27 avril 2020 (Travaux)

4 minutes de lecture

Moi (prenant une forte inspiration) : - « Aaah, enfin de l’air frais ! Ça fait du bien de sortir deux minutes !

L’autre : - C’est une telle pétaudière, chez vous ?

Moi : - Pas du tout, c’est juste dans la cage d’escalier qu’il y a de fortes odeurs.

L’autre : - Il y a un habitant de la résidence qui a des problèmes d’échappement ?

Moi : - Mais non ! Depuis la semaine dernière, c’est le grand retour de l’ouvrier peintre. Celui-là même qui nous a vilement lâchés à la mi-mars. Depuis près d’un mois et demi, nous survivons avec des murs à moitié peints et sans revêtement de sol dans les parties communes de l’immeuble. Les paliers auraient dû être parquetés la semaine du 16 mars.

Elle : - Ah merde.

Moi : - On a redécouvert les charmes discrets du pas totalement fini et de la sous-couche en ciment. C’est finalement une bénédiction que la moitié des résidents se soit tirée, car depuis que la vieille moquette a été arrachée, on entend deux fois plus chaque bruit produit dans la cage d’escalier.

L’autre : - Cela montre bien qu’on n’a pas encore fait le tour de tous les drames cachés de cette crise du coronavirus.

Moi : - Oh, on va pas en faire toute une montagne, mais j’ai juste l’impression de traverser un local technique à chaque fois que je rentre chez moi. Et le mieux, c’est qu’on finit par s’habituer à tout. Je ne parviens même plus à visualiser le résultat final. Ça fait plus d’un an que nous, les copropriétaires, avons fait notre choix pour la couleur des murs et des sols. J’en ai oublié jusqu’à la couleur du stratifié sélectionné pour les paliers. Les ouvriers pourraient avoir la fantaisie de nous poser la nuance "Bambou javanais" au lieu de "Whisky malté" au sol que ce serait du pareil au même. Et apparemment, les murs vont être couleur saumon.

L’autre : - Whisky, saumon… Il ne vous manque plus qu’une vue sur le Loch Ness.

Moi : - En tout cas, la prochaine fois que j’entendrai la phrase en apparence anodine : "Ouais, bah tout sera fini la semaine prochaine si y a pas d’autres urgences entre-temps", je me méfierai !

Elle : - Ça ne manque pas de sel, ton histoire…

Moi : - C’est un des grands classiques des ouvriers du bâtiment. Ils ont bien d’autres phrases en réserve. Par exemple, le fameux "Ça fait vingt ans que je travaille et j’ai toujours fait comme ça" quand on se permet la moindre remarque. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ils me regardent toujours d’un drôle d’air quand je les apostrophe d’un "Holà, mon brave…" C’est à ce genre de détails qu’on se rend compte de la susceptibilité de l’artisan de base.

Elle : - On les reconnaît aussi à leurs camionnettes, les prolos.

Moi : - Les camionnettes que tu vois, ça veut dire qu’ils ont ramené plein de matos et que nous allons enfin avoir nos revêtements de sol. Bientôt la vraie vie, quand on va pouvoir se régaler de nuisances sonores pour cause de travaux à l’heure de la sieste.

L’autre : - Je sens que ça va encore nous faire de la poussière, tout ça !

Moi (à voix basse) : - En fait, le retour des ouvriers représente une véritable aubaine pour moi.

Elle : - De quoi tu parles ?

Moi : - Si dans mon entrée, on a opté pour un sol stratifié, je sais qu’à l’entrée C, les copropriétaires ont voulu avoir à nouveau de la moquette, comme avant.

Elle : - Et ?

Moi : - Eh bien je vais leur piquer un bout de moquette pour m’en faire un masque FFP2.

Elle : - Pourquoi, c’est devenu important à ce point, le masque ?

Moi : - Tu as bien entendu comme moi l’éminent professeur à la radio, l’autre jour ! Du coup, j’ai cherché durant tout le week-end où trouver des masques sur le Net, et rien à faire, c’est la pénurie partout. Alors, à la guerre comme à la guerre, je vais faire avec ce je peux. Avec la moquette, au moins, pas de travaux de couture et ça doit filtrer un max.

Elle : - Tu n’as pas une autre solution ?

Moi : - J’ai bien pensé à reconvertir un de mes anciens soutiens-gorge, avec un filtre à café pour faire la blague.

L’autre : - On dirait vraiment que c’est devenu un accessoire de la plus grande importance…

Moi : - Après beaucoup de déclarations dans tous les sens de la part des autorités scientifiques et de celle du gouvernement, un consensus se fait peu à peu : il va falloir très probablement des masques pour emprunter les transports en commun, et peut-être dans d’autres situations aussi.

Elle : - Pfff, c’est pas un peu exagéré ?

Moi : - Non. La plupart des gens font hyper gaffe à tout, maintenant. En moins de deux mois, le changement a été hallucinant. Ce n’est pas toi qui as vu ma boulangère déposer un croissant sur son comptoir comme s’il s’agissait d’une mine antipersonnel.

Elle et l’autre : - Uuuh.

Moi : - Souvenez-vous : nous sommes en guerre, qu’a dit le grand chef. »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0