26 avril 2020 (Quelque chose de grand)

5 minutes de lecture

Moi : « ’jour, vous deux…

Elle : - C’est toi qui sens comme ça ?

Moi : - C’est dimanche, j’ai eu envie de mettre un peu de parfum.

Elle : - Tu vas quelque part ?

Moi : - Tu sais bien que non.

Elle : - Pourquoi sentir la poule comme ça, alors ?

Moi : - Dis donc, c’est du Chanel, ce que j’ai mis ! C’est pas exactement le premier sent-bon venu… Et puis du parfum, c’est à base d’alcool. Ça désinfecte.

L’autre : - Du désinfectant à 120 euros les 10 ml, c’est feng shui, ou c’est juste un truc de riches ?

Moi : - On ne va pas débattre à nouveau sur le feng shui, et puis en fait c’est de l’eau de toilette. Je me suis aperçue que ça fait deux mois que je ne me suis plus rien mis, j’avais envie de sentir à nouveau cette odeur-là. Mais dites-moi, vous êtes bien renseignée sur les parfums, vous !

L’autre : - J’ai un propriétaire qui drague pas mal, alors il y a déjà eu un certain nombre de fragrances qui sont passées par mon habitacle. Surtout du bon marché. Quand il met du Vétiver, c’est que ça devient sérieux.

Moi : - Qui ? Mon voisin ? Il drague ?

Elle : - Oh pas tant que ça !

L’autre : - Quoi, tu tiens les comptes ?

Elle : - Faut bien que je m’occupe, parce qu’avec ma propriétaire, il n’y a pas de quoi affoler un multimètre.

Moi : - Quoi, tu tiens les comptes ?

L’autre : - Tiens, vous aussi ! Il y a un côté désagréable à ça, n’est-ce pas ?

Elle : - Je ne fais que regarder ce qui se passe autour de moi, il n’y a pas de mal à ça !

Moi : - Mais tu ne vois pas tout…

Elle : - Comment ça ?

Moi : - Tout ne se passe pas dans les voitures ou autour d’elles, figure-toi.

Elle : - Ah bon ? Tu as des secrets ?

Moi : - Que veux-tu, j’ai découvert récemment que j’ai une voiture très bavarde. Je préfère être discrète. Des fois que des histoires arrivent, aux oreilles de… de… mon voisin, par exemple.

Elle : - Ou peut-être qu’il ne se passe vraiment rien dans ta vie.

Moi : - Oh, tu exagères…

Elle : - Dis-moi ce qui se passe d’exaltant en ce moment. Tu bosses, tu manges, tu dors chez toi. Tu ne bouges quasiment plus. On a compris l’autre jour que tu ne lis pas de littérature en ce moment…

Moi : - Non, c’est vrai…

L’autre : - Vous préférez la lecture des magazines féminins par mieux les dénigrer…

Moi : - C’est plus facile.

Elle : - À part tes cours, tu fais quoi de tes journées ?

L’autre : - Elle se renseigne sur des stages attrape-nigauds qu’elle ne fera jamais…

Moi : - Pardon ! C’est pas dit ! Peut-être qu’un jour…

Elle : - Tu mates des séries à la télé, au moins ?

Moi : - Heu, non.

L’autre : - Vous réfléchissez au sens de la vie ?

Moi : - Heu, ouais, carrément. A donf’. Ouh là là. Pfiou.

Elle : - C’est quoi, ce ton ?

Moi : - C’est le genre de réponse que j’obtiens quand je demande à mes stagiaires s’ils bossent leur anglais. Mais enfin, pourquoi faudrait-il que je fasse absolument quelque chose ? Vous vous êtes regardées, vous ?

Elle : - Ah, nous, on discute, on échange, on parle de nos expériences de vie, on profite du bon air ! On n’est pas enfermées toute la journée toutes seules dans un appartement ! Tu fais des apéros visio, au moins ?

Moi : - Non, je ne suis pas en contact régulier avec mes amis, et de toute façon, je ne bois pas.

