tu m’as accusée d’être vendue au grand capital et aujourd’hui, tu es du côté d’Ursula, tu défends le libéralisme ! Faudrait savoir !

Elle : - Je suis pour le progressisme concernant les relations humains-voitures, et puis après… et puis après… Oh, et puis zut ! Vous me chauffez toutes les deux ! Je préfère ne pas avoir de conscience politique, c’est trop compliqué…

L’autre : - Et voilà !!! Merci, Marie-Apolline ! Sociale-libérale de mes deux ! Traîtresse à la cause !!! »

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