24 avril 2020 (The class)

4 minutes de lecture

Moi : « Bonjour, vous deux.

Elle : - Salut !

L’autre : - Quoi de neuf ?

Moi : - Du neuf, en ce moment, il n’y en a pas beaucoup. D’ailleurs ce qui me frappe, et j’y ai même pensé toute cette semaine, c’est de voir à quel point mes cours sont inadaptés.

Elle : - Tes cours sont mauvais à ce point-là ?

L’autre : - Elle n’a pas dit ça, seulement que ses cours ne conviennent pas à ses stagiaires.

Moi : - Ce n’est pas exactement ça non plus. Mes stagiaires ne se plaignent pas. Par contre, la grande majorité des exemples dont je me sers pour enseigner ne sont pas du tout, mais alors pas du tout adaptés à la situation présente.

Elle : - Comment ça ?

Moi : - Ben par exemple, j’ai dû expliquer deux fois cette semaine l’usage des différents types de futurs en anglais…

Elle : - Ils sont pas très fut-fut, tes stagiaires !

Moi : - Il s’agissait de deux stagiaires différents. Et puis zut, les gens font comme ils peuvent, ils ne sont pas dotés comme toi d’une mémoire de stockage rapide et infaillible !

Elle : - On se demande parfois à quoi ils sont bons, les humains…

Moi : - Sache que les micro-processeurs sont excellents pour la répétition des tâches et restituer une information toujours de la même façon, mais ils ne sont pas créatifs comme nous. Voilà, nous, on innove, on invente.

Elle : - Ils sont peut-être créatifs, les humains, mais ils sont vachement lents.

Moi : - Meeerci pour nous… Je disais en fait que tous les exemples que je prends d’habitude pour expliquer en anglais la différence entre le futur où tout est planifié et le futur des décisions spontanées ne marchent plus. Souvent, je demande aux gens ce qu’ils vont faire pendant les vacances et ils doivent nuancer leurs propos, entre ce qui est certain et préparé et ce qui l’est moins. Et là, avec le confinement, tout se casse la figure. "What are your plans for this summer? – Chais pas." C’est tout ce que j’obtiens de mes élèves.

L’autre : - Avec la pandémie, l’incertitude s’est transformée en la certitude que demain n’est pas pour demain.

Moi : - Si je commence à sortir des phrases comme ça à mes élèves, je vais les paumer encore plus ! Pour expliquer le futur proche, je pose habituellement la question "And for next week end?", et là ils me répondent "Bof !" Comment voulez-vous faire cours dans de telles conditions ? Je ne peux même plus recaser mes blagues habituelles !

L’autre : - On n’imagine pas les affres du prof d’anglais solitaire devant son écran d’ordinateur.

Moi : - Exactement. Cela dit, j’ai au moins la satisfaction de voir que la plupart des Français se retrouvent dans la situation qui est la mienne ordinairement. À cette époque-ci de l’année, je ne sais jamais si je vais avoir des vacances, si je pourrai partir, où et quand…

Elle : - Ou si tu vas prendre ta voiture avec toi…

Moi : - Je constate que le confinement restreint terriblement les sujets de conversation. Tenez, il y a deux semaines, c’était le week-end de Pâques, toujours un grand thème de discussion en cours d’anglais : qu’est-ce que vous avez fait ? Qui avez-vous vu ? Où êtes-vous allé ?…

Elle : - C’est sûr que vous devez vous amuser comme des petits fous avec le week-end de Pâques : moi j’ai mangé tous les œufs de Pâques de ma fille, moi j’ai appris à tuer un agneau à mains nues…

Moi : - Disons qu’on peut bavarder assez longuement sur le sujet, en temps normal. Si le formateur est suffisamment habile, il peut même faire deux séances là-dessus. Mais cette année, je n’ai su rien tirer de mes stagiaires, ils étaient complètement secs. Ils n’ont fait que soupirer. Et la pratique du prétérit dans tout ça, hein ? Elle va leur tomber dessus comme le Saint Esprit sur les apôtres ?

Elle : - Pourquoi tu nous reparles de religion, là ? À cause de Pâques ?

Moi : - Je vous le dis tout net : la COVID-19, c’est la ruine des cours d’anglais. Et surtout de la pratique des temps. Il n’y a que pour les deux présents que je m’en sors mieux : "d’habitude, je fais ça" – présent simple –, "et en ce moment" – at the moment, présent continu –, "je me fais chier copieusement". Je n’ai jamais su aussi bien expliquer l’opposition entre routine et activités en principe éphémères.

L’autre : - Alles hat also sein Gutes. Vous pouvez vous consoler avec les nombreux mots qui sont apparus et qui vont enrichir le vocabulaire de vos élèves : cluster, click and collect, batch cooking, COVID…

Elle : - C’est de l’anglais, COVID ?

Moi : - Un peu, mon neveu ! N’empêche que ça va être des expressions difficiles à recaser dans une conversation… Je ne me vois pas dire ″I have a cluster of good students this year…″

L’autre : - Encore faudrait-il que ça arrive !

Moi : - Oh, c’est méchant, ça. Cependant je suis un peu inquiète quant à l’amélioration du niveau. D’après les médias, qui ne font que parler du confinement, il devient de plus en plus probable qu’il va falloir sortir avec un masque. Ça va être franchement rigolo pour les cours de langues, quand je vais essayer d’aider mes élèves avec la prononciation : "Regardez bien ma bouche – enfin, imaginez-la – quand je produis ces mots : "sixth", "rural", "clothes", "through"…"

Elle : - Non mais attends, tu nous postillonnes carrément dessus !

Moi : - Pardon ! Moi, je le fais proprement, mais c’est vrai qu’avec des mots comme "through", il vaut mieux sortir son parapluie.

L’autre : - Il y aura des inconvénients au port du masque, mais aussi des avantages !

Elle : - Peut-être même que le port du masque améliorera la prononciation de certains, va savoir.

Moi : - Ça ne pourra pas être pire pour deux ou trois de mes stagiaires… »

Annotations

Vous aimez lire Grande Marguerite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0