Elle : - Tu ne bois pas ?

L’autre : - Unfassbar! Une Française qui ne boit pas !!!

Elle : - Pas étonnant qu’avec cette vie de 2 CV poussive, un mémorial de la Grande Guerre représente le kif absolu pour toi.

Moi : - Moi, mesdemoiselles, je pratique le lâcher-prise ! Je doute que vous puissiez comprendre !

L’autre : - C’est juste que vous n’avez pas d’énergie pour faire grand-chose en ce moment. Ça manque cruellement d’ambition, tout ça.

Moi : - Écoutez, les affolés de la machine à pain, les obsédés du body challenge, les marathoniens des balcons, les adeptes du total relooking dans vingt mètres carrés, les maniaques des smoothies verts, les monomanes des jeux de société sur coin de terrasse ensoleillé, ils commencent à me fatiguer sérieux.

Elle : - Mais tout te fatigue en ce moment ! Tu ne supportes plus rien !

Moi : - Eh ben tant pis ! Je ne suis pas au maximum de ma fraîcheur, je ne sortirai pas du confinement en étant une meilleure personne, voilà ! C’est vrai, quoi, c’est pas la peine d’en rajouter dans la difficulté ! J’ai plutôt l’impression d’être tombée dans un pot de glu et de tout faire au ralenti.

Elle : - Ah non, à en juger par l’odeur, c’est pas dans un pot de glu que t’es tombée !

Moi : - Tiens, mais au fait, tu peux sentir ?

Elle : - Je sais faire la différence entre ce qui provient d’un pot d’échappement et une odeur humaine, oui.

Moi : - C’est pas mal, mais ce n’est pas exactement un odorat que je qualifierais d’une grande finesse.

Elle : - Les seuls que je connaisse qui ont un odorat développé sont les chiens, et franchement, si une meilleure olfaction conduit inévitablement à renifler l’arrière-train des autres, j’aime mieux être comme je suis !

L’autre : - Mais comment faites-vous alors pour garder le moral avec une vie aussi trépidante que celle d’une Trabant ?

Moi : - Je lis beaucoup de presse, et pas que les magazines pour pétasses. Il y a en ce moment un vrai feuilleton qui se développe de jour en jour, à base de remède miracle, qui oppose les pontes de la World Pharmacie à un Panoramix venu de la Canebière.

Elle : - Ah ? Et c’est excitant, ça ?

Moi : - Disons qu’il y a plutôt du sport.

L’autre : - Je n’ai pourtant pas l’impression que vous risquez le claquage musculaire en ce moment. Je trouve d’ailleurs étrange que vous n’échangiez pas plus avec mon propriétaire. Parler à quelqu’un ne vous manque pas ?

Moi : - Ce n’est pas parce que c’est mon voisin qu’il faut que nous soyons amis !

L’autre : - Voilà bien les humains ! Il ne reste plus assez de monde dans la résidence pour jouer aux quatre coins, et vous jouez les snobs !

Moi : - Pour moi, la solitude n’est pas un fardeau.

L’autre : - Être heureuse toute seule, c’est absurde.

Moi : - Je n’ai pas dit que j’étais heureuse. J’accepte la situation, je ne cherche pas à brusquer les choses.

L’autre : - Marie-Apolline, tu sais quoi ? En fait, ta propriétaire, c’est un moine zen.

Elle : - Elle est pas complètement zen, loin de là ! On voit que tu l’as jamais entendue jurer au volant !

Moi : - Ouais, zen… Cette non vie actuelle m’a permis d’accéder à la non pensée. La liberté intérieure permet de savourer la simplicité pure du moment actuel et instantané, libre des chaînes du passé et affranchi de l’incertitude du futur.

Elle : - Tu peux répéter ?

L’autre : - Elle dit juste qu’elle profite de l’instant présent. La non pensée, c’est paradoxalement la prolifération des formules alambiquées. Simplicité de la pensée ne veut pas dire clarté, la preuve ! »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0